par Rayhan Uddin.
De la domination marocaine dans la péninsule Ibérique à la forteresse construite par les Portugais au Maghreb, les deux ennemis d’autrefois partagent un passé sanglant
Après une victoire sensationnelle face à l’Espagne lors des huitièmes de finale, le Maroc affrontera le Portugal en quarts de finale de la Coupe du monde samedi.
Ce match contre les Espagnols, remporté aux tirs au but par les Lions de l’Atlas, s’inscrivait dans un contexte historique et politique particulier.
Des siècles de tensions et de conflits entre les deux pays, de la conquête islamique de l’Andalousie lancée depuis les côtes marocaines au colonialisme espagnol du XXe siècle en Afrique du Nord, ont ajouté du piment à la rencontre.
Il en va de même pour ce quart de finale : les mêmes conflits et remous agitent les relations entre le Portugal et le Maroc depuis un millénaire.
De la domination musulmane marocaine sur le Portugal à la construction d’un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO au Maroc, en passant par trois rois qui périrent dans la même bataille entre des ennemis de jadis, Middle East Eye se penche sur l’histoire tumultueuse entre les deux pays.
La conquête islamique du Portugal
En 711, Tariq ibn Ziyad, Amazigh converti à l’islam qui gouvernait Tanger, traversa le détroit de Gibraltar avec 7 000 soldats et marqua le début de huit siècles de domination musulmane sur différentes régions de la péninsule Ibérique.
Si une grande partie des territoires conquis sont aujourd’hui situés en Espagne, son voisin occidental le Portugal tomba également sous la domination islamique.
En 718, quasiment tout le Portugal était contrôlé par les musulmans qui l’appelaient Gharb al-Andalus (l’Andalousie de l’Ouest) ou tout simplement al-Gharb, qui a donné son nom à la région portugaise de l’Algarve.
Après l’effondrement de la domination omeyyade sur al-Andalus au milieu du XIe siècle, la région, notamment les zones portugaises, fut divisée en plusieurs principautés musulmanes indépendantes.
C’est alors que les Almoravides, suivis des Almohades, deux dynasties amazighes ayant Marrakech pour capitale, s’emparèrent de la plupart du territoire contrôlé par les musulmans dans la péninsule Ibérique, y compris des régions du sud du Portugal.
Mais ces deux empires basés au Maroc eurent du mal à repousser les avancées chrétiennes soutenues par la papauté qui attirèrent des chevaliers croisés de toute l’Europe dans le cadre de la Reconquista.
Le Royaume du Portugal prit le contrôle de sa capitale actuelle lors du siège de Lisbonne en 1147 et de la région de Faro en 1249, mettant fin à Gharb al-Andalus.
En 1496, quatre ans après la chute de Grenade, qui mit un terme définitif à l’Espagne islamique, le Royaume du Portugal emboîta le pas à son voisin ibérique en forçant ses minorités juives et musulmanes à se convertir au christianisme ou à quitter le pays.
Beaucoup choisirent la seconde option, s’installant au Maroc ou dans d’autres régions d’Afrique du Nord.
La domination musulmane sur le Portugal a laissé des traces culturelles durables, de la poésie aux cheminées en forme de minaret, en passant par les 19 000 mots et expressions portugais d’origine arabe.
En 2008, le prix UNESCO-Sharjah pour la culture arabe a été décerné à l’écrivain portugais Adalberto Alves pour avoir documenté ces influences.
L’occupation portugaise au Maroc
L’expansion de l’empire portugais au Maroc commença en 1415 avec la prise de la ville portuaire de Ceuta, avant de se poursuivre dans différentes régions durant trois siècles et demi.
Le colonialisme au Maroc était initialement justifié par des motifs religieux : entre 1341 et 1377, les rois portugais reçurent cinq bulles pontificales successives autorisant des croisades contre les musulmans d’Afrique du Nord ou de Grenade.
En 1520, les Portugais occupaient d’importantes parties du littoral marocain, notamment Ceuta, Tanger, Assilah, Essaouira, Agadir, Azemmour et Ksar Sghir.
Le roi Alphonse V, qui conquit une grande partie de ce territoire au milieu du XVe siècle, fut surnommé « l’Africain » pour ses exploits de l’autre côté du détroit de Gibraltar.
Les occupants européens bâtirent plusieurs forts dans les villes marocaines qu’ils contrôlaient, notamment sur la petite île de La Graciosa, à Castelo Real dans la ville de Mogador (aujourd’hui Essaouira) et à Mazagan, l’actuelle El-Jadida.
Située à 90 km au sud-ouest de Casablanca, El-Jadida a été inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2004, en tant que « témoignage exceptionnel des influences croisées entre les cultures européenne et marocaine, qui apparaissent clairement dans l’architecture, la technologie et l’urbanisme ».
Il s’agit de la fortification portugaise la mieux préservée du Maroc, avec des bâtiments d’époque conservés, notamment la citerne et l’église Notre-Dame-de-l’Assomption.
Le retour en force des Marocains
Au milieu du XVIe siècle, Mohammed ech-Cheikh, premier sultan de la dynastie saadienne du Maroc, mena la riposte contre les Portugais.
Sous son commandement, les Maghrébins chassèrent les Ibères de la plupart de leurs forteresses le long de la côte atlantique, y compris de la ville commerciale stratégique d’Agadir en 1541.
La bataille de Ksar el-Kébir en 1578, souvent désignée sous le nom de bataille des Trois Rois, fut l’une des pires défaites militaires subies par le Portugal durant son ère coloniale.
Avec l’aide du sultan marocain déchu Mohammed al-Mutawakkil, le roi portugais Sébastien Ier débarqua à Tanger avec 20 000 hommes pour affronter le nouveau sultan, Abd al-Malik, et ses 50 000 hommes.
Les soldats musulmans infligèrent une défaite cuisante aux Européens ; Sébastien Ier et Mohammed al-Mutawakkil périrent tous deux lors des combats. Abd al-Malik mourut également durant la bataille, d’où le nom donné à cette dernière.
La mort de Sébastien Ier, qui n’avait pas d’héritier, provoqua une crise dynastique au Portugal et le royaume passa ensuite sous contrôle espagnol durant les six décennies suivantes. Cette période fut marquée par un déclin international de l’empire portugais.
Tanger fut ensuite cédée à l’Angleterre en 1661 et Ceuta à l’Espagne en 1668. Ceuta est toujours sous contrôle espagnol, ce qui constitue encore aujourd’hui un point de discorde majeur chez les Marocains.
Le dernier bastion portugais, Mazagan, fut remis aux Marocains en 1769 et un accord de paix fut signé cinq ans plus tard entre les deux pays.
Si sa relation avec l’Espagne est tumultueuse, le Maroc n’a pas de différend territorial avec le Portugal à l’heure actuelle et les deux pays entretiennent des relations cordiales depuis deux siècles et demi.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
source : Midle East Eye
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