Encore une fois, un débat ayant suivi un article sur le Grand Soir, cette fois-ci sous celui d’André Lacroix, (In)suffisance journalistique, m’a conduit à écrire un long commentaire que j’ai finalement proposé à la publication comme article. Vanité, quand tu nous tiens. Merci à lui pour avoir suscité cette réflexion.
Posons-nous les bonnes questions sur la Chine et sur le Xinjiang.
La Chine connaît-elle des difficultés avec le Xinjiang qu’elle ne rencontre pas dans d’autres provinces ?
Oui. Le nier reviendrait à refuser de regarder les faits en face. Ces difficultés se présentent sous trois formes : l’islam radical, le terrorisme et le séparatisme (ou indépendantisme). En ce sens, le Xinjiang est un réel point de convergence des menaces pour l’intégrité du territoire chinois, sans parler d’une porte d’entrée aux influences et manigances extérieures, comme le sont Taïwan et Hongkong, comme le fut en son temps le Tibet avant de tomber en désuétude chez les combattants de la liberté à géométrie variable qui au communisme libérateur du peuple tibétain ont toujours préféré la poigne de fer d’un régime théocratique féodal (motif géopolitique répétitif de la fin du 20ème siècle et de ce début de 21ème s’il en est). La France partage d’ailleurs beaucoup d’aspects de ces problèmes : grosse population musulmane, implantation d’un islam rigoriste, actes terroristes meurtriers (ceux commis sur le sol français ont été bien davantage médiatisés que les attentats ayant eu lieu en Chine), départs en nombre pour le djihad, retour et réinsertion des djihadistes. Le tout sur fond de précarité des mêmes populations et de sentiment d’abandon et de rejet du reste de la société. Il y a toutefois des différences fondamentales entre la France et la Chine, et ce sont ces différences historico-démographiques qui détermineront les politiques de lutte : la France est une ancienne nation colonisatrice et les citoyens français musulmans sont pour la plupart originaires de ces anciennes colonies. La France, comme l’ouest européen, est également devenue terre d’asile de populations qu’elle a elle-même directement ou indirectement contribué à mettre sur les chemins de l’exil. Le Xinjiang est une province de tradition et de culture musulmane faisant depuis plusieurs siècles partie intégrante de la Chine et les musulmans de Chine sont majoritairement ouïghours.
La Chine est-elle en lutte contre le terrorisme ?
Oui. Comme la France. Et comme la France, elle l’est à double titre : d’une part parce qu’entre 2011 et 2014, la Chine a connu une vague d’attentats meurtriers sur son sol, avec un pic sur 2013-2014. Les médias occidentaux en ont très peu parlé sinon en mêlant ces actes aux velléités indépendantistes de certains groupuscules cornaqués de l’extérieur par une diaspora ouïghoure, elle-même soutenue par Washington, et dont l’objectif final non-avoué est probablement plus l’accaparement de la province et de ses richesses naturelles que la libération des Ouïghours du Xinjiang. La conséquence de cette dilution des faits est l’idée communément admise par le gotha médiatico-politique et une grosse partie de la population occidentale que les Ouïghours radicalisés, de bourreaux sont passés à victimes, se battent contre l’oppression chinoise et non commettent des actes meurtriers visant à déstabiliser le pays au nom de l’islam. D’autres part, la Chine doit dans le même temps faire face au contre-coup des guerres menées par l’Occident, notamment en Syrie, où plusieurs milliers de Ouïghours se sont rendus pour y conduire le djihad au sein du TIP (Turkistan Islamic Party) dont la réputation de cruauté est notoire. Il est également essentiel de bien comprendre que nombre de ces combattants exportés de Chine se sont rendus en Syrie pour s’aguerrir au maniement des armes et aux techniques de guerre afin de les réimporter en Chine. « Nous nous moquions de la façon dont les combats se déroulaient ou de qui était Assad », a déclaré Ali, qui ne veut donner que son prénom par crainte de représailles contre sa famille restée au pays. « Nous voulions juste apprendre à utiliser les armes et ensuite retourner en Chine. » Ce genre de déclaration est faite avec le soutien ou au moins l’assentiment de la presse occidentale. Dilnur Reyhan, Ouïghoure « réfugiée » en France qui en fait a probablement bénéficié comme beaucoup de Chinois des minorités d’une bourse d’études pour venir en Europe (en Belgique puis en France), qui a peut-être compris où se trouvait le filon lorsqu’elle a réussi à tirer des larmes de crocodile à nos humanistes de pacotille, parmi lesquels l’inénarrable Rapha Glucksmann. Aujourd’hui enseignante à l’INALCO, présidente de l’Institut Ouïghour d’Europe et habituée (selon les besoins) des plateaux du PAF, dans un long article intitulé Les Ouïghours en Syrie a elle-même clairement exprimé ces objectifs : « le PIT (Parti Islamique du Turkestan) organisation nationaliste religieuse a pour objectif premier l’indépendance de la Région ouïghoure, la Syrie devient pour eux un terrain d’apprentissage au combat pour affronter la Chine ».
