par Danielle Bleitrach.
Comment interpréter, traduire certains messages reçus d’Odessa? Les différents articles que nous publions aujourd’hui dans histoireetsociete illustrent tous à leur manière le basculement géopolitique que nous sommes en train de vivre au niveau mondial avec un double centre, comme dans une ellipse, pour le monde multipolaire: 1) l’impulsion chinoise dans les relations sud-sud et 2) la guerre européenne en Ukraine avec des Etats-Unis utilisant leurs vassaux européens pour conserver l’hégémonie. Et il nous convient de montrer comment “le petit homme”, celui qui subit la Storia, nous tous tentons de conserver un difficile équilibre dans le séisme… Voici donc venu d’Odessa d’énigmatiques messages…
Déjà en temps de paix, il y a une subtilité propre à cette ville, à ses malicieux habitants qui nous baladent sur les chemins de traverse et qui nous perdent à force de précisions, de luxe de détails. Qui a lu Isaac Babel et ses contes d’Odessa peut aisément entrevoir ce dont je parle. Les récits de cet écrivain soviétique sont des bribes d’histoire qui s’entremêlent les unes dans les autres, dans les dédales du quartier juif d’Odessa, la Moldavanka. Benia Krik, le roi des mendiants, en est le picaresque héros, révolutionnaire et escroc… mafieux invétéré, derrière lequel la police que ce soit celle du tsar ou du pouvoir révolutionnaire court en vain. Les produits de ses rapines sont jetés sur la table d’un festin de mariage dans lequel un fragile adolescent est offert à une goule centenaire “ À ce repas de noces on servit des dindons, des poulets rôtis, des oies, du poisson farci et une soupe de poisson dans laquelle des lacs de citron jetaient des reflets nacrés. Sur les têtes mortes des oies, des fleurs se balançaient comme des plumets somptueux. Mais le ressac écumeux de la mer d’Odessa jette-t-il des poulets rôtis sur le rivage ? “
Vous voyez ce que je veux dire ? Benia Krik est la version poétique de l’ordure réelle, Igor Kolomoïsky le patron de la fripouille Zelensky, finis les attendrissements de ces petits gangsters de la Moldavanka, avec Zelensky le gangstérisme a des puanteurs de charnier. C’est un peu comme Marseille, quand on passe des petits voyous, une ville qui se nourrit de ce qui tombe du camion, où l’on travaille au black à pire, bien pire, les Sabiani, les tortionnaires de la Gestapo même si dans Borsalino ils ont le visage aimable d’Alain Delon et Jean-Paul Belmondo, ça arrache des hurlements dans les locaux de la rue paradis, à la manière dont à Lyon Barbie faisait joujou avec Jean Moulin, tous les voyous ne vont pas jusque là…
Odessa est un peu hors la loi, comme la plupart des ports, mais aussi ce lieu d’exil où la tsarine et son amant Potemkine envoyaient rejoindre les juifs et leur Ghetto, aux écrivains comme Pouchkine, pour insolence… comme en Crimée… On y parle russe et russe seulement, avec délectation, pour se moquer de tout et en particulier du peuple des “cogne-têtes” ainsi nommés parce qu’ils fassent leur prière ou voient-ils un mur, ces hyperborréens avaient coutume d’y flanquer un coup de tête, mais ce n’est pas de Babel de parler ainsi… Lui n’est pas un satyrique rabelaisien, de ces grotesques dont abonde la littérature russe. Il y a de la sobriété dans son écriture, la clarté française d’un Maupassant. Là encore, Odessa avec ses élégances, qui se veut aussi française parce que ses plans furent conçues par un certain Richelieu… Les Russes se prennent aussi pour des Français, élégants, révolutionnaires… En tant qu’odessites, il pratiquent le witz, la plaisanterie juive… ils sont en Orient, avec ses bazars. Et on y sent les odeurs de la cuisine Yiddish, celles qui m’accueillaient enfant chez ma grand-mère. Si tu restes un an à Odessa tu deviens juif dit le proverbe. Odessa, le Potemkine, dégringolant vers le Port, l’escalier d’où dévale éternellement un landau tandis que les armées blanches tirent sur le peuple révolté.
Cette ville à la familière étrangeté, je m’y suis rendue sous occupation ukrainienne, celle des auteurs d’un coup d’Etat encadré par les USA mais aussi Laurent Fabius alors ministre des Affaires étrangères, socialiste excusez du peu, les “révoltés” du Maïdan en 2015. Oui “occupation ukrainienne” avec ceux qui prétendaient imposer à mes hôtes de parler seulement ukrainien, avec des affichettes interdisant l’usage du russe dans les lieux publics… Nous y avons été accueillies, Marianne et moi, par ces amis en état de clandestinité. Ces dédales que l’on nous faisait suivre pour semer dieu sait quel poursuivant n’était pas que du pur folklore, un mauvais remake du troisième homme… Puis il y a eu la découverte de ce qui s’était passé à la maison des syndicats, 48 personnes brûlées vives et l’interdiction d’en parler y compris pour leurs mères, les attitudes énigmatiques ont pris du sens. Nous n’avons pas posé de questions Marianne et moi. Qui étaient-ils et de quoi vivaient ces amis ? je l’ignore.
