Par M. K. Bhadrakumar − Le 1er novembre 2022 − Source Oriental Review
Au cours du récent 20ème Congrès du Parti Communiste, l’attention s’est centrée sur la réélection de Xi Jinping au poste de secrétaire général pour un nouveau mandat de cinq ans. La tradition instituée par Deng Xiaoping au cours de l’ère suivant Mao Tsetung a été laissée de côté. La chose était attendue, et les observateurs l’ont majoritairement interprétée comme une consolidation du pouvoir politique par le dirigeant sortant. C’est pour partie vraie, mais pas entièrement. Les conséquences de cet événement sont plus profondes.
Fondamentalement, le Parti Communiste a positionné ses chariots en cercle pour répondre aux défis sans précédents posés par l’environnement extérieur de la Chine. La composition de la Commission Permanente du Politburo auprès du Comité central du Parti Communiste souligne ce fait. La Commission Permanente du Politburo est composée de membres connus de Xi depuis des années, et avec lesquels il a l’habitude de travailler ; des membres par lui considérés comme fiables et dignes de confiance. Il n’est pas possible de les séparer de Xi. Li Qiang, qui est classé comme second membre du Comité Permanent du Politburo, et qui est pressenti comme prochain premier ministre chinois, a travaillé directement sous les ordres de Xi depuis 2004.
En outre, il est tout à fait possible que Xi reste aux rênes du pouvoir à l’issue de son nouveau mandat, qui doit courir jusqu’en 2027. Les adversaires de la Chine — au premier rang desquels les États-Unis — feraient bien d’admettre que vouloir exploiter des différends entre factions ou des rivalités va rester une illusion.
Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette mobilisation de l’unité du parti dans le contexte actuel. Selon l’agence de presse Xinhua, Xi a œuvré directement à la sélection des candidats aux postes du nouveau Comité Central du Parti Communiste, l’organe central de tout parti communiste, qui constitue l’autorité décisionnaire ultime entre les congrès, et qui joue le rôle de médiation une fois que le processus de centralisme démocratique a amené à une position négociée.
Il ne fait aucun doute que Pékin se prépare à repousser les États-Unis avec une vigueur renouvelée. Les nouveaux dirigeants ne vont pas prendre de pincettes pour entrer en confrontation si les États-Unis renient les intérêts centraux de la Chine. La spirale d’hostilité va escalader au fur et à mesure que la Chine va ressentir que les États-Unis se préparent à un conflit. Dans un éditorial, le quotidien Global Times publié par le Parti Communiste chinois a indiqué que « la source de cette ‘hostilité’ provient des États-Unis, et [que] la réponse et les contre-mesures de la Chine constituent, par nature, une défense légitime. Les diverses actions menées par Washington contre Pékin reviennent à délibérément pratiquer des manœuvres de queue de poisson sur l’autoroute. »
Le rapport du Congrès du Parti a souligné que la Chine s’oppose indéfectiblement à l’« hégémonisme et aux politiques de pouvoir dans toutes leurs formes, » ainsi qu’à « l’unilatéralisme, au protectionnisme et aux intimidations de toutes sortes. » Le pays s’oppose également à « la mentalité de Guerre Froide, aux ingérences dans les affaires intérieures d’autres pays, et à la pratique du deux poids, deux mesures. » Bien qu’aucun pays n’ait été explicitement mentionné dans ce contexte, il ne fait aucun doute qu’ils ciblaient les États-Unis. La Chine ne se laissera plus apaiser par les mots creux protocolaires.
Il apparaît comme une évidence que la Stratégie de Sécurité Nationale dévoilée par la Maison-Blanche ne va faire que nourrir les hostilités encore davantage en désignant la Chine comme seule rivale globale de Washington entretenant l’intention de redéfinir l’ordre international et disposant du pouvoir économique, diplomatique, militaire et technologique pour avancer dans cette voie.
Xi a répondu en envoyant le 26 octobre un message de félicitations au Dîner de Gala annuel du Comité National sur les relations entre les États-Unis et la Chine. Xi a affirmé que « le monde d’aujourd’hui n’est ni tranquille, ni stable. La Chine et les États-Unis sont deux pays majeurs. Une communication et une coopération plus étroites entre les deux pays vont contribuer à apporter au monde une plus grande stabilité ainsi que des assurances, et à promouvoir la paix et le développement du monde. La Chine est prête à œuvrer conjointement avec les États-Unis pour définir la bonne manière de s’entendre au cours de la nouvelle ère, sur la base du respect mutuel, de la coexistence pacifique, et d’une coopération gagnant-gagnant, qui apportera des bénéfices non seulement aux deux pays, mais au monde entier. »
Dans les faits, la trajectoire de la politique menée par les États-Unis vis-à-vis de la Chine est actuellement fondée sur les tentatives d’empêcher la Chine d’accéder à la dernière génération de semi-conducteurs, et à se hisser au niveau des technologies de défense étasuniennes. Il est non seulement futile, mais naïf de penser qu’une technologie peut rester l’apanage d’un seul pays pendant une durée significative, ou que la percée technologique réalisée par un pays dans un secteur particulier de l’économie peut être préservée par des restrictions sur les exportations. Soyons assurés que les Chinois trouveront toujours un moyen de passer outre.
