par Alastair Crooke.
Les empires ont existé pendant des millénaires, mais leur vertu était d’avoir été animés par une énergie culturelle vigoureuse, jusqu’à ce que l’impulsion énergique finisse par s’estomper en un bruissement parmi les feuilles.
Nous avons tous vécu selon un modèle mental qui a bien servi à anticiper une grande partie de l’après-guerre : Les tensions géopolitiques montent en flèche entre les États-Unis et un État récalcitrant. Ses dirigeants sont diabolisés. Une coalition de mandataires américains reprend fidèlement le discours de haine. Des sanctions sont imposées et les préparatifs d’un changement de régime commencent avec la sélection d’un « mec cool » comme nouveau dirigeant.
Tout se passe comme si la guerre était inévitable – et puis la tension s’échappe inexplicablement. Le ballon se dégonfle (laissant un autre État retourner à l’âge de pierre). Mais le monde reprend ses activités habituelles.
Pourrait-il en être autrement cette fois-ci ? Les conditions préalables à ce cycle géopolitique semblent très différentes de celles que chacun d’entre nous a connues dans sa vie. Devrions-nous alors abandonner le modèle dans lequel nous sommes si lourdement investis ?
Peut-être devrions-nous plutôt nous intéresser aux tendances à venir qui se comportent différemment de ce que prévoit notre ancien modèle – plus les surprises sont persistantes, plus il est probable que nous ayons besoin d’un nouveau modèle.
L’une des principales différences réside dans le fait qu’un certain nombre de cycles – à la fois longs et courts – arrivent à leur terme, de manière synchronisée.
Le « grand cycle » qui descend aujourd’hui vers le « zéro émission net » est celui qui a été déclenché en Europe par la politique d’identité radicale de la Révolution française. Elle a commencé par tuer l’ancienne élite, puis a continué à dévorer ses propres auteurs – avant d’installer finalement un empereur (Napoléon). Les Français ont déposé une élite, mais ont fini par en créer une nouvelle – terne, satisfaite d’elle-même et bureaucratique.
Bien sûr, les empires existaient depuis des millénaires, mais leur vertu était d’avoir été animés par une énergie culturelle vigoureuse, jusqu’à ce que l’impulsion énergique s’estompe pour devenir un bruissement parmi les feuilles. Un certain héritage de la Révolution française a en effet filtré en Occident, mais plutôt sous la forme négative d’un ennui de la vie ayant un semblant de sens. La vie est plutôt devenue existentielle, nihiliste, amorale et prédatrice – le nouvel « Impérial », en un mot.
Ce cycle se termine précisément parce que le reste du monde le voit comme « nu » – un Empereur nu – une primauté avide, justifiée par une supériorité auto-attribuée, qui a pu avoir une certaine validité, mais qui aujourd’hui a sombré dans le narcissisme et la sociopathie – une anti-culture woke et une dysfonctionnalité militarisée – utilisés comme outils coercitifs pour « gouverner ».
Il n’est pas étonnant que le reste du monde oppose une résistance. Ils en ont assez du mème binaire occidental « avec nous ou contre nous ». Pour reprendre les mots de Sinatra : « Je l’ai fait à ma façon ». Ils sont leur « propre camp ». La semaine dernière, le ministre saoudien de l’Énergie, le prince Abdulaziz, a déclaré sous les applaudissements : « Je continue à écouter, êtes-vous avec nous ou contre nous ? Y a-t-il une place pour « Nous sommes pour l’Arabie saoudite et pour le peuple saoudien » ? ».
Le manifeste du président Poutine à Valdai a exprimé ces sentiments de manière succincte : Des États souverains poursuivant leur propre mode d’existence civilisationnel.
Mais les autres conditions préalables d’aujourd’hui sont effectivement très différentes de notre modèle mental par défaut : Cette fois, l’Amérique ne fait pas d’une « Libye » un exemple. Elle s’attaque à la fois à la Russie et à la Chine – et en même temps !
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis étaient l’atelier de fabrication du monde. L’Occident « possédait » l’énergie et les ressources (prélevées dans le monde entier). Aujourd’hui, c’est l’inverse : L’Occident possède une montagne d’« actifs » en papier, mais le reste du monde possède des matières premières.
Ainsi, les cycles complémentaires de la domination de l’énergie, de la domination du dollar et de la domination des sanctions sont tous en phase de déclin. Pour aggraver cette concaténation, les économies occidentales sont à la veille d’une défaillance systémique (encore inconnue) dans la sphère financière hautement endettée. En d’autres termes, c’est le moment ou jamais pour les démocrates américains. S’il y a une grave rupture financière, ils sont « grillés ».
Le président Poutine, dans son discours de Valdai, l’a dit de manière très claire :
« Le monde unipolaire touche à sa fin. Le monde se trouve à un tournant historique, à l’aube de la décennie la plus dangereuse et la plus importante depuis la Seconde Guerre mondiale… La situation est, dans une certaine mesure, révolutionnaire… car les classes supérieures ne peuvent pas, et les classes inférieures ne veulent plus vivre comme ça ».
Tout est en jeu. Et Washington le sait. Ils n’ont pas l’intention de faire de Biden un Louis XVI, ni d’être métaphoriquement embarqués dans une caravane de tumbrels.
C’est pourquoi le président Poutine met en garde contre ce danger et offre à l’Occident une issue : la reconnaissance d’autres polarités civilisationnelles.
Le monde s’éloigne du mondialisme dirigé par les États-Unis pour se transformer en sphères commerciales distinctes et autonomes. Il se détourne également des structures centralisatrices, de l’intergouvernementalisme. Même en Occident, cela devient évident, car ces anciennes rivalités et animosités européennes remontent à la surface d’un projet européen d’après-guerre conçu précisément pour faire disparaître les sentiments nationaux sous une couverture de « prospérité pour tous » et de valeurs « libérales » insipides. L’Europe devient tranquillement multipolaire !
En Europe, la reconnaissance des polarités nationales et le retour à ses origines de libre-échange peuvent s’avérer être la porte de sortie des fractures qui s’approfondissent à l’échelle européenne.
Cependant, le Washington de Biden n’est apparemment pas disposé à entendre. Il semble déterminé à montrer qu’« il règne », même si cela signifie qu’il règne sur des ruines (c’est-à-dire l’Europe), alors que Biden trébuche vers son Armageddon « fondé sur des principes » pour sauver « l’ordre libéral ».
source : Al Mayadeen
traduction Réseau International
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