Depuis je reçois périodiquement des messages de certain d’entre eux, celui-là s’appelle Vitali, un grand géant blond plus russe qu’il est possible, il a des propos décalés. Vu le contexte, peut-être s’agit-il des banalités habituelles des réseaux sociaux? peut-être cherche-t-il à me dire quelque chose ?.. j’ai reçu par exemple il y a trois jours cet extrait de film avec la performance d’acteur soviétique, Evgeny Leonov, un comique, très aimé du public pour sa gentillesse, sa bonhommie, son grand talent, un communiste engagé, héros de l’Union soviétique mort en 1994 d’un arrêt cardiaque, son coeur n’aura pas très longtemps battu à la disparition de sa patrie. Donc mon correspondant odessite envoie des scènes d’un film assorties du message suivant :
“C’est en fait Samarkande! Oui le film se passe à Samarkande, mais que veut dire Vitali en le soulignant : Est-ce qu’il veut dire qu’Odessa a quelque chose à voir avec l’Asie centrale, l’Ouzbekistan ou qu’il s’agit bien d’Odessa mais qu’il faut transposer… C’est du pareil au même ?
Evgeny Leonov, l’acteur précise-t-il, se souvenait du tournage de la scène la plus drôle du film : “Je n’oublierai jamais comment ils nous ont plongés dans le mortier de ciment. Mais les acteurs sont des gens ainsi faits – si le rôle est bon, ils sont prêts à tout. Le jour est venu où ils ont commencé à nous plonger dans le ciment. Mais il s’est avéré que c’était un autre type de ciment. Bref, le ciment ne nous a pas acceptés, il nous a refoulés… Il a fallu une autre citerne avec de la pâte quelconque, celle pour le pain au levain. Elle était également teinté d’essence d’oignon vert, mais la composition était toujours aussi acidulée et collante… Rappelez-vous : “Quel bon ciment ! Il ne s’enlève pas du tout au lavage !”. Nous tournions près de Samarkand, il y avait une usine et une salle de douche attenante, et il nous a fallu environ quarante-cinq minutes pour nous débarrasser du composé, nos pores ont recommencé à respirer, nous avons commencé à redevenir des êtres humains et à regarder autour de nous – Vitsin n’était pas là. Il s’est avéré qu’il était toujours dans le réservoir parce qu’il avait découvert que le mélange était un composé de 23 herbes médicinales et qu’il prolongeait la jeunesse de 15 ans.
Que veut dire Vitaly avec cet extrait de film, ce commentaire ? Qu’ils sont dans la merde, probablement ou simplement que comme la plupart des Russes, il adore les films soviétiques ? Les Russes ne s’en lassent pas… Les anciens films soviétiques passent souvent à la télévision et ils y font l’audience maximale … Donc pourquoi ces extraits ? Cette fuite mais vers Moscou par les moyens du bord… les déguisements… Je l’ignore mais je sais à quel point l’atmosphère à Odessa est pesante. L’impossibilité de dire ce que l’on vit sous occupation ukrainienne, quand on est obligé de parler ukrainien, alors on se moque en jouant sur la naïveté (comme dans le soldat Schweik mais là c’est une autre histoire, peut-être pas!). On me dit que depuis 2015 beaucoup de choses ont changé, que ceux qui se plaignaient de “l’occupation” sont devenus des “patriotes” ukrainiens… Je n’en sais rien, j’ignore tout de cette “conversion” et je m’étonne que ceux que le pouvoir de Kiev mobilise de force contre les séparatistes du Donbass soient en majorité des gens du sud et de l’est que l’on envoie contre les Russes et ceux qui y sont de l’est et du sud. Pourquoi les habitants de l’ouest, ceux déjà à moitié polonais et otanisés bénéficient d’un autre régime et pourquoi voit-on des jeunes hommes et des jeunes femmes qui devraient être mobilisés venir si nombreux dans nos pays ?
Aujourd’hui toujours d’Odessa, il y avait cette fois cette illustration et ce commentaire en russe, de Vitali, j’ai traduit son message avec le traducteur automatique et j’ai repris la photo pour illustrer l’article. En fait, je me suis dit que c’était un dialogue sur les pannes de courant entre lui et ceux du Donbass qui subissent autre chose depuis 9 ans que des pannes…
“Une fois, lors d’une des pannes, j’ai écrit que je subissais des inconvénients. Et là c’est parti : mais ici nous sommes dans le Donbass depuis 9 ans, etc.
