par Mikhaïl Kostrikov
Cet article traduit par Marianne nous avons décidé de le publier tant ce n’est pas seulement l’actualité qui est mobilisée pour faire la guerre, mais c’est aussi un passé tronqué qui est appelé à la rescousse pour ancrer nos peurs et nos haines dans le stéréotype d’une menace fantasmée. Ainsi la semaine dernière, le journal les Échos remontait jusqu’à Ivan dit le Terrible (en fait le Redoutable) pour nous convaincre de la nature profonde de Poutine et du « Russe », en général. C’est une « construction » occidentale. « Parler de l’époque d’Ivan le Terrible et établir des parallèles historiques est peut-être un peu exagéré, car c’était il y a vraiment très longtemps. Cependant, contrairement à la croyance populaire, les guerres de l’information ne sont pas une invention du vingtième siècle. La propagande est toujours allée de pair avec les envahisseurs. De plus, les « clous » qu’elle a enfoncés ont parfois survécu aux créateurs des mythes propagandistes durant des siècles, voire des millénaires. » Danielle Bleitrach et Marianne Dunlop
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par Mikhail Kostrikov
Voici un exemple bien plus ancien que le XVIe siècle : les sacrifices d’enfants à Carthage. Les mots eux-mêmes sont déjà horrifiants. Ils sont devenus l’une des justifications idéologiques de la guerre « juste » de Rome contre le peuple punique, bien que tout historien sache que l’essence du conflit n’était pas de sauver des enfants mais de lutter pour la domination de la Méditerranée. Néanmoins, ce mythe de propagande, qui est devenu l’un des sujets bibliques, a tranquillement survécu jusqu’à nos jours… et n’a été réfuté de manière convaincante qu’au début du XXIe siècle.
Une équipe internationale de scientifiques a réalisé une étude approfondie des tombes d’enfants qui subsistent de l’époque de Carthage. Des archéologues et des anthropologues ont soigneusement étudié 348 urnes funéraires préservées d’enfants en utilisant les méthodes scientifiques modernes. Un cinquième d’entre elles contenaient les restes de bébés morts dans l’utérus ou juste après la naissance. Les autres ne contenaient aucune preuve de mort violente. L’emplacement des sépultures d’enfants à proximité des sites sacrés de Carthage ne suggère aucune preuve de sacrifice, mais plutôt le contraire : les Carthaginois accordaient une attention particulière à l’accompagnement des enfants morts vers leurs tombes.
Alors, d’où viennent les preuves des sacrifices d’enfants aux dieux ? Des historiens romains, dont le parti pris est bien connu : dans les sources romaines, par exemple, il est presque impossible de trouver des informations sur les défaites en mer que la flotte romaine subissait régulièrement de la part de Carthage ; à chaque fois, leurs navires coulaient à cause d’une « terrible tempête ». Ceux qui ont écrit l’histoire du point de vue romain avaient un intérêt très réel à diaboliser leur ennemi avec les horreurs du sacrifice d’enfants. Plus de deux mille ans se sont écoulés avant que les historiens ne retrouvent la vérité. Mais cela ne se produit que si l’on aborde l’histoire précisément comme une science et avec tout l’arsenal dont dispose le chercheur.
À cet égard, essayons d’examiner ensemble le problème de la naissance de la russophobie en Europe occidentale, qui a eu lieu sous le règne d’Ivan le Terrible. Certes, il s’agit d’une époque très éloignée de celle d’aujourd’hui, mais c’est à l’époque de la première modernité que les bases du système moderne de relations internationales ont été posées. Et si nous analysons les principales techniques de diabolisation des Russes, ainsi que les motivations de ces actions, nous pouvons comprendre que de nombreuses tendances nées à l’époque sont encore vivantes aujourd’hui.
Commençons par le plus simple : dans notre pays, Ivan IV porte le surnom de Grozny [Que l’on pourrait traduire par « Redoutable », NdT], qui n’a pas de connotation positive ou négative sans équivoque. Mais dans les langues d’Europe occidentale, Ivan Vassilievitch est appelé le Terrible, et ici la charge sémantique est tout à fait évidente. Comment cela s’est-il produit ?