La Chine a-t-elle commis et commet-elle des erreurs et des injustices dans le cadre de cette lutte ?
Très probablement. L’anti-terrorisme est par sa nature une lutte contre des éléments volatiles, procédant par présomptions et par des actions préventives. Il y a donc fort à parier que beaucoup d’individus ouïghours ont été arrêtés et emprisonnés de manière abusive sans être en quelque manière que ce soit liés à des activités terroristes, juste au mauvais endroit au mauvais moment et avec les mauvaises personnes. Les autorités chinoises n’étant pas non plus réputées pour leur tendresse. Pourtant la facilité avec laquelle la rhétorique d’une Chine opprimant la population ouïghoure s’est imprimée dans les esprits occidentaux n’est pas seulement fondée sur quelques clichés photographiques mal interprétés et peu parlants. Dans la réalité, le Xinjiang est une province touristique où il est beaucoup moins dangereux de se rendre que dans certaines régions d’Afrique rendues instables par des années de combines dont les ficelles remontent invariablement vers le Nord. En décembre 2019, 1,75 millions de touristes visitaient la province. Ce chiffre a chuté le mois suivant à 61 000… pour cause de covid. On se demande comment les Ouïghours ont pu être opprimés, pire, génocidés, et accueillir tant de touristes en même temps… Non, s’il a été si facile pour les Occidentaux de croire à cette Chine maléfique, c’est d’abord par les résidus d’une condescendance paternaliste vis-à-vis de contrées auxquelles on continue consciemment ou inconsciemment à conférer un caractère barbare. C’est aussi par un anti-communisme viscéral enfoncé plus ou moins subtilement durant des années de formatage culturel américano-centré. Combien parmi nous savent que la Chine, avant de sombrer à partir de la deuxième moitié du 19ème siècle, a été la civilisation la plus florissante du monde pendant près de trois millénaires ? Tout ce que nous retenons de ce pays vient de la période maoïste, laissant de côté les persécutions qui l’ont précédée, et l’image totalitaire de la gouvernance chinoise. Et même là, nous sommes à des années-lumière d’être dans le vrai. Chez nous, les prisons sont un lieu où l’on purge une peine. En Chine, c’est le symbole de l’oppression d’une nation. Chez nous, les abus policiers s’apparentent à des injustices. En Chine, ce sont des crimes contre l’humanité. Et quiconque oserait condamner la France pour le non-respect des droits de l’homme par sa police provoquerait l’ire de l’État et de ses chiens de garde… Chez nous, les innocents tués par le terrorisme sont pleurés à travers le monde, y compris en Chine. Les morts chinois indiffèrent nos médias et nous ne les pleurons pas car nous ne savons pas qu’ils ont existé.
Défendre la vérité sur la Chine, est-ce promouvoir l’état chinois ?
