par Olga Samofalova
L’édition occidentale de Bloomberg a admis que le projet du G7 d’introduire un plafonnement des prix du pétrole en provenance de Russie est une erreur. Car ces prix vont monter en flèche après ceux des prix du gaz dans l’UE. La Russie serait responsable de cette situation. Mais comment peut-elle utiliser le pétrole comme arme alors que l’Occident lui interdit son commerce ? Et pourquoi les États-Unis et l’UE retardent-ils réellement leurs propres mesures punitives ?
Selon Bloomberg, un prix plafond (discuté autour de 40 à 60 dollars le baril) a peu de chances d’être efficace. D’une part, cela entraînera une diminution des revenus de la Russie, et c’est l’objectif principal de l’Occident. D’un autre côté, cela entraînera également des dommages importants pour l’Europe.
Bloomberg rejette la responsabilité de la pénurie de pétrole sur la Russie
Quel est le problème avec ce plan ? Premièrement, la participation de l’Inde et de la Chine est essentielle pour assurer l’efficacité du plafonnement des prix. Mais aucun des deux pays n’a montré le moindre signe témoignant qu’ils vont se joindre à cette sanction. Dans la réalité, ils continuent d’acheter du pétrole russe à prix réduit, et une telle coopération leur est extrêmement bénéfique. Deuxièmement, Bloomberg doute que tous les pays européens respectent ce plafond des prix : en particulier, la Hongrie et la Turquie ne le feront probablement pas.
Toutefois, Bloomberg tente de rejeter la responsabilité de la pénurie de pétrole sur la Russie. La publication considère avec assurance que la Russie fera du pétrole son arme énergétique et, qu’en représailles aux sanctions occidentales, elle réduira ses exportations de pétrole vers l’Europe. Comment ? D’abord, parce que la réduction des approvisionnements pétroliers russes est considérée comme délibérée. Ensuite, cela affectera des raffineries en Hongrie, en Slovaquie, en République tchèque, en Allemagne et en Pologne, qui traitent le pétrole russe de l’Oural fourni par l’oléoduc Druzhba. Enfin, la Russie aurait délibérément arrêté l’exploitation du terminal maritime du Caspian Pipeline Consortium (CPC) pendant 30 jours, par lequel le pétrole kazakh transite de la Russie vers l’Europe. Bloomberg présente cela comme la preuve que la Russie veut utiliser le pétrole comme arme géopolitique.
L’expert principal du « Fonds national de sécurité énergétique » et de l’Université financière du gouvernement de la Fédération de Russie, Igor Ioushkov, est surpris par ce raisonnement. « Bloomberg essaie d’embellir les choses, en faisant croire que c’est la Russie qui est responsable de la pénurie de pétrole, et que c’est donc elle qui mène l’attaque. Après tout, l’utilisation de l’arme de l’énergie signifie bien cela. Mais en réalité, nous parlons du fait que la Russie est forcée de vendre son pétrole à des prix hors marché, ce qu’elle refuse de faire. Ce refus est considéré comme une arme, alors qu’il s’agit d’une action de défense. La Russie est prête à commercer, mais aux prix du marché ».
En réalité, c’est l’Occident qui se prive lui-même du pétrole russe
Comment peut-on considérer que c’est la Russie qui frappe l’UE alors que celle-ci impose un embargo pétrolier le 5 décembre ? En d’autres termes, c’est l’UE elle-même qui se prive du pétrole russe transporté par voie maritime. Quant aux approvisionnements pétroliers par pipeline en provenance de Russie, ni l’embargo pétrolier ni le plafond des prix ne s’y appliquent. Quelles vont en être les conséquences sur les livraisons via le pipeline de Druzhba ? L’Occident soupçonne que la Russie cessera de fournir du pétrole via l’oléoduc Druzhba, et c’est pourquoi les raffineries de Hongrie et d’autres pays vont en souffrir.