Pour cela, nous devons nous plonger dans le contexte historique. Dans les années 80 du XVe siècle, notre pays a achevé un long et difficile processus d’unification de l’État sous le règne des princes de Moscou. Dans le même temps, une autre tâche importante a été résolue : la « grande halte » sur la rivière Ougra en 1480 a mis fin au joug de la Horde. La résolution réussie de ces deux tâches a permis à l’État russe de se développer dans une paix relative. Bien que les tensions en matière de politique étrangère soient restées quasi permanentes, la première moitié du XVIe siècle est une période de renforcement considérable de notre pays.
Ces événements ont créé les conditions préalables permettant de surmonter l’isolement politique forcé de l’État russe et d’entrer dans l’arène internationale. Comme l’a écrit l’historien Vassili Klioutchevski, « Jusque-là, il était entouré de presque tous les côtés par d’autres principautés russes ou par les terres de villes libres, ce qui la protégeait des ennemis extérieurs… Depuis la moitié du XVe siècle, toutes ces couvertures extérieures disparaissent, et la principauté de Moscou se retrouve face à face avec des États étrangers… Jusque-là, les relations extérieures des princes de Moscou se limitaient au cercle étroit de leurs propres frères, de princes russes, grands et petits, et aux Tatars. À partir d’Ivan III, la politique moscovite suit une voie plus large ».
À cette époque, l’Europe avait déjà développé un système de relations internationales, et la diplomatie européenne devait maintenant définir la place de l’État russe dans ce système. « L’Europe stupéfaite – écrit K. Marx – au début du règne d’Ivan III, qui soupçonnait à peine l’existence de la Moscovie, prise en sandwich entre la Lituanie et les Tatars, fut abasourdie par l’apparition soudaine d’un vaste empire sur ses franges orientales ». N’est-ce pas une description très vivante et imaginative ? Ajoutez que l’Europe avait déjà été confrontée à une invasion ottomane avant cela et que, par conséquent, l’apparition d’une autre grande formation étatique à l’est a immédiatement suscité la crainte d’une nouvelle invasion – désormais par les « hordes de Moscovites ».
Une tentative de légaliser le nouvel État en conférant le titre de roi à Ivan III se heurte à la position résolument indépendante du souverain russe. Venant d’accéder à la souveraineté avec beaucoup de difficultés et sans l’aide de personne, il n’a pas jugé nécessaire de confirmer ses droits auprès de qui que ce soit, et encore moins de recevoir la couronne royale des mains de l’empereur d’Allemagne. La position d’Ivan III a été le mieux exprimée par sa réponse à l’ambassadeur impérial Nikolai Poppel par l’intermédiaire du greffier Fiodor Kouritsyne le 31 janvier 1489 : « Par la grâce de Dieu, nous sommes souverains dans notre pays depuis le début, depuis nos premiers ancêtres… Et des statuts, nous n’en avons voulu de personne auparavant et ne le voulons toujours pas ».
Le titre de Grand Duc de toute la Russie adopté par Ivan III (qui s’appelait aussi Grozny à son époque) était en soi un programme politique qui visait à restaurer l’influence sur les terres perdues pendant la période de fragmentation politique et de conquête de la Horde, c’est-à-dire à revenir aux frontières de l’État de la Vieille Russie de l’époque de Iaroslav le Sage.
Ce nouvel acteur sur la scène de la politique étrangère européenne a également retenu l’attention des Européens à un autre titre : les conquêtes des Turcs ottomans constituaient une menace directe pour l’Europe, qui avait besoin d’un allié. Cependant, les tentatives d’attirer Moscou dans la guerre se sont avérées infructueuses. À ce stade, les intérêts russes et turcs ne s’étaient pas encore objectivement heurtés. Le Grand Duc ne voulait pas engager le pays dans un conflit inutile, ce qui provoqua naturellement le mécontentement de l’Europe occidentale. Cela a contribué au déclin de l’intérêt des souverains européens pour l’État russe. En outre, pour des raisons religieuses, il s’est avéré difficile de contracter des mariages dynastiques avec lui. Par conséquent, les relations de Moscou avec les pays européens étaient encore très difficiles au début du XVIe siècle.
