Tous frères en Adam et Ève? : entretien entre un catholique et un athée

Tous frères en Adam et Ève? : entretien entre un catholique et un athée

Collaborateur depuis 2020 pour Le Verbe, Jean-Philippe Murray est en formation vers le sacerdoce. Son cursus en théologie et en philosophie le pousse à vulgariser les grandes questions de la tradition intellectuelle chrétienne sur notre site Web.

Édouard Mailhot est un ingénieur dans la fin vingtaine. Il aime l’histoire et la généalogie et se plait à discuter de croyances religieuses. Bien qu’il soit athée, il lit Le Verbe assidument et commente certains articles. C’est d’ailleurs de cette manière que l’interaction avec Jean-Philippe a débuté. Ces échanges ont perduré sur plusieurs centaines de pages, se concrétisant même autour d’un café. La discussion qui suit en est un bref échantillon.

Édouard Mailhot: Salut, Jean-Philippe! Petite question pour toi. J’écoutais le dernier épisode d’On n’est pas du monde et je me demandais: est-ce que les catholiques croient qu’Adam et Ève sont les ancêtres de tous les humains sur Terre?

Jean-Philippe Murray: Salut, Édouard! Il y a plusieurs positions au sein de la théologie catholique en ce qui concerne Adam et Ève. Ce qui est central à la foi chrétienne, c’est que les premiers êtres humains ont commis un péché qui les a coupés de la justice originelle que Dieu leur avait donnée et qui a blessé la nature humaine transmise à leurs descendants.

Toutefois, cet élément commun et tenu par la foi catholique peut être interprété de diverses manières:

  • Certains vont soutenir que toute l’humanité est issue d’un seul couple.
  • Certains vont soutenir que toute l’humanité est issue d’une population qui n’était pas composée d’hommes achevés. Ce serait au sein de ce groupe et sous l’action de Dieu que serait apparu le premier vrai couple d’humains (au sens d’animal doué d’une âme rationnelle et spirituelle) à partir duquel toute l’humanité, telle qu’on la connait, descend.
  • Certains vont soutenir que tout l’univers tel qu’on le connait, et aussi l’humanité, découle d’un état antérieur à notre univers et dans lequel les premiers hommes auraient péché (position de Mgr André-Mutien Léonard).

En somme, la question d’Adam et Ève est fort complexe et elle est beaucoup discutée parmi les théologiens. Dit simplement, la question est de savoir comment la doctrine du péché originel s’articule avec ce que les sciences et la philosophie enseignent sur l’origine des hommes.

Bible et science

E. M.: Merci! Et toi, tu penches pour quelle interprétation? On dirait que je vois mal comment Adam et Ève peuvent concorder avec la théorie de l’évolution. Sur Terre, il y avait des êtres unicellulaires, ensuite des animaux aquatiques, puis des êtres qui ont marché sur la terre ferme et qui, ensuite, ont marché sur leurs deux pieds. Tu penses qu’Adam et Ève avaient des ancêtres aquatiques?

J.-P. M.: Je penche plutôt vers la seconde explication: je ne vois pas de problème à ce que le premier couple humain soit issu d’ancêtres aquatiques. D’ailleurs, chez tous les théologiens que j’ai lus, je n’ai pas vu de malaise ou de problème à dire qu’Adam et Ève seraient issus d’une évolution des vivants.

E. M.: Moi non plus, je ne vois pas de problème à ce qu’Adam et Ève descendent d’êtres aquatiques. Le problème me semble plutôt être avec les enfants d’Adam et Ève: ils se seraient accouplés entre eux?

J.-P. M.: Oui, effectivement, les descendants du premier couple ont dû s’accoupler ensemble, il n’y avait pas vraiment d’autres choix. C’est un point assez traditionnel qu’abordait déjà Thomas d’Aquin en parlant des descendants du premier couple.

Cet article est d’abord paru dans notre numéro spécial de mars 2022. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

E. M.: Tu ne vois pas de problèmes avec ça? L’histoire, à quelques occasions, nous a montré que des cas de consanguinité du genre ne donnent pas des enfants forts…

Monogémisme et polygénisme

J.-P. M.: Oui, c’est certain que la consanguinité pose aujourd’hui des problèmes. Cependant, ce n’est pas clair si la situation était similaire (d’un point de vue biologique) pour les premiers êtres humains, car notre organisme n’est pas biologiquement identique à celui de nos ancêtres. De plus, la consanguinité a dû être une situation temporaire. Comment est-ce que ça aurait pu être différent, d’après toi?

