Le bonheur s’apprend, à grand renfort d’exercices et de bonne volonté. C’est du moins ce que le buisson ardent avait à dire à Seligman, chercheur à l’origine de la psychologie positive. Il fallait d’abord y croire.
La psychologie positive a émergé au tournant du dernier millénaire et, décidément, elle semble coller à notre siècle. Pourquoi est-elle si populaire et lucrative? Pourquoi accroche-t-elle autant? Elle a, en fait, tout l’air de la pièce psychologique ajustée au casse-tête postmoderne. Une perspective sur l’humain compatible avec le narratif néolibéral qui sert désormais de trame à notre existence.
What he says?
L’homme est un végétal; s’il est déraciné trop longtemps, il s’assèche et meurt. L’homme est un poisson; il a besoin d’eau. La terre dans laquelle il s’enracine, l’eau dans laquelle il baigne, ce sont sa culture. Cette terre doit être fertile pour permettre à l’arbre de s’élever vers le ciel et d’avoir une descendance.
Or, qu’en est-il de la culture pour l’homme mondialisé? Une culture de gravelle, horizontale, qui reprend tout bonnement l’ordinaire, quand elle ne nous fait pas descendre dans la fange, nous offrant une vitrine pour regarder la misère humaine et nous flatter l’empathie. Peu d’éloquent, peu d’édifiant. Peu de verticalité. Comme le dit si bien Édouard, le bassin dans lequel on barbote est plein de pisse. Il faut sortir la tête de l’eau pour s’en apercevoir.
Coupé de ses traditions, de l’Autre en tant que membre d’une même communauté, de ses repères culturels et moraux et de tout rapport au sacré, desquels il tirait sa sève pour grandir, l’homme, qui voit ses feuilles s’étioler, panique et cherche désespérément un terreau dans lequel se replanter.
À ce moment lui vient la révélation : pour survivre, il devra s’enraciner… en lui-même! Ce sera le moi au service du moi.
C’est précisément ici que la psychologie positive entre en scène. Elle se propose de guider cet homme. Au moyen d’un discours se voulant scientifique et donc, supposément exempt de toute idéologie, elle le rassure : « Tu auras besoin de mon aide dans ta quête, mais n’aie crainte, je te garantis qu’en toi, tu trouveras tous les nutriments nécessaires te permettant de donner du fruit. »
S’exhumer le diamant brut
Ainsi, les clés pour composer avec le chaos se trouveraient en nous seuls. Et pour les trouver, en bons archéologues du nombril, il faut s’ausculter, se scruter l’intériorité. Jusqu’à exhumer notre moi authentique, sorte de diamant brut, reflet de notre nature profonde.
Vraiment? Voulons-nous vraiment dépoussiérer cette nature humaine? Si on était tout à fait honnête dans cette quête de soi, on finirait surtout par se voir faible, incapable d’aimer en vérité, des êtres limités dans le temps et l’espace, minuscules, dans un univers infini qui les absorbe. Voilà notre nature « profonde », et cessons de faire l’autruche. Le fameux moi « authentique », dont nous rebat les oreilles la culture contemporaine, est une pure chimère!
En l’occurrence, pour la psychologie positive, se scruter la citadelle intérieure vise moins à toucher à cette nature pragmatique nous conduisant à l’humilité, mais a davantage comme objectif la réécriture avantageuse du narratif que l’on se fait de soi. Elle nous propose une vision optimisée de nous-mêmes. La meilleure version. Par des exercices réguliers, on nous invite à nous regarder sous un nouvel angle, de manière à nous mettre en valeur, à nos yeux et aux yeux des autres.
Polissage du moi
Et cette réécriture, c’est du sérieux. Ça se fait à l’huile de coude. Se polir le diamant, dans le but de s’épanouir et enfin être béat, demande un travail continu, perpétuel, car on peut toujours faire mieux que mieux. Résultat? La psychologie positive fabrique des insatiables du bonheur, des êtres jamais comblés.
Qui plus est, comme nous avons les pieds englués dans l’utilitarisme, cette perspective de l’épanouissement qui ramène tout à l’individu devient essentiellement une affaire de gestion personnelle, de management du moi! Du moment que nous y mettions du nôtre, suffit qu’on nous enseigne les bonnes techniques nous permettant de gérer les épreuves, et le tour est joué. Apprendre à gérer son anxiété, son stress, son deuil, c’est la voie du salut.
En somme, alors que nous étions des arbres enracinés dans des écosystèmes culturels, nous sommes devenus des plantes en pot à qui la psychologie positive conseille de se soigner continuellement le feuillage, sans considération pour notre terreau pourtant aride et sec. Des plantes qui cherchent à s’autofertiliser et qui s’étonnent de ne plus donner que des fruits gâtés. Ne nous en déplaise, nous ne sommes pas des plantes autofertiles.
Nous ne pouvons pas être à la fois l’argile et le potier.
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