Pendant ce temps, l’objectif principal de la diplomatie russe est de résoudre la question orientale. L’incorporation des vastes territoires des khanats de Kazan et d’Astrakhan au début du règne d’Ivan IV et l’établissement de relations commerciales avec l’Asie centrale et les républiques caspiennes le long de la route de la Volga ont permis à Moscou d’établir des relations diplomatiques et commerciales avec ces pays.
L’accès à la mer Baltique et au commerce de transit le plus lucratif avec l’Europe revêt alors une importance vitale. C’était si urgent qu’Ivan IV a mis tout le reste de côté. Et l’État russe est devenu le participant le plus actif dans la résolution de la question balte.
La guerre livonienne éclate en 1558. Son déclenchement a été un choc pour les Européens. Personne en Europe occidentale ne pouvait imaginer que la confédération livonienne et surtout la terreur des siècles passés, l’ordre livonien, qui pendant plus de trois siècles avait régné sur les Baltes dans le sang et le fer, serait assez faible pour s’effondrer comme un tronc décrépit au premier coup des forces russes. Mais c’est exactement ce qui s’est passé, et toutes les craintes européennes d’une invasion par des « hordes moscovites » ont été immédiatement ravivées. Cela a donné lieu à une véritable guerre de l’information pour diaboliser les Russes.
Le chercheur soviétique Yakov Lourié a fait une observation importante, basée sur des informations provenant des journaux dits volants (« Fliegende Blätter », « Zeitungen »). Dès le début de la guerre de Livonie, ils considèrent l’État russe comme un danger pour l’Europe, au même titre que la Turquie. Ces tracts étaient l’ancêtre primitif des journaux. Ils contenaient généralement peu de texte et étaient souvent accompagnés de gravures. L’historien autrichien Andreas Kappeler a découvert qu’au moins 62 « tracts » de l’époque de la guerre de Livonie présentant des caractéristiques anti-russes sont parvenus jusqu’à nos jours.
Que disaient-ils dit exactement ? Voici un exemple. En 1561, il y avait un tract avec le texte suivant : « Une chose effrayante, horrible, inouïe jusqu’à présent, les atrocités que les Moscovites font aux chrétiens captifs de Livonie, hommes et femmes, vierges et enfants, et quel mal ils leur font quotidiennement subir dans leur pays. Au passage, le danger et le drame du peuple livonien sont montrés. À tous les chrétiens comme un avertissement et une amélioration de leur vie de péché, écrit de Livonie et imprimé. Nuremberg. Georg Bresslein. 1561 ». Ce texte était accompagné d’une illustration des atrocités commises par les Moscovites.
D’autres « tracts » comparaient Ivan le Terrible à Pharaon, qui a persécuté les juifs, à Nabuchodonosor et à Hérode. Il a été défini comme un tyran. L’électeur de Saxe Auguste Ier a été l’un des premiers à comparer publiquement le danger russe à celui de la Turquie. Après cela, Ivan le Terrible a souvent été peint dans des habits de sultan turc, et en même temps, on a écrit sur son harem de douzaines d’épouses, et sur le fait qu’il aurait tué celles dont il s’était lassé.
Rapidement, la propagande anti-russe a formé, en langage moderne, un certain « pool » de porte-paroles.
L’un d’entre eux était le prince « dissident » André Kourbski qui, à cette époque, était à la solde des autorités de Rzeczpospolita qui lui ont accordé des domaines fonciers. C’est dans le contexte de la guerre de l’information qu’il faut replacer ses messages au tsar de Russie. En fait, Ivan le Terrible n’était que partiellement leur destinataire. En premier lieu, ces textes ont été largement diffusés dans les cercles de l’élite européenne de l’époque, c’est-à-dire qu’il s’agissait de matériel de pure propagande. Cela signifie que l’évaluation de la correspondance du tsar avec Kourbski donnée par les historiens à l’époque des Romanov et répétée à maintes reprises par la suite est fondamentalement erronée, car elle ne tient pas compte du contexte historique et n’est pas critique à l’égard du contenu écrit par le prince fugitif.
