À la veille de la rentrée, l’automne dernier, nous avons appris le décès d’un éducateur employé par l’école secondaire où je travaille. Comme animatrice de pastorale, mon rôle était clair: je devais assurer l’accueil et l’accompagnement des jeunes touchés par cet événement. Pour certains, ce serait le premier contact avec la mort. En plus d’être ébranlés par la perte d’un proche, ils risquaient d’être troublés en se découvrant, eux aussi, mortels.
Je venais de terminer de décorer la chapelle pour l’arrivée des élèves. À travers les tournesols et le matériel scolaire déposés au pied de l’autel, j’ai ajouté la photo du défunt. J’ai allumé des bougies, j’ai ouvert la porte et attendu. Rapidement, des élèves sont venus. Une jeune fille de troisième secondaire s’est lancée: «madame, à quoi ça sert de vivre ?»
J’ai pointé un verset biblique, affiché pour l’occasion: «l’amour ne passera jamais» (1 Co 13,1). J’ai affirmé que je croyais que nous étions créés par amour, pour l’amour. Nous avons discuté de nos projets, de ce qui nous rend heureux, de ce qui subsiste quand tout est accompli. La mort, cette certitude, pose un horizon à nos vies. Qu’allons-nous en faire?
Après une heure d’échanges, j’ai renvoyé l’élève en classe: «merci, madame, ça m’a beaucoup aidée.»
Une conversation impossible
À la polyvalente d’à côté, j’aurais pu être réprimandée pour cette intervention. Depuis 2019, dans le réseau public, il est interdit pour quiconque d’arborer un signe religieux visible. On ne peut discuter de spiritualité qu’à condition d’entretenir un flou artistique sur ses convictions personnelles.
On considère que quiconque s’expose risque d’endoctriner ses élèves. On joue à faire semblant que tout le monde pense la même chose. Ou on prétexte que certains sujets sont trop sensibles, trop intimes, pour être discutés. Dans ces conditions, aucun dialogue n’est possible. Le religieux est réduit à une expérience subjective, laissant chacun seul face à lui-même.
C’est dans ce contexte que les dogmes du développement personnel se sont frayés un chemin dans les établissements scolaires. La spiritualité est mise au service de la performance. On pratique la méditation pleine conscience pour réduire l’anxiété et améliorer sa capacité à se concentrer. On valorise les émotions jugées positives comme la joie, la fierté, la gratitude, convaincus que quand on veut, on peut. Il ne reste que peu de choses à dire à ceux qui, malgré des dizaines d’heures d’études, continuent à échouer leurs examens, leurs camps de sélection, leurs auditions.
Être humain
Face à cette impasse, on n’a trouvé comme solution que de laisser la profession d’animateur, de pastorale comme de vie spirituelle, s’éteindre. À moyen terme, la vie spirituelle semble condamnée à disparaitre des établissements scolaires.
Les questions fondamentales de la vie seront vidées de toute référence à la transcendance. La souffrance et le deuil, considérés comme des problèmes de santé mentale.
L’empathie ne peut se développer qu’au contact de sa fragilité et de celle des autres.
Quels citoyens espérons-nous former si on les empêche d’aller à la rencontre de la vulnérabilité?
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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