Il y a une dizaine de jours, le président LR de la région Grand Est annonçait qu’il démissionnait pour des « impératifs familiaux ». Naïvement, on hésitait entre le respect, l’admiration voire la compassion : on imaginait le grand notable affrontant une maladie, se consacrant à sa famille, que sais-je ?
Et puis, ce vendredi, on apprend que les impératifs familiaux n’étaient que le joli ruban d’un très joli cadeau pour lequel l’élu a abandonné une présidence de région. Pour ce médecin urgentiste de formation, ce sera toujours le Grand Est, toujours à un poste de dirigeant, mais dans un grand groupe immobilier privé ! La société si bien nommée Réalités l’a en effet annoncé ce vendredi sur son site Internet : « Le groupe Réalités annonce l’ouverture à l’été 2023 de sa direction régionale Grand Est. Elle sera dirigée par Jean Rottner, qui, après avoir quitté la vie publique, rejoint l’aventure entrepreneuriale. » Évidemment, un couplet sur les valeurs communes entre le groupe et le nouveau recruté enrobe ce que d’aucuns nomment déjà un pantouflage : des « valeurs fortes telles que l’humanisme, l’exigence, l’optimisme ». Prière de ne pas rire.
En effet, ce qui fait réagir des élus de tous bords (sauf LR, pour le moment), c’est bien évidemment le risque de conflit d’intérêts. Pour Éliane Romani, chef du groupe écologiste citée par Le Monde, M. Rottner « utilise le réseau qu’il a acquis dans ses fonctions publiques pour aller servir une organisation privée qui a des rapports avec les collectivités, c’est une définition du pantouflage ». Pour le macroniste Christophe Choserot, « il part avec une quantité de données territoriales importantes. Qui est mieux placé qu’un président de région pour faire du conseil et de l’accompagnement territorial ? Peut-être qu’un jour en tant que maire je vais le recevoir pour tel ou tel projet, c’est troublant ». Même la HATVP (Haute Autorité pour la transparence de la vie publique) a été gênée aux entournures et a rendu, en septembre, un avis « compatible avec réserves »…
Et Laurent Jacobelli, chef du groupe RN au conseil régional, dénonce un véritable « scandale » puisque les choses étaient faites depuis six mois :
Scandale !On apprend de l’ @hatpv que J. Rottner savait dès juillet qu’il irait dans le privé ! Il a menti 6 mois, et n’a démissionné qu’une fois son budget adopté. Pourquoi ? Au passage il a aussi touché 150.000 € d’une société de conseil. Il est urgent de changer d’équipe ! pic.twitter.com/nh4550Awzm
— Laurent Jacobelli (@ljacobelli) December 30, 2022
Mais le scandale est peut-être aussi démocratique : Jean Rottner a été élu il y a dix-huit mois seulement pour un mandat qui court jusqu’en 2028. Pire : élu LR sur une ligne d’opposition au macronisme, il va laisser son poste à un élu Horizons, donc macroniste ! En effet, le 13 janvier prochain, le conseil régional élira probablement le dauphin désigné Franck Leroy, maire d’Épernay. Et cela correspond bien à l’évolution de Jean Rottner depuis la réélection d’Emmanuel Macron.
Pour Laurent Jacobelli, il s’agit là d’une « double trahison » : « Les gens votent mais ne sont pas sûrs du président et de la politique qu’ils auront. Jean Rottner était dans une position d’opposition à Emmanuel Macron, et on va se retrouver avec un Franck Leroy pro-macroniste. Tout ceci laisse un sentiment brouillon, un sentiment d’opportunisme permanent qui pose problème dans une région qui a toujours du mal à se définir. » Rappelons que la liste LREM avait réalisé, en 2021, un score de… 12 % dans le Grand Est.
On identifie bien les gagnants de ce jeu de chaises musicales qui se fait dans le dos des électeurs. Et les perdants aussi.
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