Un document de 1572, adressé au gouverneur lituanien de Livonie, l’Hetman Jan Chodkiewicz, décrit les répressions dans l’État russe. Comme dans le cas des lettres de Kourbski, le véritable destinataire n’était pas une personne concrète, mais le « public » européen, aux yeux duquel Ivan IV devait être discrédité.
En même temps, le parcours de vie des auteurs des lettres est désormais bien connu et mérite une attention particulière. Au début de la guerre de Livonie, deux nobles livoniens ont été faits prisonniers par les Russes – Johann Taube, l’imprimeur de l’archevêque de Riga, et Éléhard de Krause, évêque de Dorpat. Comme cela arrivait souvent à l’époque, les captifs décidèrent de servir aux mains de leur ravisseur, ce qui se produisit vers 1564.
C’est ainsi que Taube et Krause se retrouvèrent dans l’oprichnina, et gagnèrent la grande confiance du tsar russe. À tort, en fin de compte. En 1567-1571, ils sont chargés de négocier la fondation d’un royaume vassal en Livonie. En échange de la confirmation du roi fantoche, Magnus, sur le trône, ils ont tous deux été promus à la Douma et ont reçu des domaines fonciers.
Mais en 1571, après la campagne du khanat en direction de Moscou, Taube et Krause trahissent Ivan IV, qui en est profondément mécontent. En 1571, après l’attaque de Moscou par l’armée du Khanat de Crimée, Taube et Krause trahissent Ivan IV, qui est totalement décontenancé. Après cela, Taube et Krause se sont enfuis en Lituanie, où ils ont utilisé leur connaissance des affaires internes de l’État russe pour rédiger la lettre susmentionnée. Mais l’information qu’ils donnent est une source très partiale. Comme l’a noté l’historien soviétique Rouslan Skrynnikov, les deux traîtres ont simplement cherché à justifier leur propre double trahison par la prétendue cruauté du tsar russe.
Rappelons également la célèbre légende du meurtre de son propre fils par Ivan le Terrible. Cette version n’apparaît dans aucune source russe, mais d’elles on connaît la longue maladie du tsarévitch Ivan Ivanovitch. À cette époque, en raison de la médecine rudimentaire, il n’était pas rare que les gens meurent jeunes.
L’accusation du tsar pour le meurtre de son fils a été faite publiquement par le légat du pape, un membre haut placé de l’ordre des jésuites, Antonio Possevino. Auparavant, au cours de négociations, il a cherché à obtenir d’Ivan IV une alliance avec le pape et la soumission au trône papal de l’Église orthodoxe russe, mais sans succès. L’accusation de Possevino a été soutenue par l’Allemand Heinrich von Staden, l’Anglais Jerome Gorsey et un certain nombre d’autres Européens. Aucun d’entre eux n’a pu assister à la mort du Tsarévitch Ivan. Il convient de noter que les historiens russes de l’époque tsariste ont écrit sur ce sujet à partir des sources occidentales, en s’en inspirant souvent de manière assez peu critique. Et quel genre de personnes étaient ces accusateurs ?
Prenons l’exemple de Jerome Gorsey. Pour ceux qui savent quelque chose de lui, il apparaît généralement comme un voyageur curieux qui a laissé des souvenirs intéressants de notre pays. Mais ce même Anglais compatissant a écrit que pendant la campagne d’Ivan le Terrible à Novgorod, 700 000 personnes ont été exterminées alors que la population totale de la ville s’élevait à environ 400 000 personnes. Une « exagération poétique ».
Et qui était Gorsey en fait ? En deux décennies, il s’est rendu sept fois dans l’État russe, et il s’agissait de longs voyages, officiellement associés à des missions diplomatiques et à des questions commerciales de la Compagnie anglaise de Moscou, qui avait d’ailleurs des raisons de le soupçonner de certaines affaires inconvenantes. En 1590, Gorsey tente une nouvelle fois de franchir la frontière russe, en secret, mais il est identifié et saisi par les autorités russes, et l’année suivante, il est expulsé. La lettre adressée à la reine Élisabeth, signée par Fiodor Ivanovitch, indique que si elle souhaite maintenir « l’amitié et l’amour » avec le tsar russe, elle correspondrait avec lui par l’intermédiaire de « bonnes personnes, et non par l’intermédiaire de vauriens et de canailles comme Gorsey ».
