par Rorik
Souvenons-nous, c’était il y a quatre ans, le 1er décembre 2018. Au troisième samedi de mobilisation des Gilets jaunes, la France du travail était dans la rue. Elle se soulevait contre un pouvoir devenu illégitime, qui la déclassait et la méprisait de ses taxes, s’opposant au règne du capital, du conformisme bureaucratique et des lobbies, accablée par un système de pression sociale toujours plus insidieux.
Ce jour-là, l’autorité en place avait, plus que jamais, tremblé pour sa survie. Ce jour-là, on renouait avec l’Histoire de France. Le peuple, dans toute sa diversité et son flamboiement insurrectionnel, avait répondu massivement présent, galvanisé par le froid. Ouvriers, entrepreneurs, petite et moyenne bourgeoisie de province s’étaient, spontanément, rassemblés pour la défense d’un idéal politique plus qu’une revendication commune.
Successivement trahis par leurs représentants, les médias autorisés et leurs syndicats, comme étrangers dans leur propre pays, les Français étaient de sortie. Tous défilaient en faveur d’un certain modèle de société et de gouvernance à trouver — où chacun, dans l’anonymat citoyen, est acteur d’un progrès à réhumaniser — plutôt qu’un intérêt immédiat tenant du matérialisme de classe.
La force historique du mouvement des Gilets jaunes réside, paradoxalement, dans son caractère astructurel. C’est son anti-hiérarchisation durable qui constitue précisément son potentiel révolutionnaire le plus sûr. Par son exigence apartisane, par le rejet consciencieux de toute appropriation syndicale ou représentation militante, le mouvement s’affirme alors comme une réussite d’indépendance et d’auto-gestion démocratique inédite.
Car c’est en formalisant la colère qu’on finit par la neutraliser. La colère populaire est une arme trop précieuse pour qu’on laisse l’idéologie et le discours opportuniste la désamorcer. Ainsi était-il convenu qu’elle ne dût sa confiscation à aucun leader nommable, aucun tribun ni dogmatique, aussi bien intentionné fût-il. La colère populaire devait vivre sur le pavé, avec ses propres fluctuations, ses sursauts primaires et intuitifs. La révolution ne se pense pas : elle se fait. C’est d’abord par le symbole, par l’acte collectif et purgatif, que le pouvoir se reprend ; ensuite vient l’organisation, et la désignation d’une élite productive à la légitimité établie.
Soucieux de se dégager d’emblée de toute esthétique revendicative connue, partisane et excluante, les Gilets Jaunes privilégiaient ainsi la force du nombre à celle d’un militantisme identifiable. La France authentique, celle des travailleurs, des libéraux, des immigrés engagés et des oubliés du mérite républicain, était donc noblement représentée dans les cortèges, rayonnante de caractères et de volontés. Avec le gilet fluorescent, les invisibles de l’économie nationale, étouffés par un système en perte de sens et de valeurs, se rendent enfin visibles.
D’un samedi de protestation à l’autre, l’appareil policier n’aura cessé de se montrer plus agressif, plus arbitraire, se muant en véritable milice politique, face à des manifestants pourtant largement pacifiques. Par le spectacle d’une violence disproportionnée, les forces de l’ordre opéraient là de véritables campagnes de répression et d’intimidation, quand elles ne traquaient pas ici et là, sur la toile et à domicile, d’éventuels meneurs ou organisateurs locaux. On parlait alors, grossièrement, d’« essoufflement » du mouvement, étant entendu qu’on avait tout mis en œuvre, au sens propre, pour couper le souffle et le sifflet aux manifestants, généreusement gazés, matraqués et mutilés.
Et d’un samedi à l’autre, l’appareil médiatique n’aura cessé de disqualifier ce mouvement de contestation à l’ampleur inattendue : par les procédés journalistiques vulgarisants de catégorisation, de polarisation et de superficialisation des causes — et, dans le plus malhonnête des cas, par la criminalisation et la psychiatrisation des participants — on en faisait un rassemblement coupable. Quelques malheureuses berlines de luxe incendiées pour le folklore ou des enseignes de banque défoncées dans l’euphorie des slogans et c’était le retour des chemises brunes… Aux indignés de l’indignation et autres petites natures rappelons que la destruction des symboles ne doit faire peur à ceux qui ont l’âme de bâtisseur, les victoires locales menant passionnément aux grandes.
Car la colère était bien profonde. On a longtemps présenté la raison première qui poussait les gens dans la rue, entre autres éléments de langage malavisés, comme étant une quelconque volonté de « revalorisation du pouvoir d’achat », en une énième « grogne sociale » organisée, les condamnant bassement à une logique consumériste qu’ils pourfendaient. C’était là réduire, avec l’aveuglement et la mauvaise foi du confort néo-bourgeois, une révolution en marche à d’étroites considérations pécuniaires, aux caprices individualistes et éphémères de quelques nécessiteux sous-éduqués… Tel était le portrait-type fait des manifestants, par une presse scénarisante et majoritairement subventionnée dont il ne fallait attendre aucune impartialité.
La réalité était évidemment tout autre, complexe et insaisissable par l’image : le Gilet jaune ne battait pas le pavé dans l’espoir de grappiller quelques sous, mais bel et bien motivé par un besoin supérieur de justice et de reconnaissance, qui parfois le dépassait. Et ce qui nous dépasse, souvent nous élève — a fortiori lorsque nous sommes plusieurs milliers à le partager. C’est contre la prédation institutionnelle, bancaire et médiatique qu’il se dressait, pour le retour d’une morale française, donnant l’alerte d’une crise culturelle qui allait ruiner, à tous points de vue, le pays.
Emmanuel Macron, l’exécutant de la haute finance, l’interprète du mondialisme fou, young global leader voulu par les baby boomers en mal de privilèges, incarnait donc cette insupportable arrogance technocratique autant qu’une malveillance de petit prince habillée d’un libéralisme déraisonné. Il ne devait sa protection qu’à la tyrannie d’une police mercenaire spécialement dépêchée pour l’occasion — cette flicaille de république bananière que les Gilets jaunes auront pris le soin de ne jamais associer à la police ordinaire ou la gendarmerie présente, elles-mêmes bien plus proches de leur cause que celle d’un État en déliquescence.
Trois ans de totalitarisme covidique plus tard, nous voici plongés un peu plus dans la même fange, qu’on tente de recouvrir des fleurs artificielles de la résignation. Le président a été réélu par les siens, malgré une violente impopularité — à l’intérieur comme à l’extérieur du pays — et des salles de meeting manifestement désertes, la France n’ayant jamais été aussi proche de l’implosion depuis les émeutes de 2005 dans les banlieues. Néanmoins le deuxième mandat d’Emmanuel Macron, dont l’équipe gouvernementale donne l’embarrassante impression qu’ont été réunis pour la blague tous les fonds de placards de la servilité et de la bien-pensance administratives, a bel et bien des allures de fin de règne.
Camarades Gilets Jaunes, sans doute le temps est-il venu de rendre à nouveau visite à nos élus. À nos élites. De ne plus se faire attendre, reprendre les chants d’esprit, les mobilisations sauvages et les blocages, en trouvant de nouvelles rimes au combat ou en allant saluer de plus près ceux dont on dit qu’ils sont nos « responsables ». Quand l’absurde et l’arbitraire gouvernent, que la loi d’exception prévaut sur toute logique, alors la désobéissance est un devoir citoyen. On est là ?
On est là !
On est là !
Même si Macron ne veut pas,
Nous on est là !
Pour la justice, la vérité,
On n’est pas prêt de s’arrêter ;
Même si le mensonge est roi,
Nous on est là !
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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