Il en va de même du changement climatique. John Kerry, envoyé par le président Biden au sujet du climat, a récemment reconnu qu’il ne peut pas exister d’agenda global face au changement climatique sans une coopération active de la part de la Chine. Mais il a poursuivi en avançant l’idée pour le moins étrange que l’agenda du changement climatique devait être mené dans une bulle séparée de celle des problèmes géopolitiques, comme il dit. Cela ne va pas fonctionner.
Le Global Times a écrit : « Kerry est peut-être sincère dans son désir de rétablir une coopération entre la Chine et les États-Unis dans le domaine du changement climatique, mais il devrait sans doute commencer par convaincre le gouvernement étasunien de lever les barrages, par exemple, de retirer les sanctions sur l’industrie photovoltaïque du Xinjiang, et de mettre fin aux mesures sévères et déraisonnables contre la Chine dans le domaine des puces électroniques. »
Le fait est que Xi n’a jamais essayé de démarrer une nouvelle guerre froide. Il n’a pas non plus provoqué la confrontation en cours. La Chine n’aspire pas non plus à diriger le monde, mais elle reste au contraire centrée sur son propre développement et son aspiration nationale à devenir une société prospère sans ingérence extérieure. Ce sont les États-Unis qui veulent exercer une hégémonie globale, là où la Chine n’a ni l’expérience, ni le désir d’imposer ses volontés.
La balle est dans le camp de Washington, mais il ne faut s’attendre à aucun changement significatif à court terme, Le Congrès du Parti a transmis le message clair et net selon lequel la Chine ne va pas accepter de compromis sur l’intégration de Taïwan. Xi a parlé d’une réunification pacifique, mais sans écarter l’utilisation de la force, si besoin s’en faisait sentir.
Xi a affirmé : « Nous allons continuer à aspirer à une réunification pacifique avec la plus grande sincérité et en menant les efforts les plus conséquents, mais nous ne promettrons jamais de renoncer à l’utilisation de la force, et nous conservons l’option d’adopter toute mesure nécessaire. Ceci n’est dirigé que contre les ingérences menées par des forces extérieures et les quelques séparatistes aspirant à l »indépendance de Taïwan’ ainsi qu’à leurs activités séparatistes. »
La décision d’entériner dans la constitution du Parti Communiste Chinois l’engagement de viser à une réunification chinoise, tout en bloquant ceux qui proclament l’indépendance de Taïwan, est à prendre avec le plus grand sérieux. Les pressions s’accroissent sur Pékin. On croyait jusqu’alors que le temps passant, les circonstances amenant à une réunification pacifique n’allaient faire que se renforcer avec la montée de la Chine. Cette estimation n’est plus considérée comme valide, grâce à la stratégie de l’administration Biden consistant à incessamment polluer le sujet. Le cœur du sujet est que toute hésitation perçue de la part de Pékin à mener une action décisive ne fera que renforcer les forces qui soutiennent l’indépendance de Taïwan. Le temps joue contre Pékin.
C’est pour cela que les élections taïwanaises de 2024 vont constituer un point d’inflexion. Pékin ne peut pas se permettre de voir se dérouler un nouveau mandat du parti progressiste démocrate à Taipei, actuellement au pouvoir. Le temps manque également pour les États-unis, car la Chine ne va faire que poser des défis de plus en plus importants sur les plans économique, militaire et idéologique à l’avenir.
L’Ukraine et Taïwan partagent également un autre point commun : ni la Russie, ni la Chine ne pourra rattraper la comparaison avec les États-Unis. Les autres pays — qu’il s’agisse de l’Allemagne, de l’Inde ou de l’Iran — doivent également avoir conscience de ce point : il existe des limites au-delà desquelles on ne peut pas aspirer à monter par crainte de se voir découper en morceaux.
Si, pour la Chine, un environnement extérieur pacifique constitue un besoin impératif pour muter en société prospère, pour les États-Unis, il s’agit de la dernière opportunité de ralentir leur rivale. Taïwan, la coupure des approvisionnements en puces électroniques, etc : autant d’outils utilisés dans le seul objectif d’affaiblir la Chine et de retarder sa progression. Cela n’est guère différent, en son essence, de la situation en Ukraine ou des gazoducs Nord Stream.
Le Congrès du Parti a fait passer le message : le Parti Communiste Chinois a une conscience aiguë des interactions en cours. Il faut comprendre correctement la consolidation du pouvoir à la tête de la Chine, et non la considérer comme une auto-glorification.
M. K. BHADRAKUMAR est un ancien diplomate de nationalité indienne, dont la carrière diplomatique a trois décennies durant été orientée vers les pays de l’ancienne URSS, ainsi que le Pakistan, l’Iran et l’Afghanistan. Il a également travaillé dans des ambassades indiennes plus lointaines, jusqu’en Allemagne ou en Corée du Sud. Il dénonce la polarisation du discours officiel ambiant (en Inde, mais pas uniquement) : « vous êtes soit avec nous, soit contre nous »
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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Source : Lire l'article complet par Le Saker Francophone
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