Par Dmitry Orlov – Le 1er novembre 2022 – Source Club Orlov
La crise des missiles cubains est un terme mal choisi. Cuba n’a jamais eu de missiles nucléaires ; elle a temporairement accueilli quelques missiles soviétiques. La crise a commencé lorsque les Américains ont placé leurs missiles nucléaires à portée intermédiaire en Turquie, ce qui a constitué une nouvelle menace pour l’Union soviétique, qui a répondu en plaçant des missiles similaires à Cuba, égalisant ainsi le score. Les Américains se mirent en colère mais finirent par se calmer et retirèrent leurs missiles de Turquie. Les Soviétiques retirèrent leurs missiles de Cuba et la crise se termina. Et c’est pour cela qu’on aurait du l’appeler la crise des missiles américains.
Ce qui se passe maintenant est totalement différent. À moins que vous n’ayez passé les dernières semaines à vous cacher sous un rocher, vous avez probablement entendu dire qu’une sorte de nouvelle crise nucléaire était en cours à cause du « chantage nucléaire de Poutine » ou quelque chose du genre. Certaines personnes ont souffert d’épuisement nerveux en conséquence, négligeant leurs devoirs et se laissant largement aller. Prenez l’ancien Premier ministre britannique Liz Truss, par exemple. Cette pauvre idiote s’est accrochée aux propos de Poutine selon lesquels « la rose des vents peut pointer dans n’importe quelle direction » (une remarque factuelle sur l’inutilité totale des armes nucléaires tactiques). Elle a ensuite laissé l’économie britannique tomber en chute libre pendant qu’elle suivait obsessionnellement la direction du vent qui souffle au-dessus de l’Ukraine. Tout s’est mal terminé pour la pauvre Liz. Ne finissez pas comme Liz.
Je suis ici pour vous dire qu’il ne se passe rien d’autre que le train-train – c’est-à-dire, l’habituel trucage de la propagande occidentale.
En particulier, cela n’a rien à voir avec Poutine ou avec quoi que ce soit de nucléaire. Au contraire, tout cela fait partie d’une tentative désespérée de compenser un échec narratif, une tentative ratée de plus. Le problème pour l’Occident collectif est simplement le suivant : 80 % de la population mondiale a refusé de se joindre à elle pour condamner, sanctionner ou punir la Russie, certains très grands pays (Chine, Inde) étant soit favorables soit neutres sur le sujet.
La plupart des pays du monde, y compris l’Asie, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique latine, observent attentivement la Russie détruire systématiquement ce qui était de loin la plus grande et la plus capable des armées équipées et commandées par l’OTAN dans le monde (l’armée ukrainienne, bien sûr), comprenant parfaitement que ce qui se passe est le Waterloo de Washington. Certains pays (l’Arabie saoudite, par exemple) sont tellement sûrs du résultat qu’ils refusent déjà d’obéir aux diktats de Washington. C’est un problème, car tout ce que les Washingtoniens savent faire, c’est imposer leur volonté au monde. Traiter les autres sur un pied d’égalité ou chercher des occasions de négocier un accord gagnant-gagnant ne fait tout simplement pas partie de leurs compétences essentielles – ni d’aucune de leurs compétences, d’ailleurs. Une fois défaits, tout ce qu’ils savent faire, c’est aboyer et baver.
Pour résoudre ce problème, les faiseurs d’histoires à Washington et à Bruxelles ont décidé de jouer la carte nucléaire et d’accuser la Russie de chantage nucléaire. Pendant ce temps, tout ce que la Russie a fait, c’est décimer l’armée ukrainienne à plusieurs reprises, puis accepter quatre anciennes régions ukrainiennes dans la Fédération de Russie sur la base de référendums locaux très concluants, surveillés de près par un bon nombre d’observateurs internationaux, et enfin annoncer qu’elle défendra ces régions contre toute attaque étrangère par tous les moyens nécessaires. Ces moyens incluent évidemment les moyens nucléaires, puisque la Russie en possède et les utiliserait conformément à sa doctrine nucléaire, qui exclut leur utilisation en premier.
