Par M. K. Bhadrakumar − Le 19 novembre 2022 − Source Indian Punchline
Le dix-septième sommet du G20, rassemblant chefs d’États et de gouvernements, s’est tenu à Bali, en Indonésie, les 15 et 16 novembre, et à de nombreux égards, il apparaît comme un événement d’importance. Le jeu politique international se trouve à un point d’inflexion, et la transition ne va épargner aucune des institutions héritées d’un passé en cours de flétrissement irréversible.
Pourtant, le G20 peut constituer une exception, et tenir lieu de pont entre le temps présent et l’avenir. Les annonces en provenance de Bali laissent un sentiment mitigé entre l’espoir et l’impuissance. Le G20 a été imaginé au départ pour répondre au contexte de la crise financière de 2007 — fondamentalement, une tentative occidentale de redorer un G7 terni, en y faisant entrer les puissance émergentes qui le regardaient fonctionner depuis l’extérieur, et surtout la Chine, en injectant un aspect contemporain aux discours globaux.
Le leitmotiv était l’harmonie. Le point qui est discutable aujourd’hui est de savoir dans quelle mesure le sommet de Bali a répondu à ces attentes. Chose regrettable, le G7 amenait de manière discriminante certains sujets externes dans ses délibérations, et son alter ego, l’Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN), a fait sa première apparition en Asie-Pacifique. Sans doute peut-on considérer cette apparition comme un événement funeste durant le sommet de Bali.
C’est une négation sur l’esprit du G20 qui s’est produite. Si le G7 refuse de laisser de côté sa mentalité de bloc, la cohésion du G20 en est affectée. La déclaration conjointe aurait pu être émise depuis Bruxelles, Washington ou Londres. Pourquoi Bali ?
Xi Jinping, le président chinois, avait affirmé le 17 novembre dans un discours écrit au sommet de l’APEC (Coopération Économique pour l’Asie-Pacifique) que « l’Asie-Pacifique n’est l’arrière-cour de personne et n’a pas vocation à devenir une arène de combat entre grande puissances. Ni les peuples, ni l’époque, ne permettront de lancer une nouvelle guerre froide. »
Xi a émit l’avertissement : « Les tensions géopolitiques et la dynamique économique en évolution ont exercé un impact négatif sur l’environnement de développement et la structure de coopération de l’Asie-Pacifique. » Xi a affirmé que la région de l’Asie-Pacifique a jadis pu constituer un terrain de rivalité entre grandes puissances, et a subi les conflits et la guerre. » L’histoire nous enseigne que la confrontation entre blocs ne peut résoudre aucun problème, et que ce penchant ne peut amener qu’au désastre. »
La règle d’or selon laquelle les sujets de sécurité ne sont pas à discuter dans le périmètre du G20 a été brisée. Au sommet du G20, les pays occidentaux ont soumis à rançon les autres participants au sommet : « Selon nos méthodes, sinon rien ». À moins que l’occident intransigeant ne soit apaisé sur le sujet de l’Ukraine, il ne pouvait exister de déclaration de Bali, si bien que la Russie a cédé. Le drame sordide a montré que l’ADN du monde occidental n’a pas changé. L’intimidation reste son trait distinctif.
Mais de manière ironique, en fin de compte, il en est ressorti que la déclaration de Bali n’a pas dénoncé la Russie sur le problème en Ukraine. Des pays comme l’Arabie Saoudite et la Turquie donnent des raisons d’espérer que le G20 pourrait se régénérer. Ces pays n’ont jamais été des colonies occidentales. Ils sont tournés vers la multipolarité, qui finira par contraindre l’Occident à admettre que l’unilatéralisme et l’hégémonie n’ont rien de tenable.
Ce point d’inflexion a apporté beaucoup de verve dans la rencontre entre le président étasunien Joe Biden et le président chinois Xi Jinping à Bali. Washington a demandé que cette rencontre entre les deux hommes se produise en marge du sommet du G20, et Pékin y a consenti. Chose frappante au niveau de cette rencontre entre les deux hommes, Xi apparaissait sur la scène mondiale après un Congrès du Parti particulièrement réussi.
