Autres temps, autres mœurs : à l’époque de la guerre froide, quand le monde était divisé en deux camps, Jean-Paul Sartre pensait que « tout anticommuniste [était] un chien ». En 1961, il écrira, dans sa revue Les Temps modernes, à l’occasion de la mort de Merleau-Ponty, « Les derniers liens furent brisés, ma vision fut transformée : un anticommuniste est un chien, je ne sors pas de là, je n’en sortirai plus jamais. […] Au nom des principes qu’elle m’avait inculqués, au nom de son humanisme et de ses “ humanités ”, au nom de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, je vouai à la bourgeoisie une haine qui ne finira qu’avec moi. »
Le jugement péremptoire de Sartre datait de l’après-guerre, à un moment où, lui-même, cherchait une nouvelle voie politique. Il s’estimait marxiste, soutenait la cause communiste sans pour autant adhérer au Parti communiste. Il cherchait une troisième voie dans un refus sans concessions du capitalisme et du stalinisme. Ce qui ne l’empêcha pas, bien au contraire, de soutenir Richard Wright, écrivain étasunien métis (noir, blanc, indien), auteur de l’immortel Black Boy, ancien membre du Parti communiste des États-Unis, exilé en France en 1946, pays dont il demandera et obtiendra la nationalité.
Il y a quelques années, Jean Ortiz, militant communiste bien connu dans les Pyrénées, rapportait cette anecdote : « J’ai sur ma table de travail, tamponné Secret, une Liste S du département des Basse-Pyrénées du 8 septembre 1943. La liste fut établi par le régime pro-nazi de Vichy. La plupart des militants y sont fliqués “ terroristes ”, “ subversifs ”, avec une grande précision. On y trouve 62 noms : tous des communistes, excepté deux sympathisants, et un “ ex ”. Cela, un anti-communiste ne le comprendra jamais. »
Récemment, France 5 nous a proposé un entretien enregistré en 2006, où Simone Veil racontait sa déportation à Auschwitz à l’âge de 16 ans. Bouleversant, son témoignage était tout en pudeur : sur son tatouage, la faim, le froid et, par-dessus tout, l’humiliation. Mais en un seul moment, elle se lâcha quand elle raconta ses rapports avec les déportées communistes. On retrouva alors la grande bourgeoise viscéralement de droite. De son point de vue – et elle avait raison – elle était là parce qu’elle était juive tandis que les autres avaient été déportée parce qu’elles étaient communistes. Soixante après, elle se percevait toujours comme innocente car elle n’avait rien fait alors que les communistes étaient coupables parce qu’elles avaient agi, ce qu’elle leur avait dit sans aménité. Á ce moment précis du film, sa parole choquait car elle était la plus violente du récit : elle critiquait de manière plus acerbe ces militantes – qui avaient eu la malchance de se faire prendre – que les kapos et les officiers qui leur imposaient une schlague ignoble et les tuaient à petit feu.
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