L’été dernier, je suis allé à New York pour la première fois afin de visiter mon collègue et ami Benjamin.
Après le vertige euphorique que provoquent les tours de la City, j’ai rapidement éprouvé une autre nausée. La ville qui ne dort jamais est follement démesurée: trop vite, trop riche, trop bruyante, trop grande. L’offre de commerces et d’activités parait illimitée.
Benjamin m’a fait remarquer qu’il est humainement impossible d’essayer tous les restaurants, car il s’en trouve qui ouvrent et ferment chaque jour. En avançant dans les rues, j’avais la même impression qu’en faisant défiler ma page Facebook: une nouveauté surabondante et captivante, mais finalement fatigante et décevante. Trop, c’est comme pas assez.
L’être humain est très limité. Son corps et son esprit ne peuvent prétendre tout pouvoir, tout savoir. Nous sommes fragiles et faillibles. Malgré cela, notre cœur est comme un puits sans fond, creusé par une soif de joie et de vérité impossible à étancher. Les donjuans, traders et junkies de ce monde en sont la démonstration dans l’ordre du vice: jamais assez, toujours plus. Jusqu’à tuer autrui, ou à en crever soi-même.
Comment l’homme peut-il donc s’ouvrir sur l’infini sans s’y perdre?
Notre culture technoscientifique et ses disciples transhumanistes croient combler ce désir en repoussant toujours plus loin nos limites. Moins de contraintes, plus de choix: voilà la clé qu’ils proposent. Une croissance économique «infinie», combinée à une technologie «sans bornes», suggère que les frontières de notre nature sont poreuses, voire évanescentes. Et pourtant, qui peut se dire comblé par ce mirage?
Entre fini et infini
Déjà, dans l’Antiquité, Aristote distinguait deux types d’infinis. L’infini «potentiel», d’abord, est ce à quoi on peut toujours ajouter quelque chose: une somme d’argent, une durée ou une distance. Il est dans les faits toujours limité, mais virtuellement illimité. C’est l’infini, mais dans le sens usuel d’indéfini ou d’inaccompli.
Puis, l’infini au sens strict, ou «infini actuel», est ce qui est toujours au-delà de ce qu’on peut concevoir. C’est l’infini de soi sans terme ou limite et, de ce fait, inquantifiable. L’éternité, par exemple, est sans commencement ni fin. Pour le philosophe réaliste, aucun être naturel et matériel ne peut être infini en ce sens. C’est une marque de perfection absolue, un privilège divin.
Travestir l’illimité en infini est la plus grande misère de l’homme. C’est le péché d’idolâtrie. Les gratte-ciels de New York en sont un symbole frappant. Une fois en haut, on réalise que ces tours de Babel du capitalisme nous éloignent de la terre sans pour autant nous rapprocher du ciel. L’accumulation des biens finis ne mènera jamais à l’atteinte du Bien infini, puisque l’illimité est sans commune mesure avec l’infini.
Plutôt que de multiplier les choix, la personne en quête de plénitude gagne à les simplifier. C’est la grande révélation de saint Augustin, à l’origine de sa conversion: «Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en toi.» Pour combler notre désir d’infini, «une seule chose est nécessaire».
Dieu seul suffit.
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