Les sanctions ont longtemps été l’arme économique préférée des États-Unis, mais l’époque de leur hégémonie touche à sa fin. La permissivité avec laquelle Washington usait de mesures punitives a provoqué une résistance du monde. La Russie et la Chine ont déjà remporté au moins une victoire dans la lutte contre les sanctions.
Les sanctions ont longtemps été l’arme économique préférée des États-Unis, écrit Agathe Demarais dans le magazine Foreign Affairs. La réaction de l’administration Biden à l’opération spéciale russe en Ukraine est révélatrice : elle a immédiatement imposé à Moscou plusieurs mesures économiques punitives et a appelé d’autres gouvernement à en faire de même. Le fait que les sanctions soient un instrument populaire des politiques américains a un certain sens. Elles comblent l’espace entre les déclarations diplomatiques vides et les interventions militaires meurtrières. Néanmoins, « l’âge d’or » des sanctions américaines pourrait se terminer prochainement.
Tandis que Washington compte de plus en plus sur les sanctions, plusieurs États visés ont commencé à renforcer leur économie contre de telles restrictions. Trois évènements survenus cette dernière décennie ont particulièrement convaincu de cette nécessité.
En 2012, les États-Unis ont déconnecté l’Iran du système mondial de messagerie financière Swift, qui assure pratiquement tous les paiements internationaux, afin d’isoler ce pays financièrement. Et d’autres rivaux des États-Unis se sont immédiatement demandé s’ils ne deviendraient pas les prochains.
Ensuite, en 2014, les pays occidentaux ont décrété des sanctions contre la Russie après le rattachement de la Crimée, ce qui a naturellement incité Moscou à faire de l’autonomie économique sa priorité.
Enfin, en 2017, Washington a déclenché une guerre commerciale contre Pékin, qui a rapidement touché le secteur des hautes technologies. Restreignant les exportations de leur savoir-faire en matière de semi-conducteurs en Chine, les États-Unis ont informé tous les adversaires que leur accès aux technologies primordiales pourrait être limité.
Ces trois épisodes ont contribué à l’apparition d’un nouveau phénomène : une résistance organisée contre les sanctions. La capacité des États-Unis d’imposer des sanctions à d’autres pays vient de la primauté du dollar américain dans le commerce mondial et du niveau de contrôle de Washington sur les canaux financiers mondiaux. C’est pourquoi plusieurs pays ont commencé à résister, à chercher et à utiliser des innovations financières afin de minimiser l’impact des restrictions.
« De plus en plus de tels pays les retrouvent dans les accords sur les échanges de devises, les alternatives au Swift et aux monnaies numériques », écrit Agathe Demarais.
En particulier, indique l’auteur, la Chine a activement commencé à recourir aux doubles échanges qui permettent d’éviter le dollar américain dans les paiements entre les pays. Pékin a immédiatement signé des accords sur les échanges de devises avec plus de 60 pays, dont l’Argentine, le Pakistan, la Russie, l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, la Turquie et les Émirats arabes unis pour presque 500 milliards de dollars. L’objectif de la Chine est clair : permettre aux entreprises de contourner les canaux financiers américains quand Pékin le voudra.
En 2020, la Chine a payé pour la première fois plus de la moitié de ses échanges avec la Russie dans une autre devise que le dollar américain, ce qui a permis à la plupart de ces échanges commerciaux d’éviter les sanctions américaines. Cela ne doit surprendre personne que la Russie et la Chine mettent au point des canaux de paiement en utilisant le yuan et le rouble. En mars 2020, l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), qui inclut la Chine, l’Inde et la Russie, a attribué une priorité au développement des paiements dans leurs monnaies nationales afin de contourner le dollar et les sanctions des États-Unis.
La volonté grandissante de la Chine de renoncer au dollar américain est légitime, compte tenu de l’état catastrophique des relations entre Washington et Pékin. Mais les alliés américains signent également des accords d’échange de devises.
D’autres pays ont suivi l’exemple de la Chine, y compris la Russie et l’Inde, lorsque cette dernière, en 2019, a acheté des systèmes antiaériens russes S-400.
Le contrat de 5 milliards de dollars devait provoquer des sanctions américaines. Mais New Delhi et Moscou ont relancé l’accord sur les échanges de devises qui existait encore à l’époque soviétique. L’Inde a acheté des missiles russes en utilisant des roubles et des roupies, en évitant ainsi les sanctions américaines qui auraient pu être utilisées pour saboter cette transaction.
Un autre moyen utilisé par les pays pour se prémunir contre les sanctions est l’élaboration de leurs propres systèmes de paiement. Tant que les pays continuent d’utiliser des canaux financiers occidentaux, notamment le Swift, ils ne seront pas à l’abri des restrictions. Une déconnexion totale d’un pays du Swift est « l’option nucléaire » dans l’arsenal des mesures restrictives américaines. Elle a été utilisée une seule fois, contre l’Iran. C’est pourquoi la Chine et la Russie préparent activement leurs propres systèmes alternatifs au système de messagerie financière au cas où les pays occidentaux décidaient de les déconnecter complètement du Swift.
L’alternative chinoise, connue comme Système de paiement interbancaire transfrontalier (Cross-Border Interbank Payment System), ne peut pas encore faire concurrence au Swift. Mais l’existence en soi du CIPS est une victoire de Moscou et de Pékin, car leur objectif consiste à avoir un système alternatif au Swift fonctionnel et non le plus grand système de paiement. Ce qui est important pour la Russie et la Chine, c’est l’adhésion à ce système d’environ 1300 banques de plus de 100 pays. Si Moscou et Pékin se retrouvaient complètement déconnectés du Swift, ils disposeraient déjà d’une copie en réserve.
La monnaie numérique est le troisième instrument utilisé par les rivaux des États-Unis pour contourner les sanctions. La Chine est en tête en la matière. Près de 300 millions de Chinois utilisent déjà le yuan numérique dans plus de 20 villes du pays. Cette monnaie numérique est émise par la Banque centrale de Chine et elle est stockée sur les smartphones des citoyens chinois.
Le yuan numérique est protégé contre les sanctions. Les États-Unis sont dans l’incapacité de limiter l’usage de la monnaie virtuelle émise par la banque centrale d’un autre pays.
Séparément, les accords sur les échanges de devises, la création de systèmes de paiement alternatifs et le développement de la monnaie numérique n’affecteront pas l’efficacité des sanctions américaines. Mais ensemble, ces innovations permettent de plus en plus aux pays d’effectuer des transactions via des canaux protégés contre les sanctions. Et cette tendance en soi semble irréversible. Rien ne prête à penser que les relations entre Washington et Pékin ou Washington et Moscou s’amélioreront à court terme. Au contraire, il est fort probable que la situation se détériora, ce qui incitera Pékin et Moscou à redoubler d’efforts pour se protéger contre les sanctions américaines.
source : Observateur Continental
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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