D’où viennent des caractérisations aussi cinglantes dans un message diplomatique ? Que savaient les Russes de l’époque de cet homme et qu’avons-nous oublié aujourd’hui ? Le fait est que les érudits anglais savent parfaitement que Jérôme Gorsey était un associé de Lord Francis Walsingham, qui lui avait été présenté par son propre oncle, Sir Edward Gorsey. Le secrétaire d’État Walsingham, membre du Conseil privé royal, est chargé du renseignement et du contre-espionnage. Il est l’un des fondateurs des réseaux d’agents en Europe. Les MI-5 et MI-6 (services de renseignements militaires) d’aujourd’hui remontent à Walsingham.
Après avoir été expulsé de l’État russe, Jerome Gorsey est devenu membre du parlement et l’est resté pendant 28 ans, et a été fait chevalier. Et même si certains, captifs des récits libéraux de « l’Ouest brillant », considèrent encore Gorsey comme un simple voyageur, pour le chef de la diplomatie russe, le greffier de l’ambassadeur Andrei Shchelkalov, homme politique expérimenté de l’époque, à en juger par ses actions décisives à l’égard de l’Anglais, tout était clair : il l’a jeté hors de son pays en tant qu’espion.
Pour en revenir aux « feuilles volantes », il convient de noter qu’il est bien connu qu’elles étaient imprimées dans l’armée polonaise. Un homme nommé Lapka a mis en place la première presse à imprimer de l’histoire de l’armée polonaise. L’efficacité de son travail peut être jugée par le fait que son fondateur a été élevé à la noblesse et est devenu pan Lapczynski.
Cependant, depuis le milieu des années soixante-dix du XVIe siècle, le ton des « feuilles volantes » change sérieusement : elles deviennent soudainement favorables à Moscou. Les pays concernés considéraient à nouveau le « Moscovite » comme un allié commode contre le « Turc ». Par conséquent, la flamme de la propagande russophobe a été temporairement réduite.
Mais le stigmate d’Ivan « le Terrible » demeure à ce jour. Bien sûr, le tsar russe n’était pas un agneau de Dieu, mais un monarque médiéval avec toutes les conséquences qui en découlent. Mais il n’était pas du tout pire que les souverains européens de son époque, bien au contraire. Son règne n’a rien connu de semblable à la nuit de Barthélemy qui a englouti la France dans un carnage. En quelques semaines, elle a coûté jusqu’à 30 000 vies, soit plus que ce qui a été exécuté sur ordre du tsar russe pendant son règne d’un demi-siècle (!).
Des massacres sanglants, auxquels « le Terrible » n’arrive pas à la cheville, ont également été perpétrés par ses contemporains – les monarques anglais. Rien que sous Henry VIII, en vertu de la « loi sur le vagabondage » ont été pendus des dizaines de milliers de personnes, Karl Marx a cité le chiffre maximum de 72 000. Elisabeth Ier n’est pas en reste par rapport à son père : le nombre de personnes exécutées selon sa volonté est estimé, selon certaines sources, à 89 000. Mais dans l’histoire écrite par les Européens, seul Ivan Vassilievitch a été qualifié de « Terrible ».
Quels sont les objectifs poursuivis par la guerre d’information anti-russe du XVIe siècle ? Il est clair qu’un Moscou plus fort était considéré comme un concurrent, et par certains comme un réel danger, et la propagation de la russophobie a joué un rôle mobilisateur dans cette lutte.
Mais il y avait aussi une deuxième raison, de nature manifestement agressive et invasive. Il ne s’agissait pas simplement, comme il est désormais de bon ton de le dire en Occident, de « contenir Moscou », mais aussi de la perspective de coloniser les terres russes. Par exemple, les Anglais, arrivés dans le nord de la Russie au milieu du XVIe siècle, se sont très vite mis à exiger la conclusion de traités inégaux, dont on sait qu’ils sont des instruments d’asservissement colonial.
