L’influence croissante de ce pays d’Afrique du Nord le place dans le collimateur des États-Unis.
Par Robert Inlakesh
Source : RT, le 13 décembre 2022
Traduction : lecridespeuples.fr
La crise énergétique de 2022 a permis à l’Algérie de gagner en richesse et en poids politique dans la région.
Alors qu’Alger continue de jouer un rôle plus important dans les affaires du Moyen-Orient et de l’Afrique, sera-t-elle confrontée à des pressions américaines, voire à des tentatives de changement de régime, pour ses positions de politique étrangère qui ne s’alignent pas sur celles de l’Occident ?
En septembre 2022, des membres du Congrès américain ont évoqué la loi CAATSA (Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act) de 2017 pour demander que des sanctions soient imposées à l’Algérie en raison d’accords d’armement avec Moscou. Ce plaidoyer est intervenu peu de temps après que le sénateur républicain Marco Rubio ait avancé le même argument dans une lettre adressée au secrétaire d’État Antony Blinken.
Depuis l’époque de la guerre froide, l’État algérien s’est tenu en dehors de l’orbite de l’Occident, prêtant plutôt sa faveur aux mouvements de libération nationale et poursuivant une plate-forme de politique étrangère plus personnalisée. Cela l’a opposé à son voisin occidental, le Maroc, qui a choisi de s’aligner sur l’Occident. Aujourd’hui, les tensions sont à nouveau vives entre les dirigeants nord-africains voisins à propos d’un alignement similaire, en particulier depuis que le Maroc a décidé de normaliser ses relations avec Israël sous la pression de l’administration du président américain de l’époque, Donald Trump. Une course aux armements s’est développée entre les deux nations depuis 2015, les deux gouvernements se retrouvant davantage liés à leurs allégeances Est-Ouest.
Voir Le Maroc rejoint le train de la normalisation avec Israël
Dans le contexte des tensions avec son voisin nord-africain aligné sur l’Occident, Alger a émergé en 2022 comme un acteur régional revivifié. Alors que la crise énergétique mondiale se poursuit au milieu du bras de fer entre l’Occident et la Russie en Ukraine, l’Algérie s’en sort bien et avec plus de richesse. Rien qu’au cours des cinq premiers mois de cette année, les recettes pétrolières et gazières de l’Algérie ont explosé de plus de 70 %, pour un total de 21,5 milliards de dollars. Cela a donné à Alger une plus grande liberté pour travailler sur ses objectifs de défense et ses projets d’infrastructure.
L’Algérie fait des progrès considérables dans la construction d’un mode de vie durable et travaille sur des projets visant à fournir davantage d’emplois à ses citoyens. L’un de ces projets est la construction d’une ville futuriste appelée Boughezoul. Cette ville accueillera non seulement 400 000 nouveaux résidents dans le cadre de sa stratégie visant à éliminer les bidonvilles et les logements abandonnés, mais elle cherche également à accueillir l’agence spatiale algérienne, une nouvelle gare ferroviaire et un nouvel aéroport international. De tels efforts, associés à la reprise des expositions militaires le jour de l’indépendance de la nation, semblent représenter un réel effort pour rassurer la population sur les intentions du gouvernement après des années de méfiance et de manifestations de masse.
Outre les tentatives actuelles de tirer le meilleur parti des nouveaux avantages économiques au niveau national, Alger semble également déterminée à avoir son propre impact sur les affaires régionales. Alors que la nation a coupé les liens avec le Maroc voisin, en partie à cause de l’influence des services de renseignements et de l’armée israéliens, ainsi que du soutien présumé du Maroc aux groupes séparatistes de Kabylie, elle cherche désormais à s’aligner davantage sur la Tunisie.
L’Algérie, troisième fournisseur de gaz de l’Europe, a suscité un intérêt significatif cette année, devenant désormais le premier fournisseur de l’Italie, alors que les liens militaires semblent également se renforcer. Dans le cas de la Tunisie, l’Algérie a accordé sa reconnaissance au président de la nation, Kais Saied, qui dépend du gaz algérien et reçoit des fournitures à un taux réduit. Tunis est confrontée à une crise économique aiguë et a été accusée d’échanger ses relations historiquement cordiales avec le Maroc contre des liens plus étroits avec l’Algérie. Le président tunisien a invité Brahim Ghali, le chef du Front Polisario –un mouvement qui lutte pour le territoire contesté du Sahara occidental, contre le Maroc– à la huitième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique, qui s’est tenue en Tunisie en août. L’invitation de l’ennemi juré du Maroc dans le pays a entraîné le retrait consécutif des ambassadeurs entre la Tunisie et le Maroc. L’Algérie soutient le Front Polisario dans sa lutte pour le Sahara occidental.
Pour le président algérien Abdelmajid Tebboune, garder la Tunisie à ses côtés est une question importante, car il craint que le bloc émirien-saoudien-égyptien n’affirme sa propre domination sur les politiques de Tunis. Kais Saied, qui a pris le pouvoir en octobre 2019, se situe clairement dans la sphère d’influence des Émirats arabes unis, contrairement à ses adversaires du parti Ennahda qui s’alignent sur le Qatar et les Frères musulmans. En raison d’une si forte influence d’Abu Dhabi en Afrique du Nord, l’Algérie est amenée à jouer un jeu d’équilibre prudent.
La réconciliation palestinienne est une autre question majeure dans laquelle Alger s’implique désormais. Elle a accueilli un certain nombre de réunions entre les partis rivaux, le Hamas et le Fatah, afin de combler le fossé et de développer une plateforme plus solide à partir de laquelle plaider en faveur d’un État palestinien. La question de la création d’un État palestinien a également constitué un thème central du sommet de la Ligue arabe en novembre, l’Algérie ayant tenté de renforcer sa position au niveau régional en accueillant la réunion.
Bien qu’elle doive faire preuve d’un équilibre prudent, tant au niveau régional qu’international, l’Algérie est apparue cette année comme un acteur clé en Afrique, au Moyen-Orient et au-delà. Elle a même tenu tête à son ancienne puissance colonisatrice, la France, en forçant le président Emmanuel Macron à changer sa rhétorique sur Alger et a ouvert la voie à l’abandon du français dans le système éducatif au profit de l’anglais, érodant ainsi davantage l’influence de la France.
Toutes les mesures prises par l’Algérie indiquent qu’elle a l’intention de continuer à adopter des politiques qui ne sont pas nécessairement alignées sur les intérêts occidentaux et qui entrent parfois en conflit direct avec eux. C’est pourquoi les menaces des membres du Congrès et des sénateurs américains d’imposer des sanctions à l’Algérie ont commencé à faire sourciller. L’ambassadrice américaine en Algérie, Elizabeth Moore Aubin, a refusé de répondre à des questions sur l’imposition hypothétique de sanctions, préférant se concentrer sur son travail, ce qui peut indiquer que de telles décisions ne sont pas dans l’esprit immédiat des hauts responsables américains. Cependant, les responsables du parti républicain ont certainement remué le couteau dans la plaie. La question est maintenant de savoir jusqu’où Washington ira pour punir l’Algérie de son refus d’abandonner Moscou et si la stratégie à venir pourrait consister à utiliser le Maroc contre l’Algérie.
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