Entre impasse et voie sans issue

Entre impasse et voie sans issue

Entre impasse et voie sans issue

• Au seuil de l’hiver qui, selon de nombreuses sources et hypothèses, devrait voir une offensive importante des Russes contre les Ukrainiens, on fait quelques remarques sur l’état de cette guerre de l’‘Ukrisis’. • La question est de savoir s’il peut y avoir une “victoire” et une “défaite”, et ensuite une stabilisation. • Cela nous paraît bien improbable dans la mesure où les perceptions des deux côtés sur la situation de la guerre elle-même sont si diamétralement opposées, sans souci pour certains de la réalité. • Mais quelle force réglera réellement cette crise ?

Dans un texte où il anticipait une victoire russe dans la très importante et sanglante bataille de Bakhmout, M.K. Bhadrakumar observait, le 30 novembre, combien ce qui serait le tournant stratégique de la guerre en Ukraine ouvrirait la voie… sur l’inconnu ! Mais, dans nos temps conduits par une narrative structurée de mensonges et protégée par un simulacre, dans ces temps où l’on se bat d’abord pour affirmer la justesse de sa propre perception, l’inconnu “n’est pas une option”.

Observez combien ce passage où Bhadrakumar s’interroge sur la suite à attendre (“l’inconnu”) au lendemain de la très probable  victoire russe à Bakhmout se termine par une catastrophe pire que ‘L’étrange daéfaite’ de Marc Bloch : une catastrophe où la narrative occidentale ne peut plus tenir. Aujourd’hui, les défaites ne se mesurent plus au goût pour les fraises de Grouchy, mais bien à la possibilité pour les studios hollywoodiens qui conduisent la guerre de poursuivre leur “récit”… Et là, en Ukraine, il semble bien que l’on soit proche de la sonnerie de la fin de la récréation :

« La chute de Bakhmout signalera que la bataille du Donbass, qui est le leitmotiv de l’opération militaire spéciale russe, entre dans sa phase finale. La ligne de défense ukrainienne dans le Donbass s’effrite. Le contrôle du Donbass par la Russie est à portée de main dans un avenir envisageable.

» Que se passera-t-il ensuite ? L’objectif russe pourrait être de repousser les forces ukrainiennes plus loin de la région du Donbass et de conserver les steppes à l’est du Dniepr comme zone tampon. En effet, l’oblast de Dnipropetrovsk est également riche en ressources minérales, contenant d’importants gisements de minerai de fer, de manganèse, de titane et de zirconium, d’uranium, de charbon anthracite, de gaz naturel, de pétrole et de charbon lignite. Sa perte sera un coup dur pour Kiev. Sur le plan politique, le récit [la narrative] de la victoire de Kiev disant que l’Ukraine est en train de gagner la guerre et est sur le point de s’emparer de la Crimée, etc… ne pourra plus tenir longtemps. »

Cette idée d’une narrative durement contrariée par la réalité est à peu près confirmée par les plus hautes autorités de la coalition, en l’espèce le secrétaire général de l’OTAN, parlant lors de la réunion des ministres des affaires étrangères le 29 novembre. Il vous dit que l’OTAN continuera à soutenir l’Ukraine autant que nécessaire, que l’on ne reculera pas, – alors que pourtant il est avéré, par le même d’ailleurs, sans craindre la contradiction, que la puissance russe est effective et ne cesse de s’affirmer… Est-ce une sorte de “La narrative s’effondre mais ne se rend pas” ? Bien vu, comme on ne cesse de le voir :

« Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, qui est un porte-parole de Washington, a averti qu’en dépit de la bravoure de l’Ukraine et des progrès réalisés sur le terrain, la Russie conserve de fortes capacités militaires et un grand nombre de soldats, et que l’alliance continuera à soutenir Kiev “aussi longtemps qu’il le faudra… nous ne reculerons pas”.

» Ces déclarations trahissent leur absence de toute nouvelle réflexion, alors que l’évolution de la situation sur le terrain montre pourtant que les plans de Washington sont en train de s’effondrer. » 

“S’effondrer”, “s’effondrer”, la pauvre narrative qui se croyait à l’abri dans le simulacre ! Et alors, que se passera-t-il ? (…après l’effondrement de la narrative, après Bakhmout)…

L’article de Bhadrakumar nous communique une certaine ironie bien dissimulée mais pourtant palpable tout au long de sa description… Ce qui s’y trouve d’extraordinaire et pour autant d’absolument conforme à une étrange vérité-de-situation construit comme un simulacre de vérité-de-situation, c’est qu’il (Bhadrakumar) n’ait finalement rien d’autre à dire, – pour répondre à son “que se passera-t-il ?’, – que “les neocons continueront à pousser pour la victoire en criant ‘Victoire !’”, car rien d’autre ne semble possible à ces gens.