E. M.: Je ne vois pas pourquoi la situation biologique qui cause les conséquences de la consanguinité aurait été différente il y a 2 000 000 d’années, lorsque ceux que l’on nomme Homo habilis étaient sur Terre. Je pense que nous sommes les descendants de ces centaines de milliers d’individus, divisés en différentes tribus, un peu comme des singes aujourd’hui. Ces groupes se sont déplacés et se sont reproduits entre eux, ce qui a permis un certain brassage du pool génétique. Un rétrécissement de notre arbre généalogique à deux individus me parait complètement invraisemblable! Essaie de visualiser le phénomène: ton arbre généalogique aurait la forme d’un sablier! En haut, les ancêtres d’Adam et Ève, et en bas, les enfants et petits-enfants de ce couple, jusqu’à toi.

J.-P. M.: Il n’y a pas nécessairement de contradiction entre ce que tu dis et ce que j’ai dit, car au sein d’une population d’animaux, des modifications génétiques peuvent naitre à des niveaux individuels. D’un point de vue scientifique, ce n’est pas invraisemblable que l’humanité soit issue d’un seul couple. D’ailleurs, cette position (appelée monogénisme) est scientifiquement défendue. Le biologiste qui écrit sur le site que je t’ai partagé tout à l’heure a aussi écrit un article à ce sujet.

Problèmes de méthode

E. M.: Je ne m’attendais pas à ce que ce sujet relance notre discussion, mais c’est très intéressant. Je suis assez surpris par ce que tu me dis! Je pensais que tu allais me dire qu’en fait, l’histoire d’Adam et Ève est une histoire pleine de symboles qui a été écrite pour nous enseigner. D’ailleurs, est-ce que tu penses qu’Ève a vraiment jasé avec un serpent?

J’ai lu rapidement l’article du prêtre-biologiste. C’est un article de philosophie publié dans une revue de philosophie catholique et qui a comme conclusion que ce n’est pas déraisonnable de dire que les humains descendent du premier être qui pouvait parler. C’est très faible comme argumentation. Ne trouves-tu pas étrange qu’un biologiste défende cette théorie à l’aide de la philosophie, et non avec la biologie? Si l’auteur possède vraiment des preuves concrètes que l’humanité entière descend d’Adam, il devrait publier dans une revue scientifique sérieuse.

D’ailleurs, tu peux surement trouver des géologues qui vont te dire que l’inondation dans l’histoire de l’arche de Noé a vraiment eu lieu. Est-ce qu’il faut croire que le sauvetage des animaux par Noé est vraiment arrivé pour autant?

Complémentarité des disciplines

J.-P. M.: Ta réponse est intéressante et elle me fait à nouveau voir un point que j’avais déjà remarqué et mentionné: il n’est pas facile de bien se comprendre lorsqu’on échange par Internet. Je ne dis pas ça pour condamner ce moyen de communication, mais juste pour attirer l’attention sur ses faiblesses! En fait, plusieurs des choses que tu dis me semblent justes et ne sont pas opposées à ce que je dis; elles vont même précisément dans mon sens.

Quand je dis que l’histoire d’Adam et Ève possède une portée historique, ça ne veut pas dire qu’il faille lire leur récit comme un texte purement historique. C’est ce qu’exprime bien le Catéchisme de l’Église catholique:

«Le récit de la chute (Gn 3) utilise un langage imagé, mais il affirme un évènement primordial, un fait qui a eu lieu au commencement de l’histoire de l’homme».
Catéchisme de l’Église catholique, no 390.

C’est pourquoi nous n’avons pas à lire tous les détails du récit comme quelque chose d’historique. C’est la Tradition et le Magistère qui ont, au cours du temps, dégagé la portée historique de ce récit allégorique.

Le texte est publié dans une revue philosophique et catholique, car il fait entrer en discussion la théologie (en parlant d’Adam), la philosophie (pour savoir ce qu’est l’être humain) et la biologie (pour comprendre les origines de l’homme). Ce biologiste est loin d’être un idiot! C’est un interlocuteur sérieux et il discute aussi avec d’autres biologistes. Il n’est d’ailleurs pas le seul à défendre biologiquement le monogénisme [NDRL: l’espèce humaine ayant un seul couple comme origine commune].

Pour ce qui est de l’arche de Noé, l’Église n’enseigne pas de manière dogmatique que ce récit décrive un évènement historique en tout point. Le récit d’Adam et Ève, et surtout de leur péché, n’a pas la même centralité pour la foi chrétienne que celui de Noé. Quand la foi chrétienne s’intéresse aux premiers hommes, ce n’est pas pour des raisons scientifiques (simplement décrire et comprendre le monde), mais parce que cela a des conséquences sur le plan de Dieu, sur notre vie et sur notre fin ultime (la vie éternelle).

