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Campagne de dons Octobre 2022
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par Robert Bibeau.
Comme on l’a vu en analysant les politiques de la gauche européenne au gouvernement, le discours de la vulnérabilité n’est pas innocent : il sert à saper le principe social de l’universalité des politiques sociales et à préparer la liquidation finale du caractère universel des services de base comme l’éducation ou la santé... Mais le discours qui fait du « vulnérable » son centre non seulement favorise le changement matériel, mais alimente aussi les changements culturels et idéologiques tout aussi destructrices.
Identité vulnérable et autoritarisme
Le principe de vulnérabilité passe par la matrice identitaire du féminisme et son éthique du soin (care) et se connecte avec la vision religieuse chrétienne-boudhiste-islamiste-hindouiste de la charité et de la compassion la plus profonde et la plus malveillante qui mène au travestissement du principe de solidarité qui fonde le concept de justice sociale, qui fut réutilisé plus tard par les fascistes, les corporatistes franquistes et les péronistes.
« Se redéfinissant comme vulnérable, comme partie du corps social paralysée par la maladie, par la crise immanente et par la pandémie inévitable, l’éthique du care guide toute revendication que ses adeptes font du besoin d’être soigné par les autres, par les médecins sociaux et les mères de personnes vulnérables ». (Contre l’éthique du care, 05/04/2021)
Avons-nous exagéré ? Une récente macro enquête réalisée en France « met en évidence la demande de protection d’une société préoccupée par toute une série de menaces ». 79% ont affirmé croire qu’« il fallait un vrai chef en France pour rétablir l’ordre ». Le principal danger : la désindustrialisation, identifiée au passage à une économie de travailleurs précaires pour lesquels plus de protections étaient demandées pour aider les plus vulnérables. Les résultats ont également montré une xénophobie évidente : 66% ont affirmé avoir le sentiment qu’« il y a trop d’étrangers » dans le pays. (Cette enquête révélait les résultats de l’opération de propagande et d’aliénation de la population par les médias et les ONG de la charité au service du capital tétanisé par la monté des résistances populaires.)
Aux États-Unis, l’image n’est pas très différente. Le trumpisme se nourrit du sentiment de vulnérabilité. Son noyau d’électeurs de la classe ouvrière souffre de ce que les médias démocrates appellent la peine de mort, c’est-à-dire des niveaux disproportionnés de décès dits de désespoir (suicide, surdose) et de maladies, blessures et troubles émotionnels liés à de mauvaises conditions de travail.
« De 2005 à 2019, 70 000 Américains en moyenne sont morts chaque année de morts de désespoir (suicide, surdose de drogue et intoxication alcoolique). (…) Les comtés avec plus de répondants déclarant avoir perdu espoir dans les années précédant 2016 étaient plus susceptibles de voter pour Trump. » (America’s Crisis of Despair, Rapport du groupe de travail fédéral sur la reprise économique et le bien-être social, 10/02/2021)
Autrement dit : « l’identité comme vulnérable » a trouvé en Trump un « leader fort » et le cherche toujours en France.
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La « méritocratie », face B du discours sur les « vulnérables »
Le rapport cité, rempli de considérations racistes sur le déclin de la classe ouvrière blanche , a ensuite été présenté dans un article du New York Times intitulé de manière significative « Maintenant, il y a deux Amériques : une avec un baccalauréat et une sans ».
Ils reviennent avec l’idée qu’une fois la bulle du crédit temporairement palliée, un diplôme universitaire garantirait d’éviter la vulnérabilité et le broyeur humain qui s’en nourrit.
C’est évidemment faux. Ni aux États-Unis ni dans aucun autre pays hautement capitalisé, un diplôme universitaire ne garantit une élévation de classe aux enfants des travailleurs. Elle ne garantit même pas aujourd’hui l’accès à des conditions de travail qui étaient considérées comme garanties il y a quelques décennies pour les travailleurs qualifiés. La concentration des salaires des travailleurs autour du minimum fait partie du nouveau modèle de production . Il n’y aura pas d’exception pour les jeunes.
Mais idéologiquement, il est fonctionnel de maintenir l’imposture. Dans des pays comme l’Espagne, le bombardement identitaire à l’université conduit les diplômés à se rebeller non pas contre la précarité mais contre la prolétarisation. Et comment pourrait-il en être autrement, de le faire sur des bases individualistes passives-agressives .
Quand journalistes et sociologues cherchent les arguments des protagonistes du dossier actuel des démissions et des abandons de poste, ce qu’ils trouvent, c’est la vieille arrogance petite-bourgeoise en action chez les enfants d’ouvriers diplômés : « Je n’ai pas étudié un métier pour servir des plats ».
« Le prétendu droit qu’un diplôme universitaire conférerait de devenir au moins contremaître – de rejoindre la petite bourgeoisie corporatiste – ils l’appellent la méritocratie, un discours hérité du 15M, où il était un élément central de l’idéologie du mouvement. »
Il peut être choquant que certains jeunes issus de familles ouvrières aient peur de devenir prolétaires et embrassent l’idée d’avoir plus de mérite (devant qui ? en faisant quoi ?) que leurs parents prolétaires, alors qu’ils n’ont connu matériellement que la vie de travailleur de classe de leurs familles et de leurs quartiers. Mais en fin de compte, c’est en cela que consiste la logique identitaire : croire que la concrétion de la réalité sociale dans sa vie est due à des appartenances fondées sur des préférences ou des essences étrangères aux divisions et aux classes sociales. Ce n’est pas comme si ça venait de nulle part. Ce véritable archétype de la conscience aliénée est le résultat du grand travail accompli par le féminisme universitaire et académique … et le soi-disant « anti-racisme » et autres courants du sophisme « wokiste ».