« C’est pourquoi, en ce moment décisif, face à l’escalade imminente du conflit en Ukraine dans les semaines à venir, les néoconservateurs américains s’efforcent d’intensifier les livraisons d’armes à l’Ukraine. Les néoconservateurs gagnent invariablement les batailles au sein du Beltway, surtout sous un président faible. Si les Républicains intensifient les enquêtes sur Biden, sa dépendance à l’égard des néocons ne fera qu’augmenter au cours de la période à venir.

La propagande en faveur d’un changement de régime en Russie ne va pas s’estomper, même face aux dures réalités émergentes de la situation sur le terrain en Ukraine. L’objectif des néoconservateurs, comme le dit succinctement l’historien d’investigation Eric Zuesse, est de “détruire la Russie si vite que la Russie ne sera pas en mesure de détruire l’Amérique en représailles”. L’absurdité totale de cette idée est évidente pour tout le monde, sauf pour les néoconservateurs. Ainsi, ils vont maintenant soutenir que l’erreur cardinale des États-Unis en Ukraine a été leur incapacité à déployer des soldats  sur le terrain dans ce pays, en 2015. »

La même idée se trouve un peu partout dans les commentaires des plus avisés de nos observateurs. Le colonel Macgregor est l’un de ceux-ci et il a donné des précisions impressionnantes sur les concentrations de forces en train d’être constituées en Russie occidentale et dans les territoires ukrainiens annexés, sans doute pour lancer une offensive très ambitieuse dans les semaines à venir. Alexander Mercouris, qui suit attentivement cette évolution, envisage les possibilités à venir de stabilisation (sinon de “paix”) selon l’hypothèse d’une avancée victorieuse de la Russie, citant John Helmer à cet égard. On trouve notamment deux logiques :

• Une logique “coréenne”, avec une Ukraine partagée en deux zones d’influence avec une zone-tampon entre les deux.

• Une logique de contrôle complet de l’Ukraine par la Russie.

Mais ces hypothèses, qu’il est pourtant logique de développer, nous paraissent de la sorte du ‘wishfuk thinking’, même en cas d’une évolution très favorable aux Russes, – et d’ailleurs, justement à cause de cette “évolution favorable” ! Car cette “évolution favorable” est quelque chose d’inconcevable pour les influences les plus fortes, du côté du bloc-BAO, de ces influences qui sont en faveur de la guerre et d’une victoire sur la Russie ; cette tendance qui serait , comme le rapporte Bhadrakumar,

du domaine de l’« absurdité totale de cette idée », celle de « détruire la Russie si vite que la Russie ne sera pas en mesure de détruire l’Amérique en représailles ».

Appel à l’irrationnel

On met en évidence, comme une formule-magique ou une recette-miracle, cette expression reprise de Eric Zuesse par M.K. Bhadrakumar. Il s’agit selon nous de deux commentateurs éclairés même s’ils sont d’orientation, disons “de lumières” différentes, pour bien montrer combien le jugement est unanime dans les esprits sains alors qu’il est ignoré dans les esprits qui comptent pour l’influence : une “absurdité totale” « évidente pour tout le monde, sauf pour les néoconservateurs ». Le problème est bien qu’il se trouve que l’essentiel de la psychologie collective des élites occidentale (sauf nos divers “commentateurs “éclairés”) se trouve infectée par l’influence formidable, énorme, presque surhumaine et diabolique, de ces petits soldats du Mordor que sont ces neocons.

Pour nous, l’impasse, la voie sans issue ne se trouve ni sur le terrain des combats sanglants, ni dans l’habileté manœuvrière des Russes, ni dans la capacité du bloc-BAO sous son déguisement otanien de livrer des armements à l’Ukraine, ni dans la “victoire” ni dans la “défaite”. C’est pour cette raison que nous nous sommes attachés à l’affaire de la déclaration de “la von der Leyen”, et parfois d’une façon sans doute parfois moqueuse, – non, “sans aucun doute”, parce que, décidément, l’ironie est ce qu’il nous reste comme éventuelle “arme absolue” face à ce déchaînement d’absurdité et de folie.

Ce n’est certainement pas que nous tenions les arguments des neocons comme étant d’un brio exceptionnel en matière de logique et d’intelligence dialectique, même si eux-mêmes prennent grand plaisir à se réclamer de quelques influences prestigieuses (Leo Strauss, notamment). Avec les arguments primaires qu’ils développent, avec la puissance (et non l’intelligence) de leur dialectique, avec l’appel « à l’idéologie et à l’instinct » selon la thèse de Harlan K. Ullman (conception fondatrice de la “politiqueSystème” selon notre jugement), – qui est une façon d’opérationnaliser ce qui serait une sorte d’“idéologie de l’instinct”, – les neocons développent une formidable influence qui se traduit par une tendance irrésistible de monter aux extrêmes.