Pour le dire autrement, la Bible (et, entre autres, les neuf premiers chapitres de la Genèse) ne se veut pas un manuel scientifique visant à décrire le monde, mais un texte qui nous révèle qui est Dieu et quel est son plan de salut pour l’humanité. Cependant, cette révélation a une portée historique, scientifique et philosophique, dans la mesure où elle parle d’évènements et de réalités étudiées par d’autres disciplines.

Suivre le consensus scientifique

E. M.:  Bon, je suis un peu rassuré, tu ne penses pas que l’entièreté de l’histoire d’Adam et Ève a vraiment eu lieu.

Par contre, je ne vois pas nos points de vue converger tant que ça! Oui, nous croyons tous les deux que la théorie de l’évolution est vraie et que nous sommes les descendants des australopithèques (un des premiers singes bipèdes), mais ensuite, ta vision des choses est complètement différente de la mienne.

Je pense comprendre que nous croyons en fait à deux types différents de monogénisme. Je pense que tous les humains sur Terre sont les descendants des Homo sapiens qui sont apparus en Afrique il y a 300 000 ans et qui se sont lentement dispersés sur la planète, en se mélangeant probablement avec les autres primates comme les hommes de Néandertal et autres. On appelle cela du monogénisme, puisque tous les humains descendent de cette population.

Si je comprends bien ce que toi tu veux dire par monogénisme, tu penses que tous les humains sur Terre seraient les descendants d’un seul couple de primates. Tu adhères à une théorie qui n’est pas très populaire chez les experts. J’ai l’impression que c’est parce que, comme tu l’expliquais, l’histoire d’Adam et Ève est si centrale et importante pour le christianisme qu’il n’est pas facile pour toi de la voir simplement comme un mythe inventé par les auteurs de la Bible pour faire passer un message ou pour essayer d’expliquer la généalogie des humains.

Je pense qu’on devrait s’appuyer sur des preuves scientifiques pour déterminer ce qui est vrai ou faux quant à l’origine des humains, pas au degré de centralité d’une histoire dans une religion. Tu me demandais de faire confiance aux philosophes anciens qui ont pensé à la question de l’existence de Dieu pour conclure qu’il existe; je te demande d’y aller avec le consensus des scientifiques modernes sur des questions naturelles!

Sujets débattues

J.-P. M.: Merci pour ta réponse, Édouard!

Comme je l’ai laissé sous-entendre plus haut, je voulais préciser que ma lecture du récit d’Adam et Ève n’est pas propre à moi. Cette lecture est bien mise de l’avant par l’Église catholique dans son Catéchisme (no 390).

Je le disais: c’est un sujet fort complexe, d’autant plus qu’il fait intervenir plusieurs disciplines différentes. Aussi, comme tu l’as souligné, plusieurs mots ont des sens différents selon les contextes disciplinaires.

De plus, je voulais préciser que, pour les catholiques, la question n’est pas de choisir entre, d’un côté, le monogénisme et, de l’autre côté, ce que la Bible enseigne concernant l’origine des hommes. Pour les croyants, la question est de savoir ce que Dieu a enseigné et révélé par la Bible et, dans ce cas précis, par le récit allégorique de la Genèse.

Je pense, moi aussi, qu’il faut s’appuyer sur ce que les découvertes scientifiques nous disent pour connaitre les origines de l’homme, car c’est leur rôle. Cependant, il faut faire attention à ne pas faire dire aux conclusions scientifiques ce qu’elles ne disent pas ou ce qui dépasse leur champ d’études. Entre autres, l’étude scientifique des origines de l’homme n’affirme pas qu’il soit impossible que l’humanité descende d’un couple. C’est une question débattue en science.

De plus, il y a bien des questions sur l’origine de l’humanité que les scientifiques n’étudient pas: Dieu est-il intervenu dans l’émergence de l’humanité? Quelle est la nature des hommes? Quand la biologie, la philosophie et la théologie parlent des premiers hommes, parlent-elles des mêmes personnes?

E. M.:  Je suis intéressé par le fait qu’une partie non négligeable des humains croit que l’histoire d’Adam et Ève est vraiment arrivée. Je trouve intéressant que les religions soient puissantes au point que (et ça ne semble pas ton cas) quelqu’un puisse croire que la première femme humaine soit le produit d’une côte du premier homme. Je trouve incroyable que des gens pensent que l’arche de Noé est historique. Je pourrais continuer comme ça! Je ne te cacherai pas que je trouve ça amusant!

Donc, une discussion avec toi sur le sujet de l’origine des hommes nourrit ma curiosité. Si, au passage, je peux en apprendre plus sur le sujet, c’est tant mieux, et si tu peux en apprendre plus sur le sujet, c’est également tant mieux.

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