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par Mikhail Gamandiy-Egorov
Les principaux analystes turcs considèrent que tous les empires ayant tenté de faire asseoir une domination sans partage sur les affaires internationales ont au final toujours subi des échecs, faisant le parallèle direct avec le cas contemporain des États-Unis. Cette analyse confirme une fois de plus une vision géopolitique particulière de la Turquie, ainsi que le rôle qu’elle entrevoit pour elle-même dans les relations mondiales.
Bercan Tutar, analyste turc dans son récent article Stratejik sıçrama (Le saut stratégique) pour le quotidien Sabah (l’un des trois principaux en Turquie) décrit les bouleversements stratégiques internationaux, en mettant l’accent sur la position des États-Unis, de la Russie, de la Chine et de la Turquie.
L’auteur de l’article rappelle que toutes les tentatives des États impériaux, anciens ou nouveaux, ayant cherché à devenir les seuls maîtres du monde – se sont toujours soldées par des échecs. Pour Bercan Tutar, le dernier exemple étant la défaite de la politique de « la Nouvelle Rome », que les États-Unis ont tenté à mettre en œuvre sous prétexte de « guerre contre le terrorisme » après les attentats du 11 septembre 2001. L’échec des USA à devenir le seul hégémon mondial a d’ailleurs selon lui paradoxalement conduit vers une fin progressive du chaos dans de nombreuses régions du monde, en particulier au Moyen-Orient, où un certain équilibre a été rétabli.
Ces processus ont ainsi permis à des pays comme la Russie, la Chine et la Turquie – à maximiser leur influence respective dans différentes parties du monde. Et après que Washington ait défini son objectif principal de stratégie de sécurité nationale dans les nouveaux processus en cours à combattre des acteurs mondiaux comme la Russie et la Chine, à la place de la guerre contre le terrorisme, le visage du Moyen-Orient a commencé rapidement à se transformer.
L’un des pays qui a le plus profité de cette nouvelle transformation et qui a élargi sa sphère d’influence a été la Turquie. L’État turc ayant été capable de lire le cours des processus mondiaux, a ainsi pu devenir un important acteur régional et même international. Un peu plus loin dans le même article, l’auteur décrit le rôle central de la Turquie aussi bien vis-à-vis de l’Occident, avec lequel Ankara partage l’appartenance à l’OTAN, mais également avec la Russie avec laquelle la Turquie possède de nombreux projets et orientations stratégiques.
Bercan Tutar fait notamment référence au projet conjoint avec Moscou de faire de la Turquie le principal hub pour l’énergie russe, ainsi qu’aux contacts bilatéraux étroits sur les questions du Moyen-Orient et de nombreux autres sujets stratégiques. L’auteur parle également de la Chine et rappelle que son pays représente un corridor sûr aux yeux de Pékin, dans le cadre du grand projet international chinois de la Ceinture et la Route.
Maintenant et en termes de perspectives suite à cet article, il serait juste de rappeler plusieurs faits que nous avons déjà abordé dans le passé. La Turquie se positionne effectivement comme un État ayant la particularité d’être un membre du bloc otanesque (dont pour rappel elle représente la deuxième force en termes d’effectif armé), tout en refusant obstinément à suivre aveuglement l’hystérie anti-russe et anti-chinoise de l’establishment occidental. Tirant ainsi profit de cette capacité assez unique à défendre et promouvoir ses intérêts avec toutes les parties.
À ce titre, et étant probablement le seul pays réellement souverain du bloc atlantiste vis-à-vis de Washington, la Turquie est effectivement devenue un acteur incontournable non plus seulement dans de nombreuses affaires régionales, mais de plus en plus à l’international. Ses relations stratégiques dans de nombreux domaines avec la Russie, la Chine, l’Iran et d’autres grandes puissances non-occidentales y ont d’ailleurs beaucoup contribué. En faisant la sourde oreille à la colère de ses partenaires occidentaux.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que de plus en plus de voix étasuniennes et plus généralement occidentales s’élèvent contre Ankara et appellent ouvertement à remettre en question l’appartenance turque à l’OTAN, du fait justement des liens étroits de la Turquie avec les principaux adversaires des nostalgiques otanesques de l’unipolarité, dont bien évidemment les liens avec la Russie. L’État turc ayant été jusqu’à présent le seul membre de l’OTAN à avoir fermement refusé à se joindre aux sanctions occidentales contre Moscou. Et même plus que cela – ayant au contraire fort largement élargi l’interaction économico-commerciale avec la Russie.
Dans ce paradigme, la Turquie joue parfaitement son jeu. Comprenant que l’OTAN ne peut se permettre de perdre dans un avenir proche un membre aussi important, du point de vue aussi bien stratégique qu’idéologique, Ankara enfonce le clou en continuant à renforcer son orientation eurasienne et de plus en plus pro-multipolaire. D’autant plus lorsqu’on observe actuellement le processus probable de normalisation des relations avec le leadership syrien, le tout avec la médiation russe.
Et lorsque viendra le moment pour la Turquie de quitter effectivement l’OTAN, au-delà du fait que ce sera une énorme défaite stratégique pour l’Occident, l’État turc d’ici là aura pu profiter au maximum de tout ce dont il a besoin actuellement. Avec par ailleurs à la clé – l’intégration dans le Top 10 des principales économies mondiales en termes de PIB à parité du pouvoir d’achat, pendant que des France et Royaume-Uni quitteront vraisemblablement ce même Top 10.
source : Observateur Continental
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