Cette influence est telle qu’elle semble paralyser chez la plupart de ceux qui la subissent toute capacité de raisonner avec mesure et avec bon sens. Cette puissance de l’influence des neocons est puissamment renforcée par les pressions et accélérée par la vitesse de la communication et des tendances qu’elle favorise.

Ce constat général sur l’influence des neocons, qui détermine toutes les politiques absurdement bellicistes depuis la fin de la Guerre Froide, ne peut trouver son explication et sa justification dans des montages politiques, dans des hypothèses complotistes, etc. La tendance est trop puissante, trop uniforme, trop coordonnée, trop “spontanée” même, pour être explicable de cette façon. C’est pourquoi il est nécessaire de se tourner vers le domaine de l’irrationalité, quoi que cela dût en coûter à nos croyances et à nos convictions rationnelles, – qui, dans ce cas, si elles sont maintenues contre l’évidence, apparaissent elles-mêmes et paradoxalement comme des produits de l’irrationalité avec l’introduction de la raison-subvertie.

C’est sans aucun doute en cela que l’affaire ukrainienne est dans une impasse et une voie sans issue à la fois. Toute raison et toute mesure ont déserté les esprits dans un camp qu’on identifiera sans peine, – est-il vraiment utile de le nommer, “toi le Système” ? – selon une orientation qui s’opérationnalise sous la forme de censures, de pressions, de simulacres, etc. ; que rien ne parvient à écarter, y compris les évidences, les faits, les constats sans la moindre discussion possible, qui sont simplement passés sous silence quand il n’existe aucun artifice dialectique pour les contrecarrer. Nous sommes donc dans une époque où l’irrationalité domine, où rien ne peut être compris s’il n’est pas fait appel à ce domaine. Il s’agit d’un exercice très délicat, parce qu’ouvert à tous les fantasmes, à toutes les croyances les plus folles.

Notre attitude à cet égard reste nécessairement vague pour l’identification des choses, de ce que nous désignons en général comme “des forces suprahumaines en action” ; mais extrêmement ferme sur la nécessité de l’hypothèse irrationnelle, comme seule “issue de secours”, par le haut, de cette “voie sans issue”. Nous retrouvons sur ce sujet précise de l’influence des neocons des remarques souvent faites à propos d’‘Ukrisis’ :

« A cet égard, il faut plus que jamais percevoir ‘Ukrisis’ comme un accélérateur formidable pour précipiter la GrandeCrise comme l’on fait d’un processus chimiques, tout en nous y précipitant comme l’on jette les reliefs du festin à la poubelle. ‘Ukrisis’, il s’agit de bien plus que du laboratoire des guerres postmodernes, ou guerres du futur, etc. Il s’agit d’une entrée dans un sas bouillonnant par lequel il nous faut transiter pour passer d’un monde à l’autre. Nous en rions bien fort en disant que c’est ça, le sas bouillonnant, le “monde nouveau” sans comprendre que ce simulacre de nouveauté de passage, est justement le passage obligé vers ce “monde nouveau” dont nous n’avons pas idée, pas une seule seconde la moindre idée de ce qu’il va être, de la forme extraordinaire qu’il va prendre, de la façon dont il va balayer d’un souffle toutes les poussières avec lesquelles nous jouons

» Car, bien sûr, il est inutile d’insister sur l’absence complète, vertigineuse, absolument péremptoire de conscience et de dessein de l’action humaine dans de telles circonstances. Nous sommes absolument inutiles avec nos rires satisfaits de personnes de genres divers, d’un univers arrangés pour nos caprices, simulacrées, rapiécées, rabibochées, ravaudées. Nous agissons avec une conscience simulée, dans un dessein répondant aux impératifs à la communication, c’est-à-dire sans aucun lien réel avec quelque chose d’immense et d’absolument extraordinaire qui s’apparenterait à une vérité-de-situation s’ouvrant sur le mystère du monde. »

Note de PhG-Bis : « Ai-je besoin de dire qu’il était entendu que PhG glisserait bien entendu un pensum sur cet aspect-là des choses ? Il est incorrigible ! D’ailleurs, pourquoi le corriger alors qu’on voit laisser aller tant de sottises comme de misérables petits tas de secrets que disperse le vent d’automne. Son secret à lui, PhG, est d’une autre nature, et il a parfois peur d’y penser en y croyant, en le regardant pour ce qu’il est… »  

 

Mis en ligne le 3 décembre 2022 à 16H55

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

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