Alors que les États-Unis n’ont pas une telle stipulation dans leur doctrine nucléaire, ont effectivement utilisé des armes nucléaires contre des civils (au Japon) et rêvent depuis des décennies de développer une capacité de première frappe nucléaire qui ne pourrait être contrée. Si un pays doit être considéré comme une menace nucléaire, ce sont les États-Unis, pas la Russie… sauf que, comme je vais l’expliquer, les États-Unis ne sont plus vraiment une menace nucléaire non plus. Poutine y a à peine fait allusion, mais cette simple allusion a suffi à rendre furieux l’establishment de la défense nationale américaine, dont le pire ennemi est la réalité elle-même. Poutine a souligné qu’à l’heure actuelle, la Russie dispose de certaines armes dans son arsenal de dissuasion nucléaire qui sont supérieures à celles de l’Occident.
Ces nouvelles armes, dont nous reparlerons plus tard, garantissent que toute attaque nucléaire contre la Russie serait un acte suicidaire. En d’autres termes, l’Occident n’a aucun moyen de détruire la Russie de manière fiable (elle est trop grande et son noyau économique est trop indépendant et trop bien défendu par des systèmes de défense aérienne et spatiale), tandis que la Russie peut détruire l’Occident de manière fiable (car il est loin d’être aussi bien défendu), mais elle ne le fera que si l’Occident attaque en premier. Contrairement à l’époque soviétique, la Russie n’a aucun zèle missionnaire ; elle est heureuse de rester assise à regarder l’Occident s’affamer (en raison d’un manque d’engrais chimiques russes) dans l’obscurité (en raison d’un manque de pétrole et de gaz russes). Tout ce qu’elle veut, c’est rassembler les morceaux du monde russe brisé et tous les peuples et les terres que l’effondrement de l’URSS a abandonnés derrière toute frontière décrétée par les bolcheviks. Dans cette situation, le risque d’une guerre nucléaire est à peu près nul. Je vous invite à vous asseoir, à prendre une série de respirations profondes et à laisser la bonne nouvelle s’imprégner. Ressentez la joie.
Mais la joie ne durera probablement pas si vous écoutez des idiots lâches dont le travail consiste à vous mentir sur « la menace nucléaire de Poutine ». Lorsque, par exemple, Jack Philips écrit que « Moscou a menacé d’utiliser… des armes nucléaires tactiques… en Ukraine pour sauver sa guerre là-bas », il ne fait que nous mentir, et pas une mais trois fois dans la même phrase : La Russie n’a pas menacé d’utiliser des armes nucléaires tactiques mais a plutôt souligné leur inutilité ; et l’opération spéciale de la Russie est un succès. Le fait qu’il n’y ait pas de menace est le message principal de cet article, mais faisons une brève digression et décrivons à quoi ressemblent la victoire ukrainienne et la défaite russe.
L’Ukraine est victorieuse dans la mesure où, selon le FMI, son PIB a baissé de 35 % en 2022 ; selon sa banque nationale, l’inflation a dépassé 30 % et ne ralentit pas ; selon la Banque mondiale, l’année prochaine, 55 % des Ukrainiens seront sous le seuil de pauvreté, subsistant avec moins de 2,15 $ par jour ; selon le ministre ukrainien de l’économie, le chômage a atteint 30 % ; selon le Premier ministre, l’Ukraine sera incapable de payer les retraites et les salaires sans une aide étrangère immédiate ; selon les Nations unies, 20 % de la population a quitté le pays et 33 % est déplacée à l’intérieur du pays ; selon le ministère de l’énergie, l’Ukraine a déjà perdu 40 % de sa capacité de production d’électricité. L’armée ukrainienne recrute tous les hommes jusqu’à 60 ans, faute de réservistes, et les pertes qu’elle subit sur le front sont tout simplement effroyables.
Pendant ce temps, la Russie est vaincue car, selon Reuters, le rouble russe est la monnaie la plus forte du monde ; selon le Guardian, Poutine est plus puissant et populaire que jamais ; selon son ministère de l’agriculture, la récolte de céréales de cette année dépasse les 150 millions de tonnes, dont 50 millions sont destinées à l’exportation, ce qui fait de la Russie le premier exportateur mondial de céréales ; selon The Economist, la Russie sort de la récession au moment même où l’Occident y entre ; et selon Goldman Sachs, l’indice de l’activité économique en Russie est désormais supérieur à celui de l’Occident. La Russie vient de rappeler 300 000 hommes, soit 1 %, de ses réservistes formés et expérimentés, qui sont maintenant formés aux dernières techniques de combat de l’OTAN avant d’être envoyés sur le front ukrainien.