Elle est inévitablement destructrice à tous les niveaux. En premier, ils deviennent frustrés de ne pas voir le supposé mérite reconnu sur leur CV. Ainsi, le mécontentement ouvrier devient le constat de plaintes individuelles rancunières face à l’absence d’une reconnaissance absurde et d’une méritocratie chimérique … c’est la rupture du lien de solidarité de classe.
« Ainsi prolifèrent des groupes diffus qui fonctionnent comme des réseaux d’intérêts et comme des refuges affectifs. Cette façon d’agir en dit long sur les mécanismes de canalisation du mécontentement. Au lieu d’aspirer à changer les choses ou de pousser à transformer les conditions générales, le mal-être tend à former des rencontres conjoncturelles de ressentiments et d’aspirations insatisfaites. (…)
Et peut-être le mécanisme le plus cohérent de ces groupes est-il le sentiment de supériorité de ceux qui les composent, car ce qui les maintient unis, c’est la conviction de leurs membres que chacun d’eux a quelque chose de spécial, quelque chose qui les différencie et qu’ils ne sont pas négligé.reconnaître; ils méritent plus que ce qu’ils ont, et la même appartenance au groupe ratifie leur impression. (…)
Il n’a pas tendance à générer des avances, mais plutôt des combats d’egos. Et surtout dans les environnements qui nécessitent une qualification, où les sorties recherchées sont généralement individuelles et où les rancunes sont encouragées comme moyen de maintenir l’ordre général et comme moyen de prospérer. Ils ne favorisent pas des changements ou des améliorations, mais des avantages privés ».
L’idéologie méritocratique qui est le binôme inévitable de la catégorisation des travailleurs précaires comme vulnérables, ne fait qu’empoisonner la coexistence et la conversation les plus basiques dans le travail, elle détruit aussi intimement ceux qui s’accrochent à un discours qui est une véritable aberration morale, forcément victimisée, classiste et narcissique à la fois.
À l’horizon, des phénomènes comme ceux que l’on voit en Chine, où l’idéologie du rêve chinois et du renouveau national de Xi Jinping a également conduit une génération de fils de travailleurs arrivés à l’université à croire à la méritocratie. Le résultat est finalement pathologique : une véritable épidémie de couchés : des jeunes dépressifs et extrêmement passifs qui s’enferment dans la chambre de leurs parents et ne sortent jamais du lit, craignant de s’immerger dans la réalité d’un monde social qui ne se reconnaît pas.
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Le discours de la « vulnérabilité » et le hachoir à viande
Nous ne sommes pas à l’heure de tester trop de bêtises idéologiques. La réalité immédiate et les perspectives sont celles d’un capitalisme qui marche inexorablement vers la guerre et la paupérisation massive.
Et il faut le dire très clairement : le système nous précarise et nous emmène jusqu’à nous figer, nous affamer et nous mobiliser d’une manière ou d’une autre pour la guerre, mais seuls l’individualisme et la solitude nous rendent vulnérables.
Devoir aller dans une bibliothèque publique pour se réchauffer quelques heures de plus après le travail ou devoir sauter des repas et recourir à une banque alimentaire ne fait que nous fragiliser et nous affaiblir si l’on tient pour acquis que la solution est que l’État, un leader fort ou une mère protectrice qui nous parle comme des petits enfants, venez nous protéger.
Bien sûr qu’ils viendront, que ce soit un Meloni ou un Diaz, la classe dirigeante sera heureuse de donner le pouvoir politique à quiconque leur garantit l’atomisation et la passivité des travailleurs pendant qu’ils se tournent vers le militarisme et l’économie de guerre, suçant les rentes salariales pour nourrir la rentabilité du capital avec n’importe quelle excuse et creuser inévitablement l’écart de revenu. Ni l’un ni l’autre n’apporteront plus que des discours minoritaires et, dans le meilleur des cas, des aumônes.
Nous devons profiter du fait qu’ils nous concentrent en tant que réfugiés dans nos propres quartiers pour étendre la discussion, nous organiser et cesser d’être seuls et atomisés face à ce qu’ils nous vendent comme des faits de la nature et ne sont que des conséquences d’un capitalisme qui ne tire pas et une guerre impérialiste aussi infâme qu’une autre.
Nous comptons sur vous et nos portes sont ouvertes. Vous êtes nécessaire, vous n’avez pas besoin d’eux.
• Accepter de se définir comme « vulnérable » non seulement ouvre la voie au passage de l’universalité au bien-être, mais cela nous désarme et nous met en attente de « leaders forts » qui, d’une rhétorique ou d’une autre, n’entendent que renforcer la passivité et l’atomisation.
• L’envers de la transformation des travailleurs en « vulnérables » est la fuite vers la revendication individualiste d’une prétendue « méritocratie » ; une revendication narcissique qui empoisonne le milieu de travail, s’affronte et détruit moralement chacun, l’isole et l’aigrit sans autre horizon que l’impuissance.
• Le système nous rend précaires et nous emmène jusqu’à nous figer, nous affamer et nous mobiliser d’une manière ou d’une autre pour la guerre, mais seuls l’individualisme et la solitude nous rendent vulnérables.
• Il n’y a rien à « attendre ». Nous devons profiter du fait que nous sommes concentrés en tant que réfugiés dans nos propres quartiers pour prolonger la discussion, nous organiser et cesser d’être seuls et atomisés.
source : Les 7 du Québec
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