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par Alexandre Lemoine
Le président turc Recep Tayyip Erdogan pourrait être qualifié du politicien mondial le plus réussi de l’année 2022. Depuis le début de l’opération militaire russe en Ukraine il reste au-dessus du conflit et conserve le statut de médiateur pratiquement sans alternative entre les parties au conflit tout en obtenant des dividendes politiques et économiques importants.
Et cela rend fatidiques les élections présidentielle et législatives turques de 2023 : si Erdogan perd, il faudra revoir le modèle d’interaction dans la grande région.
Cela fait longtemps que le dirigeant turc est devenu l’unique partenaire à la fois pour la Russie et pour l’Occident. Par exemple, il avait réussi à acheter des systèmes antiaériens russes S-400 malgré l’opposition des alliés de l’OTAN, il avait commencé à partager les zones d’influence en Syrie avec le président russe Vladimir Poutine. En parallèle, Erdogan négociait avec les États-Unis l’achat de chasseurs F-16 et vendait à l’Ukraine des drones Bayraktar. Fin 2018, peu auraient pensé qu’ils seraient utilisés dans des affrontements directs contre la Russie. Par ailleurs, à partir du 24 février 2022, la position du président turc est devenue sans précédent.
Les premières négociations entre les délégations russe et ukrainienne se sont déroulées en Biélorussie, mais un mois plus tard il est devenu clair que ce pays, ayant mis à disposition de la Russie un avant-poste pour l’attaque initiale contre Kiev, ne convient pas en tant que médiateur. L’alternative a été rapidement trouvée : le 10 mars, au forum diplomatique d’Antalya, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a rencontré son homologue ukrainien Dmytro Kouleba et, le 29 mars, les délégations se sont réunies à Istanbul.
L’atermoiement du conflit a accordé à Recep Erdogan une chance de renforcer son influence internationale, même s’il ne cessait de dire qu’il faut rétablir la paix au plus vite. Plus la crise dure, plus la Russie subit de sanctions et plus c’est avantageux pour la Russie, qui aide à les contourner. Dans sa grande analyse du commerce extérieur russe (l’information officielle n’y est pas publiée depuis le début de l’année), le journal The New York Times indique que les échanges entre Moscou et Ankara avec le début des hostilités en Ukraine (à la date d’octobre) ont augmenté de 198%.
Hormis les revenus importants du commerce, les autorités turques ont obtenu une série d’avantages de la crise dans les relations entre la Russie et l’Occident. Il s’agit notamment du projet de hub gazier, de l’accord céréalier conclu à Istanbul et d’un nouveau levier de pression sur l’OTAN après les demandes d’adhésion déposées par la Finlande et la Suède.
Le président Erdogan est devenu un as du louvoiement. Il continue de qualifier Vladimir Poutine de « bon ami », ce qui ne l’empêche pas de critiquer prudemment ses actions. « Aucun dirigeant ne pourra dire par la suite que c’était une erreur. Personne ne dira: oui, j’ai commis une erreur », a déclaré le dirigeant turc dans une interview à la chaîne américaine PBS, insinuant qu’il faut permettre à Vladimir Poutine de sauver la face pour régler la crise. Quand le journaliste a évoqué les crimes de guerre dont l’Occident accuse les forces russes, Erdogan a paré de nouveau. « À ce sujet, la réponse parfaite serait le résultat des actions engagées par l’ONU. Cela devrait permettre de faire la lumière sur tous ces litiges. Le cas échéant, il me serait difficile en tant que dirigeant du pays de faire une déclaration. Cela nous mettrait en position de pays qui ne respecte pas l’équilibre dans la politique étrangère. Nous ne devons pas prendre parti ».
Toutefois, Recep Erdogan ne cache pas toujours sa position. Il fait parfois des déclarations qui ne sont pas du tout appréciées par la Russie.
Comme en témoigne le fait que la Turquie maintient une coopération ouverte et active avec l’Ukraine dans le secteur militaire.
Cet été, Kiev et Ankara sont convenus de construire en Ukraine une usine de fabrication de drones Bayraktar. Et l’un des fondateurs de la compagnie Haluk Bayraktar (son frère Selçuk est marié à la fille du président Erdogan) a même déclaré que cette coopération était plutôt idéologique que commerciale. « L’argent n’est pas notre priorité. L’argent et les ressources matérielles n’ont jamais été l’objectif dans nos affaires. Nos amitié et coopération avec l’Ukraine durent depuis des années. En ce moment, tout notre soutien est entièrement du côté de l’Ukraine », a-t-il déclaré dans une interview à BBC.
Étant donné que des élections présidentielle et législatives se dérouleront en Turquie dans six mois, en mai ou en juin 2023, il est certain que le choix des citoyens de ce pays dépendra non seulement de l’évolution de la crise ukrainienne, mais également du comportement de l’OTAN, de la capacité de la Russie à contourner les sanctions et, évidemment, de la situation au Moyen-Orient.
Les chances de réélection du dirigeant turc pourront être évaluées quand l’opposition choisira son candidat, mais compte tenu de la popularité de son parti par rapport aux concurrents, la situation semble pour le moins instable. Par conséquent, l’année la plus réussie pour Erdogan pourrait être suivie par la plus ratée.
source : Observateur Continental
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