Pour les esprits binaires, certainement. Mais pour les autres, la vérité (ou ce qui s’en approche le plus) est la seule base solide d’une saine compréhension, que ce soit de la Chine ou de n’importe quelle autre nation, de n’importe quelle autre chose ou personne d’ailleurs. L’exemple le plus criant qui me vienne à l’esprit est celui de Donald Trump, dont la critique ne peut s’arrêter aux apparences d’un comportement antipathique mais doit aussi inclure son action politique plus large et ce qui le rend différent des autres présidents américains qui l’ont précédé ainsi que de celui qui lui a succédé. Se focaliser uniquement sur son supposé racisme, son sexisme, son homophobie ou sa faculté à ridiculiser n’importe qui y compris lui-même ne rend aucunement capable d’avoir de lui et de l’Amérique qui l’a soutenu une idée claire. C’est précisément ce type d’erreurs que ne cessent de commettre les gauches européennes. Le conflit russo-ukrainien en est un autre exemple flagrant bien sûr. Aujourd’hui, plus grand monde ne croit aux accusations formulées contre la Chine de commettre un génocide ou de pratiquer l’esclavage sur les populations ouïghoures du Xinjiang, ce qui est une amélioration significative du discours et un grand, très grand pas, vers plus de vérité. Pourtant, tant que les médias qui ont fait leurs choux gras de ces accusations (et je pense en particulier à Libération) ne publieront aucun mea culpa ni aucun correctif, il n’y aura aucun changement dans les façons de voir la Chine du plus grand nombre. Errare humanum est, perserverare diabolicum. Ce qui est parfaitement démontré dans l’article d’André Lacroix, (In)suffisance journalistique, et son échange avec un journaliste. Ce dernier, et la quasi-totalité de la profession derrière lui, refuse de chercher à se rapprocher de la vérité et accepte une version, non pas qu’il est allé chercher lui-même sur place ou en enquêtant comme le laisse entendre ce journaliste belge, c’est-à-dire par son travail journalistique, mais de travail journalistique, il n’y a pas, et s’il y en avait l’ombre d’un, cela commencerait à lui ouvrir les yeux qu’en fin de compte il préfère fermer, se contentant alors dans un confort intellectuel confinant à la paresse de recevoir avec une passivité comparable à celle d’une oie qu’on gave la version qu’on lui donne et qui est la seule qu’il doit et entend faire connaître. La réponse lapidaire reçue par M. Lacroix n’invite à formuler aucun espoir d’une prise de conscience. Il est sûr de son fait, ce pisse-copie, et sa seule gloire se résume à sa carte de presse. Le traitement réservé à Maxime Vivas en France, alors même que lui s’est rendu sur place, et à plusieurs reprises, est du même tonneau (1). On peut légitimement douter, à lire les articles des correspondants du Monde à Shanghai et à Pékin, respectivement Simon Leplâtre et Frédéric Lemaître, qu’ils se soient eux-même jamais rendus dans le Xinjiang pour y enquêter. Le journalisme, dans sa quasi-totalité, est devenu un travail pantouflard et soumis aux ordres d’en haut. Les journalistes, des molosses gras, postés entre les citoyens et la vérité.
Et cette vérité, où est-elle ?
Dans les faits, simplement. Le Xinjiang est une région-clé du BRI (Belt & Road Initiative, traduit plus joliment en français par Les Nouvelles Routes de la Soie) de Xi Jinping. Il en est même le point de départ. Alors foin d’angélisme ! Un Xinjiang stabilisé est la condition sine qua non d’une réussite éclatante de ce projet pour un Xi extrêmement soucieux de l’image qu’il renvoie. Il ne fait donc aucun doute qu’il y a une pression sécuritaire sur la province, menant certainement à une politique répressive et de tolérance zéro contre l’islam radical et l’indépendantisme, avec des dégâts collatéraux inévitables. L’autre moyen employé par la Chine pour pacifier le Xinjiang est démographique, à la fois probablement par des politiques d’incitation à la limitation des naissances dans la communauté ouïghoure (planning familial, contraception), limitation que les Han ont connu sur deux générations de manière beaucoup plus contraignante, et par la sinisation de la province, c’est-à-dire l’implantation de populations d’ethnie Han (majoritaire en Chine) et ainsi acculturation des Ouïghours à des valeurs plus « chinoises » que musulmanes et un accès facilité à l’aisance matérielle. On a le droit d’être en désaccord avec ces politiques mais sans pour autant être aveuglés par un droit-de-l’hommisme excessif et sans discernement.
En tout cas, ni génocide des Ouïghours, ni esclavagisme moderne.
Xiao PIGNOUF
NOTE (1) de Maxime VIVAS : contrairement à ce qu’affirment ceux qui n’ont pas lu mon livre (décembre 2020), je liste dans celui-ci toutes les mesures en vigueur au Xinjiang pour lutter contre le terrorisme et le fondamentalisme religieux, je dis comme elles affectent la population. Mais je réfute les fables des camps de concentration et de génocide. Presque deux ans après, je vois que des médias et des prestigieux intellectuels états-uniens disent la même chose et que le « rapport » de l’ONU publié 13 minutes avant la fin du mandat de 4 ans de la Haut Commissaire aux droits de l’homme omet les mots « génocide » et « camps de concentration ».
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir