14 novembre 2022 Libre opinion dans Le Devoir du 10 novembre, Maria Dakli soulève une question fondamentale sur le plan de l’éthique qu’elle nomme « l’apathie occidentale face à l’autre » ou le déficit dans la conscience d’appartenir à une « même communauté internationale », ce qui correspond, écrit-elle, à « un coma végétatif sélectif. » En d’autres termes, elle met en exergue le fait que nous vivons dans l’insouciance ou l’indolence devant les catastrophes du monde, qu’il s’agisse des guerres, de l’urgence climatique ou de la misère des peuples.
Si nous pensons et agissons ainsi sans nous sentir responsables ni liés aux autres (ce que le philosophe et éthicien Edgar Morin appelle la « reliance »), qui sont partie intégrante de l’humanité tout comme nous, nous développons une disposition à tolérer facilement la destruction et la violation de l’autre, surtout si on nous le présente comme une menace ou une atteinte à nos croyances.
Dans son traité sur l’éthique (La méthode 6 : Éthique publié au Seuil), Edgar Morin rappelle que le sens de « l’éthique pour autrui nous demande donc d’abord de ne pas rejeter autrui de l’humanité ». Ne retrancher personne de l’humanité est un principe éthique premier, poursuit-il. « Ce principe nous demande non seulement de ne pas traiter l’autre comme objet, de ne pas le manipuler comme instrument, mais de ne pas non plus le mépriser ni de le dégrader comme sous-humain. »
Devant les conflits armés, la pensée collective actuelle va tout à fait dans le sens contraire. Au lieu de rechercher la paix avec l’autre, nous nous acharnons à promouvoir son élimination et la destruction de son environnement sans nous demander quelle est la part de nos responsabilités dans tel ou tel conflit.
Ainsi, actuellement, en mettant en opposition l’appui populaire massif aux positions de l’OTAN en Ukraine à l’indolence face aux autres conflits armés, notamment la guerre de l’Arabie saoudite au Yémen, force est de constater que l’opinion publique, comme le mentionne Mme Dakli, est malléable selon les intérêts des pays occidentaux dominants qui se définissent comme défenseurs de la démocratie et de la liberté aux yeux du monde. Entre les lignes, il faut comprendre que les exigences de la domination et de la croissance économiques priment toutes les autres considérations.
Depuis la nuit des temps, les élites politiques savent qu’il suffit d’agiter le gonfalon de la peur et celui de la menace de l’autre ou encore celui de perdre ne serait-ce qu’un minime pourcentage de nos facilités matérielles pour susciter l’adhésion inconditionnelle à la nécessité de faire la guerre dans l’irresponsabilité et l’insouciance générale.
Cette ligne directrice explique que, dans les conflits en cours sur la planète, le Canada ne se lève jamais pour dire : c’est assez, nous prenons la responsabilité de contribuer à bâtir la paix, de promouvoir des médiations et des négociations, de cesser la vente d’armes à des pays faiseurs de guerres (pensons au scandale de la vente des « Jeeps » canadiens à l’Arabie saoudite, pays qui dirige la guerre au Yémen).
Au contraire, on fait constamment appel à l’esprit guerrier pour promouvoir la nécessité de la guerre. Les chantres de la résignation aux diktats de nos intérêts clament haut et fort qu’il n’y a aucune autre option que la guerre « obligée ». Devant les catastrophes, la propagande travaille les esprits en vue de susciter l’adhésion inconditionnelle à la laideur et à l’esprit de destruction de la guerre plutôt qu’au respect des autres peuples et de la nature sous tous les aspects.
En somme, comme le rappelle Edgar Morin : « Notre civilisation sépare plutôt qu’elle ne relie. Nous sommes en manque de “reliance”, et celle-ci est devenue un besoin vital : elle n’est pas seulement complémentaire à l’individualisme, elle est aussi réponse aux inquiétudes, incertitudes et angoisses de la vie individuelle. […] La “reliance” est un impératif éthique primordial, qui commande les autres impératifs à l’égard d’autrui, de la communauté, de la société, de l’humanité. » Cet impératif s’appelle la responsabilité à l’égard du monde de l’autre, qui est aussi notre monde.
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