par Bruno Guigue
Je suppose que vous l’avez remarqué, mais certains commentateurs insistent lourdement sur le caractère civilisationnel du conflit entre l’OTAN et la Russie. Entre un monde occidental « progressiste » et un monde slave « conservateur », il y aurait une sorte de confrontation morale et sociale, voire un antagonisme irréductible aux allures de « choc des civilisations ».
Entre les partisans du laisser-faire sociétal et les tenants de l’ordre naturel, entre un monde orthodoxe attaché à ses traditions et un monde occidental dominé par l’individualisme jouisseur, l’affrontement serait inévitable. Bien sûr, cette grille de lecture n’est pas totalement fausse. Si elle l’était, le conservatisme russe n’en ferait pas habilement son cheval de bataille, et cette attitude ne lui vaudrait pas la sympathie des milieux traditionalistes en Europe.
Mais il se pourrait aussi qu’elle soit l’arbre qui cache la forêt. Car l’affrontement entre l’Est et l’Ouest, en réalité, est une tendance lourde de la politique mondiale depuis la guerre de Crimée (1853-1856). C’est le résultat du patient travail de sape entrepris par les puissances maritimes, depuis le XIXe siècle, pour contenir la puissance eurasiatique. Tellement profonde qu’elle en épouse les plis géologiques, cette rivalité continentale ressemble davantage à la tectonique des plaques qu’à une sombre querelle sur les systèmes familiaux.
C’est d’ailleurs ce qu’a montré l’accentuation du conflit russo-occidental à partir de 1917, la haine du communisme soviétique prenant aussitôt le relai de la peur de l’ogre tsariste, de même que, depuis trente ans, le rejet de la Russie moderne a pris le relai de l’antisoviétisme hérité de la Guerre froide. En matière de russophobie, qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse !
En bref, que Moscou soit sous la coupe du Tsar, des bolcheviks ou de Vladimir Poutine, la russophobie occidentale est une constante historique. Et si la Russie a toujours été dans le collimateur de l’impérialisme, c’est tout simplement parce que la domination planétaire du monde anglo-saxon est incompatible avec l’existence d’un pôle de puissance concurrent.
À ce titre, l’hostilité occidentale envers la Russie relève bel et bien de la structure et non de la conjoncture. Mais est-ce pour autant une guerre de civilisation ? L’Occident veut-il régler son compte à la Russie parce qu’elle interdit la Gay Pride ? L’OTAN menace la Russie parce qu’on y pratique une « sexualité reproductive » alors que l’Ouest pratique une « sexualité récréative » ?
Si l’opposition entre les valeurs « traditionnelles » et les valeurs « modernes » a quelque réalité – il faudrait être aveugle pour le nier, et ce quelles que soient ses préférences subjectives en la matière – , je doute néanmoins qu’elle ait la portée explicative qu’on lui attribue volontiers des deux côtés.
Malheureusement pour la compréhension des ressorts du conflit, ce penchant pour le paradigme culturaliste est partagé, à la fois, par le nationalisme russe slavophile, par les milieux de droite européens et par leurs adversaires occidentaux qui, de leur point de vue, y trouvent matière à incriminer la prétendue arriération de la Russie.
Pour tenter de comprendre ce qui se passe dans cette partie du monde, en résumé, il me semble que nul n’est tenu d’adhérer à cette grille de lecture, et encore moins d’en faire LA grille de lecture. Ce qui ne préjuge en rien de la sincérité avec laquelle les uns et les autres adoptent un point de vue qui occupe une place croissante, à tort ou à raison, dans les discours sur le conflit en cours.
source : Bruno Guigue
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