Oui, je le répète, mon travail dépend de la disponibilité de 220 Volts dans le réseau! Hier, ces 220 volts étaient là presque toute la journée, aujourd’hui ils sont là.
Dans ce contexte, je suis très reconnaissant envers les maîtres, installateurs, ingénieurs qui réparent 24/7 les fils, les transformateurs, les tours. Merci aussi à ces soldats qui abattent des drones et des missiles, car les conséquences auraient pu être encore plus graves.
cela me fait souvenir de ce grand marché à Odessa, deux femmes avec leur étal de légumes des plus modestes échangeaient à haute voix des propos que Marianne m’avait traduits en riant, elles disaient : “nous on ne dit pas du bien de l’Union soviétique, On n’en dit pas! Jamais! En union soviétique les prix étaient stables, la nourriture était abondante. Mais bien sur il ne faut pas dire du bien de l’Union soviétique, alors nous on n’en dit pas“… Voilà ça c’est Odessa…
Voilà que vous dire de plus alors qu’au même moment je lis la nouvelle concernant la répression par l’armée ukrainienne des gens de Kherson considérés comme des “collaborateurs”. La nouvelle escroquerie à la crypto monnaie dans laquelle est mouillée jusqu’au cou Zelensky mais aussi Kolomoïsky, ils ont d’ailleurs voté une loi en catastrophe pour que ces truands ne soient pas inquiétés… Madame Macron reçoit madame Zelenska à l’Elysée, qu’elle se racontent? Des histoires de…
Comment interpréter ce que dit Vitali, au moment où on nous menace ici de coupures de courant et où je commence à me geler faute de vouloir monter le chauffage… Que les libérateurs russes sont de sacrés emmerdeurs ? que les bombes n’ont pas atteint leur cible et que c’est bien dommage? Au prix de revient du courant en ce qui me concerne j’utilise le soir une bouillotte… ce n’est rien à côté de ce qui se passe là-bas… en Ukraine mais aussi dans le Donbass depuis dix ans… mais je ne sais toujours pas qui Vitali remercie pour avoir rétabli le courant et s’il se moque lui-même de ses “remerciements”… avec l’irritation qui est la mienne quand j’entends les amuseurs de plateau français reprocher aux Français leur manque de civisme et d’esprit de sacrifice, le refus de croire Macron… Quand je vois la bande d’abrutis qui me tient lieu de députés en train de se tirer dans les pattes à l’intérieur des partis et tous se réconcilier pour voter la guerre derrière l’OTAN.
Je tente de comprendre entre plusieurs eaux et je m’interroge toujours sur le moins pire… là où nager est encore praticable et c’est souvent loin des puissants, de leurs convictions imbéciles.
Ce que je sais c’est que dans ce monde le seul cadeau véritable que l’on puisse faire à autrui ce sont des racines et des ailes… Et c’est ce qui manque le plus pour tenter de comprendre l’essentiel… des racines dans l’humaine condition, le petit peuple qui toujours paye pour ceux qui profitent de lui et des ailes dans une confiance dans l’espèce, dans son inventivité… Si je suis communiste c’est parce que c’était le positionnement qui était le plus proche de ce double ancrage, les racines et les ailes, c’est toujours vrai mais l’aventure est désormais, en France du moins, de plus en plus solitaire…
Et encore, moi je connais Babel, j’ai traversé Odessa en marchant sur des croix gammées dessinées sur le sol, j’ai vu ces étranges bandes qui fixaient avec hostilité leurs compatriotes, la menace devenue habituelle, quotidienne, l’impunité dont ces brutes jouissaient de la part de la police ukrainienne, j’ai partagé l’angoisse de gens qui ne pouvaient plus parler leur langue, tout était feutré, et tout devenait un défi, et mes malicieux Odessites plaisantaient des conditions de leur survie… Sans cette expérience fugace, sans les traductions de Marianne qu’est-ce que je saurais de ce qui se vit en Ukraine, sinon peut-être je ferais confiance à ces incroyables intervenants sur les plateaux de télévision de mon pays, mais jamais ce qu’ils disent ne correspond à ce que j’ai vu entendu en Ukraine comme ailleurs… sur les routes d’Amérique latine, d’Afrique et même dans les rues aujourd’hui de ma chère France, ils sont hors sol… Sans parler de ces gouvernants, de ces députés imbéciles qui me mènent vers la guerre… je ne décolère pas face à une telle arrogance, au nom de quoi prétendent-ils m’imposer leur ignorance comme une loi ?.
source : Histoire et Société
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