Il n’est pas possible de se tromper sur la teneur de ses propos. Xi a souligné que les États-Unis ont perdu la main, en disant à Biden : « Un homme d’État devrait réfléchir et savoir dans quelle direction amener son pays. Il devrait également réfléchir et savoir comment s’entendre avec les autres pays et le vaste monde. » (ici et ici)
Les résumés fournis par la Maison-Blanche au sujet de la rencontre laissent à penser que Biden s’est montré conciliant. Les États-Unis sont confrontés à un défi d’importance pour isoler la Chine. En l’état des choses, les circonstances œuvrent dans l’ensemble à l’avantage de la Chine. (ici, ici et ici)
La majorité des pays s’est refusée à prendre parti pour l’Ukraine. Le positionnement de la Chine reflète tout à fait ce point. Xi a affirmé à Biden que la Chine est « très préoccupée » par la situation actuelle en Ukraine, et soutient et aspire à une reprise des pourparlers de paix entre la Russie et la Chine [Sic, plutôt l’Ukraine, NdT]. Cela étant dit, Xi a également exprimé l’espoir que les États-Unis, l’OTAN et l’UE « vont conduire des dialogues étendus » avec la Russie.
Les lignes de faille qui sont apparues à Bali pourront prendre de nouvelles formes d’ici au 18ème sommet du G20 qui se tiendra l’an prochain en Inde. On est en droit de se montrer prudemment optimiste. Pour commencer, et avant tout, il est improbable que l’Europe reste sur la stratégie étasunienne consistant à utiliser des armes comme sanctions contre la Chine. L’Europe ne peut pas se permettre une dissociation de la Chine, qui est la plus grande nation commerçante au monde et le principal vecteur de croissance de l’économie mondiale.
Ensuite, même si les cris de bataille en Ukraine ont provoqué le ralliement de l’Europe derrière les États-Unis, on réfléchit intensément en Europe à un repositionnement. L’autonomie stratégique de l’Europe est fortement mise à mal par cet engagement. La récente visite d’Olaf Scholz, chancelier allemand, en Chine, a indiqué cette direction. Il est inévitable que l’Europe finira par prendre ses distances avec les aspirations étasuniennes à la guerre froide. Ce processus est inexorable dans un monde où les États-Unis ne sont pas enclins à consacrer du temps, dépenser de l’argent ou mener des efforts pour leurs alliés européens.
Il s’ensuit qu’à de multiples égards, la capacité étasunienne d’assurer véritablement le rôle de dirigeant économique mondial a diminué de manière irréversible. Ce pays a perdu son statut prééminent de première économie mondiale, et de loin. En outre, les États-Unis ne veulent plus ni ne peuvent investir lourdement pour endosser la responsabilité de mener la barque. Pour dire les choses simplement, ce pays n’a toujours rien à proposer pour répondre au projet de la Ceinture et la Route de la Chine. Cela aurait dû avoir une influence modératrice et amener à un changement d’état d’esprit en faveur d’actions politiques coopératives, mais l’élite étasunienne continue de jouer la même partition comme un disque rayé.
Fondamentalement, le multilatéralisme est donc devenu bien plus dur dans la situation actuelle du monde. Néanmoins, le G20 est la seule instance rassemblant le G7 et les puissances en développement, et pouvant bénéficier d’un ordre mondial démocratisé. Le système d’alliance occidental est enraciné dans le passé. La mentalité du bloc ne présente que peu d’attrait aux pays en développement. La gravitation de la Turquie, de l’Arabie Saoudite et de l’Indonésie autour des BRICS porte le message puissant : la stratégie occidentale de conception du G20 — créer un anneau d’États subalternes autour du G7 — est dépassée.
La dissonance qui s’est fait ouïr à Bali a mis au jour le fait que les États-Unis continuent de s’agripper à leur titre, et restent prêts à gâcher la situation. L’Inde dispose d’une grande opportunité d’orienter le G20 dans une nouvelle direction. Mais cela va également demander de profonds changements de la part de l’Inde — une distanciation vis-à-vis des États-Unis — en matière de politique étrangère, couplée à la culture d’une vision à long terme et de l’audace de forger une relation de coopération avec la Chine, en abandonnant les phobies du passé et en laissant de côté les narratifs auto-entretrenus et, à tout le moins, en évitant toute nouvelles descente dans le jeu politique consistant à mendier auprès de ses voisins.
M. K. BHADRAKUMAR est un ancien diplomate de nationalité indienne, dont la carrière diplomatique a trois décennies durant été orientée vers les pays de l’ancienne URSS, ainsi que le Pakistan, l’Iran et l’Afghanistan. Il a également travaillé dans des ambassades indiennes plus lointaines, jusqu’en Allemagne ou en Corée du Sud. Il dénonce la polarisation du discours officiel ambiant (en Inde, mais pas uniquement) : « vous êtes soit avec nous, soit contre nous »
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone
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