Mais ne laissons pas les faits faire obstacle au récit dominant : l’Ukraine doit gagner et la Russie doit perdre, car sinon, qu’est-ce qui pourrait bien pousser la Russie à être désespérée au point de menacer le monde avec ses armes nucléaires ? Cette partie est simple ; ce qui est moins évident est de savoir pourquoi les propagandistes occidentaux sont suffisamment désespérés pour concocter et promulguer le faux récit du « chantage nucléaire de Poutine » ?
La raison de toute cette trépidante propagande est que l’Occident collectif ne peut espérer survivre politiquement ou économiquement à moins que la Russie ne soit mise à genoux et accepte d’échanger ses ressources énergétiques et minérales contre des chiffres fraîchement frappés qui résident dans les ordinateurs des banques centrales occidentales et qui peuvent être confisqués à tout moment et pour n’importe quelle raison. La situation est désastreuse : les États-Unis épuisent leur réserve stratégique de pétrole à un rythme effréné, tout en faisant face à une pénurie de carburant diesel et à des prix de l’essence obstinément élevés. Ils ont une dette énorme à rembourser et qui doit s’accroître, mais ils ne peuvent le faire qu’en imprimant directement de la monnaie, ce qui fait grimper l’inflation, déjà supérieure à 10 %, encore plus haut. L’Europe se prépare à un hiver rude avec des factures d’énergie ridiculement élevées, des fermetures d’industries et un chômage massif, tandis que les États-Unis ne sont pas loin derrière. La manne de la fracturation aux États-Unis n’a jamais été tout à fait rentable et il ne reste plus qu’un an ou deux avant qu’elle ne soit épuisée. Le rêve de voir le gaz naturel liquéfié américain remplacer le gaz russe par gazoduc en Europe, qui n’a jamais été un projet réaliste, sera alors définitivement enterré, tandis que les fermetures d’industries s’étendront aux États-Unis.
Pour éviter ce scénario, des mesures désespérées ont été appliquées, et toutes ont échoué. Il y a d’abord eu le plan de sanctions infernales, qui a contraint de nombreuses entreprises occidentales à cesser d’expédier des produits en Russie et d’y faire des affaires. Cela a causé un grand tort aux entreprises occidentales tout en offrant à la Russie une ouverture pour leur voler des parts de marché. Ce qui ne pouvait pas être remplacé par la production nationale a été remplacé par des « importations parallèles » via des pays tiers.
Ensuite, l’Occident (l’Europe en particulier) a réduit ses importations d’énergie russe par un certain nombre de moyens, allant des sanctions contre les pétroliers russes aux interdictions d’utiliser la capacité des oléoducs existants à travers l’Ukraine et la Pologne, en passant par des attaques terroristes directes sur les gazoducs russes dans la Baltique. Une interdiction pure et simple des importations de pétrole russe dans l’Union européenne est prévue pour décembre, ce qui ne fera qu’aggraver la situation. Le résultat est que la Russie a commencé à expédier du pétrole et du gaz à ses partenaires d’Asie, en particulier à la Chine, et que l’Occident est maintenant invité à se battre pour cette énergie sur le marché au comptant, jusqu’à épuisement des réserves. Ce ne sera pas le cas. En raison de la hausse des prix, la Russie exporte moins d’énergie mais gagne plus de revenus étrangers.
C’est ainsi qu’un plan ingénieux a été élaboré pour une provocation nucléaire en Ukraine. Les Ukrainiens, avec l’aide des États-Unis et de la Grande-Bretagne, devaient prendre un vieux missile balistique de l’ère soviétique (un Tochka-U), le charger de déchets nucléaires provenant d’une des centrales nucléaires ukrainiennes, et le faire exploser quelque part dans la zone d’exclusion de Tchernobyl (qui est déjà contaminée par des radionucléides à longue durée de vie), puis les médias et les sources diplomatiques occidentaux deviendraient tous hystériques et rejetteraient à l’unisson la faute sur la Russie, en espérant qu’au moins certains des pays du monde qui ont refusé de se joindre aux sanctions occidentales contre la Russie viendraient enfin les rejoindre.