L’expert Igor Iouchkov commente ainsi cette situation. « Il n’y a pas eu de telles déclarations de la part de la Russie. La Russie refuse d’échanger du pétrole à des conditions hors marché. Grâce à l’oléoduc Druzhba, nous pouvons fournir du pétrole aux prix du marché même après l’introduction de restrictions, tout en gagnant de l’argent dessus. La Russie a continué à fournir du gaz à l’UE même après l’explosion de nos gazoducs. Nous continuons à fournir du gaz à l’Europe même via l’Ukraine. Pourquoi devrions-nous arrêter le commerce du pétrole sur le marché ? Pour nous, les revenus de l’exportation de pétrole et de gaz sont importants ».
Il en va de même pour l’arrêt du pipeline de la Caspienne, survenu en raison d’une tempête et de l’impossibilité, en raison des sanctions, de fournir rapidement le matériel nécessaire pour réparer la panne. « La Russie n’a jamais déclaré qu’elle couperait l’approvisionnement en pétrole via cet oléoduc. Les livraisons ont déjà repris, et au total, la Russie livrera les mêmes volumes que l’an dernier », précise l’expert de la FNEB. « Le problème est que le plafond des prix comporte de grands risques pour les économies occidentales. Mais leurs responsables politiques ne veulent ni ne peuvent annuler ce plan. L’Occident veut sauver la face en continuant à faire pression sur la Russie. Or, la réduction des exportations de pétrole de la Russie provoquera une flambée des prix sur le marché mondial. Autrement dit, le prix de tout le pétrole augmentera, qu’il provienne d’Afrique ou du Moyen-Orient. Non seulement l’UE en subira les conséquences, mais les États-Unis également qui continuent d’importer du pétrole (ils s’approvisionnent eux-mêmes en gaz), ainsi que d’autres acheteurs », explique Igor Iouchkov.
Un blocage des prix qui va renforcer l’inflation, d’où une mesure peut-être en suspens…
Il faut rappeler que le coût du pétrole a un impact considérable sur le transport. Cela se répercute dans le prix de chaque produit et de chaque service. Par conséquent, cela fera davantage grimper l’inflation aux États-Unis et dans l’UE. La FED et la BCE en particulier devront encore augmenter les taux pour lutter contre la hausse des prix. Les taux des crédits continueront d’être à la hausse et l’économie ralentira. « Les États-Unis et l’UE ont lutté contre une inflation record tout au long de 2022. Et avec l’aide du plafond des prix du pétrole, ils annulent tout simplement leurs propres efforts dans la lutte contre la hausse des prix. Par conséquent, ils conduisent leurs économies dans une impasse », déclare Iouchkov. Selon lui, il est peu probable que les États-Unis et l’UE abandonnent complètement cette idée.
Cependant, il ne faut pas exclure que l’Occident prépare le terrain pour reporter une telle décision. C’est du moins ce que pense l’expert. Les États ont déjà déplacé le plafond des prix à janvier 2023, bien qu’auparavant cette mesure devait être introduite simultanément avec l’embargo pétrolier dans l’UE le 5 décembre de cette année. En outre, les États-Unis tentent d’apporter des assurances à ceux qui achèteraient du pétrole russe, en indiquant qu’il n’y aura pas de sanctions. Enfin, de manière inattendue, le prix plafond a été fixé à un niveau assez élevé : 60 dollars le baril. Iouchkov n’exclut pas qu’il atteigne éventuellement 70 voire 80 dollars le baril. « Nous assistons à un assouplissement constant du plafond des prix, et les publications de Bloomberg montrent que les pays occidentaux sont conscients des risques graves qui découlent de l’introduction de ces mesures. Peut-être préparent-ils l’opinion publique au fait qu’une pression supplémentaire sur la Russie n’est pas très souhaitable, que la guerre des sanctions avec la Russie pourrait être gelée pour l’hiver », n’exclut pas l’expert de la FNEB.
Pour conclure, il reste difficile de prédire quelle sera l’augmentation des prix du pétrole. Cependant, l’expert s’attend à ce que si l’embargo pétrolier et le plafond des prix entraînent une baisse des exportations d’un million de barils par jour, le pétrole pourrait atteindre 120 dollars le baril tout en maintenant les quotas de production de novembre par les pays de l’OPEP+. Si les exportations de la Russie chutent d’un demi million de barils, le prix du pétrole sera de 100 à 110 dollars le baril.
source : Le Courrier des Stratèges
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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