C’est gênant : les sanctions économiques résultant de l’invasion de l’Ukraine touchent davantage l’Europe que la Russie. Or, une étude récente de The Economist montre qu’en raison du prix élevé de l’énergie, le nombre de décès supplémentaires en Europe au cours de l’hiver prochain pourrait dépasser le nombre de soldats tués au combat jusqu’à présent en Ukraine. De quoi réfléchir.
Avant la guerre, la Russie fournissait environ 40 % de la consommation totale de gaz de l’Union européenne. En réaction à la guerre et pour réduire leur dépendance à l’égard du gaz russe, l’Ukraine et la Pologne ont coupé certains pipelines acheminant du gaz de la Russie vers l’Europe occidentale.
Les pays, tels que la Finlande, la Bulgarie et la Pologne, qui n’étaient pas disposés à payer leur gaz en roubles ont été déconnectés par la Russie. En outre, les opérations nécessaires pour maintenir l’important gazoduc Nord Stream I à pleine capacité ont également été compromises.
La forte réduction de l’offre de gaz, qui ne peut pour l’instant être entièrement compensée par d’autres importations, a fait grimper en flèche les prix du gaz et, indirectement, ceux de l’électricité en Europe.
Entre-temps, en raison de l’automne très doux et du fait que l’Europe a stocké de grandes quantités de gaz, les prix du marché ont chuté par rapport au pic de l’été. Malgré tout, le prix moyen du gaz aujourd’hui est presque deux fois et demie supérieur à celui de la période 2000-2019. Pour l’électricité, c’est presque le double.
Et maintenant, l’hiver arrive à grands pas. C’est un phénomène bien connu : à cause du froid, plus de personnes meurent en hiver qu’en été. En Europe et aux États-Unis, cela représente environ 20 % de plus en moyenne.
Dans le passé, les prix de l’énergie n’avaient pas ou peu d’impact sur cette surmortalité, car les fluctuations étaient très faibles. Mais aujourd’hui, les augmentations de coûts sont remarquablement importantes, si bien que l’on s’attend à un impact beaucoup plus grand.
Pour calculer cet impact, The Economist a développé un modèle statistique. Outre le prix de l’énergie, trois autres facteurs sont à l’origine du nombre de décès supplémentaires : le plus important est la rigueur de l’hiver, à laquelle s’ajoutent la gravité de la saison de la grippe (qui est en partie déterminée par le froid) et, enfin, l’allocation que les gouvernements accordent aux familles pour absorber la hausse des prix.
Les prix élevés de l’énergie peuvent exacerber l’effet des basses températures sur les décès s’ils découragent les gens d’utiliser le chauffage et augmentent ainsi leur exposition au froid. Dans une large mesure, il en va de même pour le soutien apporté par les gouvernements aux ménages pour faire face au choc énergétique.
Selon l’étude de The Economist, la « conclusion difficile » est que l’impact « se révélera très puissant » et que le nombre de morts « pourrait être supérieur au nombre de soldats morts au combat jusqu’à présent en Ukraine. »
Si les prix de l’énergie restent à leur niveau actuel, environ 147.000 personnes de plus mourraient en Europe par rapport à un hiver où les prix seraient « normaux ». Cette projection vaut pour des températures hivernales normales. Avec des températures plus douces, en supposant l’hiver le plus chaud des 20 dernières années pour chaque pays, ce chiffre de surmortalité supplémentaire tombe à 79.000. Avec un hiver rigoureux, soit l’hiver le plus froid enregistré depuis 2000 pour chaque pays, le chiffre passe à 185.000 décès.
On estime qu’environ 25.000 à 30.000 militaires sont morts dans la guerre des deux côtés et que 6.500 autres civils ukrainiens sont morts. Au total, c’est donc moins que dans le meilleur scénario du modèle de The Economist.
L’hebdomadaire note que l’effet peut varier considérablement d’un pays à l’autre. Dans les pays qui ont fixé des plafonds sur les prix maximums ou une facture maximum, il n’y aura pratiquement pas de décès supplémentaires. Le taux de mortalité pourra même baisser. C’est le cas de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Espagne et de l’Autriche, entre autres.
Des décès beaucoup plus importants sont prévus dans les pays où le soutien gouvernemental est (pour l’instant) faible, comme l’Italie, l’Estonie et la Finlande. The Economist ne mentionne pas explicitement la Belgique. En matière de soutien gouvernemental, notre pays se situe quelque part entre les deux extrêmes.
À long terme, les sanctions contre Poutine affaibliront très certainement l’économie russe. Mais jusqu’à présent, ce n’est pas du tout le cas. Les recettes attendues des exportations énergétiques russes cette année seront supérieures d’un tiers à celles de l’année dernière.
Ce sont principalement les pays européens qui se tirent une balle dans le pied avec ces sanctions. Des données récentes montrent que le taux d’activité (indicateur d’activité courante) de la Russie est plus élevé que dans les autres grands pays européens.
En raison des prix élevés de l’énergie, de nombreuses entreprises pourraient être amenées à fermer leurs portes ou à se délocaliser vers d’autres régions où les coûts énergétiques sont moins élevés. En outre, pour lutter contre l’inflation, elle-même principalement due aux prix élevés de l’énergie, nous nous dirigeons presque certainement vers une véritable récession en Europe.
Ainsi, outre l’autoflagellation économique, le bilan des vies humaines en Europe sera particulièrement lourd. Il est maintenant temps de réfléchir sérieusement au sens, ou plutôt au non-sens, des sanctions économiques.
Marc Vandepitte
Source originale: De Wereld Morgen
Traduit du néerlandais par GL pour Investig’Action
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Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca
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