Aujourd’hui est mort un grand homme. Dans le cloître de sa dernière demeure, le pape émérite Benoît XVI s’est éteint à l’âge de 95 ans. Tous les fidèles, par leur respect et leurs plus sincères prières, rendent aujourd’hui hommage à la vie et à l’œuvre d’un homme de Dieu.
À toutes les étapes de sa vie de baptisé, Joseph Ratzinger a su remettre son travail dans les mains de Celui qui rend toute chose nouvelle. Il est certainement difficile de résumer la vie d’une personne de cette envergure, alors que la diversité de ses engagements ne peut être classée dans aucune catégorie.
Que retenir de l’esprit et de l’héritage de ce grand pape ?
Parlons tout d’abord de sa grande fidélité à la grâce reçue lors de ses engagements sacerdotaux, ensuite, la finesse de son travail théologique et sa collaboration étroite avec le saint pape Jean-Paul II et, enfin, le côté profondément réformateur de son pontificat.
Un Père de l’Église postconciliaire
Joseph Ratzinger a été d’abord et avant tout un théologien féru de contemplation du mystère divin.
Que ce soit lors de ses recherches doctorales sur saint Bonaventure, ses nombreuses années comme professeur dans les plus prestigieuses universités allemandes ou son influence intellectuelle au cœur des grands débats qui ont marqué cette étape de sa vie, il a toujours su résister à la tentation d’emprisonner la Révélation dans un carcan idéologique.
Cette solidité que lui donnait la grâce de la fidélité à l’esprit du patrimoine théologique bimillénaire de l’Église, il savait la traduire de manière à ce qu’elle soit compréhensible aux hommes et aux femmes de notre temps. J’ai notamment en tête le livre de dialogue coécrit avec le philosophe Jürgen Habermas qui a certainement permis de délier bien des nœuds dans les facultés de l’époque.
Comme il le dira plus tard, sa vie s’est développée à l’image des moines bénédictins constructeurs de l’Europe qui, par leur recherche incessante de Dieu « vivaient les yeux tournés vers la fin du monde ou vers leur propre mort – mais au sens existentiel : derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif ». Cette ouverture au dialogue le rendait également très lucide devant la naïveté de nombreux intellectuels des années 1970 prêts à échanger les trésors de la foi contre des contrefaçons.
Cherchant à garder une tension féconde entre le déjà-là et pas encore du Royaume de Dieu, Joseph Ratzinger a pu distinguer ce qui relevait de l’authentique Révélation en Jésus-Christ de tous les réductionnismes aussi populaires fussent-ils. Se tenir debout devant ce qui pourrait être qualifié de raz-de-marée de la confusion demandait beaucoup de courage. C’est certainement l’une des raisons pour laquelle il a été appelé à Rome.
Un collègue et ami fidèle
Après sa nomination en tant que cardinal et un bref passage de quatre ans à l’archevêché de Munich, Mgr Ratzinger a été appelé par Jean-Paul II à servir à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF). Pendant 24 ans, en tant que Préfet de la CDF, il a collaboré au pontificat du saint pape polonais dans l’immense travail d’interprétation et d’application du Concile Vatican II à l’aube du nouveau millénaire.
Encore une fois, cette mission minutieuse de préservation et de discernement de la signification du dépôt de la Foi dans l’aujourd’hui de l’Église ne lui vaudra pas que des sympathies. Loin de se limiter aux milieux universitaires et de la culture populaire, certaines utopies à la mode à cette époque allaient trouver des porte-parole à l’intérieur de l’Église.
Une très belle amitié se développera au fil des ans entre les deux hommes. Une unité de pensée et de cœur dont le point central sera leur commun amour du Christ. Ensemble, ils traverseront de nombreuses crises et combats non pas contre (puisqu’ils ne laissaient aucune rancœur s’emparer de leur jugement) mais devant un monde occidental obnubilé par ce qui apparaît de plus en plus comme des mirages.
En ce sens, je me rappelle, lors de mes années d’études à Rome, avoir été frappé lorsque Benoît XVI a partagé son expérience d’une manière aussi ouverte. En effet, lors de la Veillée de prière de conclusion de l’année sacerdotale, il affirmait :
«Je suis la théologie depuis 1946. J’ai commencé à étudier la théologie en janvier 1946, j’ai donc vu près de trois générations de théologiens. Et je peux dire que les hypothèses qui à cette époque-là, puis dans les années 1970 et 1980, étaient les plus nouvelles, absolument « scientifiques », absolument presque « dogmatiques », ont vieilli entre temps et n’ont [aujourd’hui ]plus de valeur ! Beaucoup d’entre elles apparaissent presque ridicules. Il faut donc avoir le courage de résister à l’apparente scientificité, ne pas se soumettre à toutes les hypothèses du moment, mais penser réellement à partir de la grande foi de l’Église, qui est présente en tout temps et nous ouvre l’accès à la vérité.»