Il faut reconnaître aux autorités russes de l’époque qu’elles n’ont pas fléchi. Mais à la fin de la guerre de Livonie, Ivan le Terrible cède et donne aux Britanniques le droit de faire librement du commerce de transit avec la Perse. Il souhaite vivement conclure une alliance militaire avec l’Angleterre et négocie un mariage avec une parente de la reine Elizabeth I, Mary Hastings, pour cimenter l’alliance par un mariage dynastique. Mais cela n’a pas fonctionné : Londres avait ses propres intérêts. N’ayant pas réussi, Ivan révoque bientôt le privilège accordé aux Anglais. Mais après cela, l’Angleterre a exigé des Russes la restitution de ce qu’elle considérait comme sien depuis plus de cent ans, et ce sans condition. Les négociations du côté anglais étaient les suivantes : d’abord vous nous rendez le droit de commercer avec les Perses sans droits de douane, et seulement après nous parlerions d’autre chose.
Heinrich von Staden, originaire de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, est allé encore plus loin. Comme Jerome Gorsey, il est surtout connu comme l’auteur de notes régulières sur la Moscovie (« The Country and Government of the Muscovites, described by Heinrich von Staden »). L’Allemand avait été au service de l’État russe pendant environ douze ans, de 1564 à 1576, travaillant y compris au bureau de l’ambassadeur en tant qu’interprète. Pendant qu’il était à oprichnina, von Staden a pris part à la campagne de Novgorod. Mais pour une raison quelconque, il est tombé en disgrâce et s’est enfui en Europe : d’abord en Allemagne, puis en Suède, où il a tenté d’entrer au service du comte palatin Georg Hans de Veldenz, au nom duquel il a commencé à décrire les affaires de Moscou.
Von Staden décrit les Russes qu’il a servis comme des « non-chrétiens », et Ivan le Terrible, qui lui a donné des domaines, comme un « terrible tyran ». L’ancien oprichnik a proposé un plan d’occupation de la « Moscovie ». Ce document a fait l’objet de discussions pendant plusieurs années dans le cadre d’ambassades auprès du Grand Maître de l’Ordre allemand (Teutonique), Henri, ainsi qu’auprès du roi polonais Étienne Báthory et de l’empereur romain germanique Rodolphe II. Ce dernier envisageait sérieusement la possibilité de créer une nouvelle province impériale à la place de l’État russe. Étienne Báthory souhaitait également s’emparer des terres russes, notamment Pskov, Novgorod et Smolensk.
Von Staden écrit : « La nouvelle province impériale de Russie sera dirigée par l’un des frères de l’empereur. Sur les territoires envahis, le pouvoir appartiendra aux commissaires impériaux, dont la tâche principale sera de fournir aux troupes allemandes tout ce dont elles ont besoin aux dépens de la population. À cette fin, il faut affecter des paysans et des commerçants à chaque fortification – sur vingt ou dix milles à la ronde – afin qu’ils paient les salaires des militaires et livrent tous les produits de première nécessité… ».
C’est le « Drang nach Osten » du XVIe siècle. Plus loin, nous lisons : « Des églises allemandes en pierre devraient être construites dans tout le pays, et les Moscovites devraient être autorisés à en construire en bois. Elles pourriront rapidement, et il ne restera plus en Russie que des églises allemandes en pierre. Ainsi, sans douleur et naturellement, il y aura pour les moscovites un changement de religion. Lorsque les terres russes … seront prises, alors les frontières de l’empire rejoindront celles du Shah de Perse … ».
On peut affirmer en toute responsabilité que l’idée de la conquête d’espaces vitaux à l’Est par les Européens a été formulée dès le XVIe siècle et a été discutée au niveau des chefs des États d’Europe occidentale. Et une puissante campagne d’information russophobe, déployée en Europe, a joué un rôle de soutien pour promouvoir les plans de colonisation de notre pays.
source : KPRF
traduction Marianne Dunlop pour Histoire et Société
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