Que s’est-il passé ? Rien du tout, apparemment ! Tout d’abord, les services de renseignement russes ont obtenu les détails de l’opération par une ou deux ou trois sources internes. Ce n’est pas surprenant, car aucun ingénieur nucléaire qui se respecte ne serait trop excité pour assumer la responsabilité d’une telle mascarade. Deuxièmement, le ministre russe de la défense, Sergei Shoigu, sous les ordres directs de Poutine, a passé des appels téléphoniques à ses homologues du monde entier pour leur communiquer ces preuves. Troisièmement, la Russie a spécifiquement demandé que l’AIEA aille enquêter sur les deux sites ukrainiens où le simulacre a été concocté. Le résultat final est que les Ukrainiens s’empressent maintenant de détruire les preuves et de couvrir leurs traces. Étant donné que chaque gramme de ces substances hautement contrôlées doit être inventorié et que chaque mouvement doit être enregistré, cette dissimulation peut impliquer des incidents, des accidents et des circonstances de force majeure. Un méchant petit accident impliquant une tasse à thé de déchets nucléaires et un pétard n’est pas à exclure, à mettre sur le compte de la Russie, bien sûr.
Pendant ce temps, dans le monde réel des affrontements entre superpuissances nucléaires, deux événements intéressants ont eu lieu. Le jeudi 20 octobre 2022, le sous-marin nucléaire américain West Virginia, un sous-marin de la classe Ohio qui transporte 24 missiles balistiques Trident II, chacun portant 10 charges nucléaires, a fait surface dans la mer d’Oman et a reçu la visite de Michael Kurilla, commandant du Commandement central des États-Unis. J’imagine qu’il a aligné les membres de l’équipage sur le pont, qu’il s’est tenu devant eux en uniforme de la marine, qu’il a baissé son pantalon et qu’il a fait un petit numéro de « milk, milk, lemonade, round the corner fudge is made« … parce que c’est tout comme. Le but d’un sous-marin nucléaire est d’être furtif car les systèmes de défense aérienne russes peuvent intercepter les missiles Trident II particulièrement bien s’ils savent d’où ils viennent. Ainsi, le fait de faire surface et d’organiser des parades sur le pont annonce au monde entier que le sous-marin est hors service pour le moment.
Pourquoi les Américains font-ils cela ? S’agit-il d’un geste de paix maladroit, d’un acte cryptique de reddition ou d’un appel à l’aide voilé ? Ou sont-ils tous en train de devenir séniles parce ce que Biden est contagieux ? Il nous est difficile de le dire. Quoi qu’il en soit, les Russes ne semblent pas affectés. Le sous-marin nucléaire russe Belgorod a récemment navigué en eau profonde, provoquant une certaine panique au sein de l’OTAN. Il transporte un certain nombre des nouvelles torpilles, des drones nucléaires Poseidon, qui portent toutes le chiffre 100. Chacune d’entre elles porte une charge de 100 mégatonnes. Les Poseidon ont une portée presque infinie, se déplacent à environ 100 km/h à une profondeur de 1000 m (2 à 3 fois plus profonde que n’importe quel sous-marin nucléaire) et, lorsqu’elles explosent près d’une crête côtière sous-marine, elles peuvent soulever un tsunami de 100 mètres de haut. Cinq d’entre elles suffisent à démolir les deux côtes des États-Unis et toute l’Europe du Nord. Il s’agirait d’essais nucléaires sous-marins effectués dans les eaux internationales – antisociaux, certes, mais pas vraiment des frappes nucléaires directes sur le territoire de qui que ce soit, donc difficilement un casus belli. Et le tsunami qui s’ensuivrait ? Oh-oh ! Oopsie-daisy, désolé pour ça ! Personne ne va écrire « en cas de tsunami, détruire la Russie » dans la doctrine nucléaire américaine. Mieux encore, les Poseidons peuvent rester à l’affût pendant des années, faisant périodiquement surface pour recevoir de nouvelles commandes. Mais si la Russie est détruite, ils se lèveront et détruiront le reste du monde, car « À quoi servirait le monde sans la Russie ? » (V. Poutine)
Nous pouvons être sûrs que les Russes ne lanceront pas une guerre nucléaire parce que c’est risqué et qu’ils n’ont pas besoin de prendre ce risque pour gagner. Nous pouvons être sûrs que les Américains n’en lanceront pas une parce que ce serait du suicide. Nous pouvons donc tous nous asseoir et nous détendre pendant que les faiseurs de récits sur le « chantage nucléaire de Poutine » aboient leurs idées stupides. Quant à toutes ces putes médiatiques qui font peur aux gens avec leurs absurdités nucléaires pour faire du battage médiatique, elles devraient avoir honte !
Dmitry Orlov
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Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.
Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone
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