Cette profonde fidélité à la Tradition de l’Église lui permettait donc de faire preuve du discernement nécessaire à la reconnaissance des authentiques « signes des temps ». En ce sens, et pour reprendre ses propres mots, les documents de la CDF sous son préfectorat n’ont rien de « ridicules » et n’ont pas pris une ride !
J’ose donc une prédiction en cette journée triste en même temps que pleine d’espérance : l’Opera Omnia, un recueil en plusieurs tomes des travaux et écrits de Joseph Ratzinger, passera à l’histoire et contribuera à nourrir la réflexion des théologiens pour plusieurs siècles.
Un pape réformateur
À la suite du départ de saint Jean-Paul ll vers la maison du Père, le cardinal Ratzinger allait être choisi par ses frères du collège des cardinaux pour lui succéder. Prenant le nom de Benoît XVI, il allait envoyer un double message :
Par ce nom du saint patron de l’Europe, il allait chercher à convaincre ses contemporains de la nécessité d’un retour aux fondements (Jérusalem, Rome et Athènes) du continent qui l’avait vu naître.
Or, il prenait également sur lui l’héritage de Benoît XV, pape de la Première Guerre mondiale qui avait dû panser les plaies résultant de ce grand carnage. Il voulait donc mettre en garde contre les violentes conséquences pouvant découler d’un divorce entre la raison et la foi, d’une part, mais également d’une raison autoréférentielle fermée aux apports des grandes traditions religieuses.
Un résumé du pontificat de Benoît XVI ne saurait être complet sans un rappel de l’année sacerdotale durant laquelle il donnait aux prêtres un modèle dans la personne du saint curé d’Ars. Il soulignait ainsi, non seulement la beauté du sacrement de l’Ordre, mais également l’apport inestimable des centaines de milliers de prêtres, évêques et diacres, qui offrent tous les jours le sacrifice de leur vie au service du peuple de Dieu.
Quelques années plus tard, Benoît XVI allait surprendre le monde entier en faisant l’annonce (en latin) de sa renonciation comme tête de l’Église catholique. Après plusieurs signes de faiblesse physiques, Benoît XVI allait encore une fois faire preuve de courage, d’audace et de liberté en renonçant à sa charge d’évêque de Rome.
Tel un moine exilé, le fidèle disciple de saint Benoît allait se retirer dans le cloître d’une humble demeure au cœur des jardins du Vatican. Là, dans le silence de la prière et de la contemplation, le pape émérite allait terminer sa vie dans un témoignage on ne peut plus clair à la primauté de la prière.
Au cœur d’un monde illusionné par la rapidité et les développements technologiques, Joseph Ratzinger allait montrer où se trouvait la véritable efficacité. Cet héritage d’une vie cachée, à la manière des trente premières années de la vie de Jésus, allait retrouver de nombreux échos dans le pontificat de celui qui allait lui succéder.
J’offre en exemple la place centrale qu’allait prendre la contemplation dans l’encyclique du pape François Laudato Sì. Quel meilleur moyen de ralentir la course aussi effrénée qu’insensée à la consommation que de réapprendre à regarder la beauté du monde avec les yeux du cœur !
Un homme de la Transfiguration
Le dimanche 24 février 2013, lors de son dernier Angélus avant de se retirer définitivement, le pape Benoît XVI, évidemment ému, allait offrir le fruit de sa méditation sur l’épisode théologiquement très dense de la Transfiguration :
«Je sens que cette Parole de Dieu m’est tout particulièrement adressée, en ce moment de ma vie. Merci ! Le Seigneur m’appelle à cette « ascension du mont », à me consacrer encore davantage à la prière et à la méditation. Mais cela ne signifie pas abandonner l’Église, au contraire, si Dieu me demande cela c’est précisément pour que je puisse continuer à la servir avec le même dévouement et le même amour avec lesquels j’ai essayé de le faire jusqu’à présent, mais de manière plus adaptée à mon âge et à mes forces.»
Aujourd’hui, un grand homme nous a quittés. Que ce soit par le témoignage de sa vie cachée, par sa fidélité à la grâce du baptême et du sacrement de l’Ordre, par la qualité de sa contemplation et son charisme de discernement de la vérité, par son jugement et sa persévérante collaboration au ministère du saint pape Jean-Paul II, le pape émérite Benoît XVI nous laisse un double héritage :
D’une part, une œuvre gigantesque à inscrire au patrimoine de la grande Tradition théologique de l’Église et, d’autre part, le défi de faire de notre vie le lieu de la révélation de la divinité parmi les hommes.
À l’image de la Transfiguration, laissons transparaître en notre vie le dynamisme de la vie trinitaire dans laquelle Jésus nous rend participants. Ainsi, le moment venu, nous pourrons nous aussi rejoindre notre seule et véritable patrie.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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