Après les années de confinement, le cinéma revivrait-il ? Après les bons, voire grands films de l’automne, suédois et catalan, voici un film italien, ou plutôt sardo-napolitain, Ariaferma, qui réunit, dans les montagnes sardes, trois Napolitains, le réalisateur, Leonardo di Costanzo, et deux monstres sacrés de la scène et de l’écran italiens, Toni Servillo (qu’on ne présente plus) et Silvio Orlando (le subtil cardinal-secrétaire d’État du Jeune Pape).
Le titre n ‘a heureusement pas été traduit (on risquait d’obtenir quelque chose d’aussi grotesque que Tourment sur les îles pour Pacifiction) : Ariaferma suggère un air confiné, à la fois air raréfié et air carcéral. C’est en effet un film de prison, mais sans les péripéties violentes (bagarres, révoltes et répressions) qu’évoque ce terme. Ce n’est pas non plus un film politique de dénonciation, malgré le décor, qui est une épure d’installation panoptique : quelques cellules rangées en cercle autour d’un espace central d’où les gardiens peuvent tout contrôler.
C’est un conte humaniste, presque un conte de Noël. Dans une prison vétuste, presque désaffectée, il ne reste plus que douze détenus (qui seront rejoints par un treizième), représentant plusieurs nationalités et religions, qui n’ont pas pu être accueillis dans la nouvelle prison qui leur avait été attribuée, face à six gardiens et un intendant. Les nouvelles conditions de fonctionnement, minimales, font planer une angoisse accrue par la présence d’un gardien brutal (le bad cop de l’histoire), toujours partisan de solutions violentes, mais aussi par l’activisme d’un détenu, Lagioia, qui finit presque par instaurer un nouveau règlement, risquant de mettre à mal l’autorité du chef intérimaire de la prison. On frôlera à plusieurs reprises la catastrophe, mais, chaque fois, la bonne volonté des hommes, gardiens et détenus, la désamorcera. Et le face à face évoluera vers une expérience (utopique ?) de vie communautaire, autour des deux personnages, le mafieux Carmelo Lagioia (Silvio Orlando), et le gardien chef, Gaetano Gargiuolo (Toni Servillo), d’abord très service service, mais qui saura chaque fois privilégier l’humanité plutôt que le règlement.
La cuisine ayant été fermée, c’est une société extérieure qui livre des barquettes-repas, que les détenus trouvent infectes, on se dirige donc vers une révolte à la Cuirassé Potemkine. Mais les deux protagonistes vont débloquer la situation, Gaetano décidant de rouvrir la cuisine, où officiera Don Carmelo. Ce gentleman’s agreement amènera Gaetano à transgresser toutes les règles de sécurité, mais l’empathie sera plus efficace que la stricte application du règlement et, loin de conduire à des débordements, elle aboutira à une véritable Cène, rappelant la scène de Viridiana, de Bunuel, où les mendiants reconstituent la célèbre fresque de Vinci, ou Le Festin de Babette : comme, dans le film danois, la gastronomie française réconciliait tout le monde, ici, c’est la pasta, diversement cuisinée, qui accomplit le miracle. (Il est amusant de se rappeler que, dans le premier film de Sorrentino, L’uomo in piu, en 2001, Toni Servillo, déjà, rendait son séjour en prison plus supportable en cuisinant pour un chef mafieux ; mais ici, il est passé de l’autre côté de la barrière). La gastronomie permettra même de faire passer de l’air frais, au sens propre, dans la prison, quand la cuisine s’ouvrira sur le potager : là, les deux protagonistes découvriront qu’ils ont un arrière-plan familial commun, et finiront par échanger des recettes de cuisine !
Le message du film est donc profondément humaniste : il suggère qu’il y a toujours quelque chose de positif dans un cœur humain, et qu’il vaut mieux, pour le bien-être collectif, y faire appel, plutôt qu’à la violence et à la peur. La cuisine joue ici le même rôle que le théâtre dans Cesare deve morire (2012), le film des frères Taviani réalisé dans la prison romaine de Rebibbia, « spécialisée » dans les mafieux : la mise en scène du Jules César de Shakespeare permettait à un groupe de détenus de montrer leur talent et leurs qualités humaines.
Certes, on peut trouver le film quelque peu irénique, et s’étonner que le dangereux mafieux se révèle être un vieux sage, soucieux du bien-être des gardiens comme des détenus. Mais l’humanisme gentillet (« Si tous les gars du monde… ») est contre-balancé par le décor carcéral et ses rites sinistres d’ouverture et fermeture des portes, tout le long de couloirs labyrinthiques, et sublimé aussi bien par l’austérité des montagnes qui encerclent la prison (c’est presque l’abbaye du Nom de la rose), que par la musique, dominée par des chants sardes a cappella d’une solennité liturgique.
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