« On voudrait bien qu’il nous dise la vérité, qu’il n’y avait pas assez de policiers… Autant qu’on sache la vérité dans cette histoire de protection. Je ne dis pas que c’est de sa faute, mais quand même, il était maire, agent aussi. Un coup, ils disent que c’est le préfet, un coup que c’est le président Hollande… On est perdus dans tout ça. »
Le titre est dur, heureusement, il n’est pas de nous : il est du Monde, qui a visiblement une dent contre le maire sarkozien de Nice, qui n’était pas maire à proprement parler le soir du drame, le 14 juillet 2016, mais qui est responsable de la mise en place de la surveillance à Nice, puisqu’il était en charge de la ville depuis 2014. Pour la petite histoire, l’ancien motard a été maire de Nice jusqu’à février 2016, date à laquelle il a démissionné, officiellement pour respecter la loi sur le cumul des mandats, et l’est redevenu à partir de mai 2017…
Avant l’attentat, l’homme de droite tantôt sarkozien, tantôt filloniste, vantait les mérites d’une ville ultra-sécurisée, ultra-caméraïsée, ultra-sionisée aussi, puisque le modèle de Christian Estrosi, c’était la sécurité à l’israélienne.
Israël et Tel-Aviv une nouvelle fois frappées par la barbarie islamiste. Tout mon soutien au peuple israélien face à cette vague d’attentats lâches et ignobles. https://t.co/1YVulZzqNa
— Christian Estrosi (@cestrosi) April 7, 2022
Résultat : 86 morts en quelques minutes seulement, à cause d’un camion qui n’aurait jamais dû être là, et dont la dizaine d’allées et venues étaient pourtant repérables par les caméras. Un trou dans la surveillance inexplicable, inconcevable, mortel. C’est comme si on avait laissé une énorme bombe en plein milieu de la promenade des Anglais, au vu et au su de tous.
Estrosi a donc passé six heures à s’expliquer sur cette faille, le mot qui revient souvent dans la bouche des responsables, pardon, des irresponsables, ou plutôt des non-responsables, que ce soit de la politique ou du renseignement, après les grands attentats de 2015-2016, ceux des années Valls.
Chez Mediapart, on n’est pas très estrosien non plus, et encore moins sarkozien, alors le compte rendu d’Ellen Salvi laisse planer quelques interrogations…
Le maire de Nice est tel qu’en lui-même. Face au président de la cour d’assises spéciale de Paris, Laurent Raviot, il se fait tantôt melliflu, tantôt grandiloquent, tantôt confus. Lorsqu’il lit ses notes et qu’il parle de sa vie, tout va bien. Il réussit même à mêler son histoire personnelle à celle de sa ville. C’est d’ailleurs « en fils de Nice » qu’il veut d’abord se confier. (…)
L’édile parle de « tous ces enfants, ces papas, ces mamans, qu’[il a] pris toute la nuit dans [ses] bras ». Nouveaux soupirs dans la salle. Il le répète : « J’ai passé la nuit parmi les familles, à prendre beaucoup de gens dans mes bras, à essayer de prêter une épaule. Si j’avais pu me multiplier par dix et donner beaucoup plus de ma personne, je l’aurais fait. » Il rappelle les « milliers de questions » qui se sont posées après l’attentat. « Comment déplacer ces nounours déposés sur la promenade des Anglais ? »
Le violon estrosien sert ici à botter l’information en touche, et la responsabilité qui va avec. C’est donc avec une certaine perfidie que Mediapart note, au milieu du laïus de l’édile ému :
La suite se passe de commentaires :
S’agissant des questions précises qui sont ensuite formulées par les avocat·es des parties civiles au sujet des mesures de sécurité mises en place le soir du 14 juillet 2016 et en amont – notamment autour de la vidéosurveillance –, Christian Estrosi se montre en revanche beaucoup moins prolixe. La mâchoire crispée et l’air contrarié, il multiplie les réponses courtes et décalées. « Ce n’est pas la question que je vous pose », lui rétorque-t-on à maintes reprises.
Combien coûtent les 1 836 caméras disposées dans toute la ville ? « Je ne suis pas en mesure de vous répondre. La ville a à traiter 150 métiers différents et pour chacun d’entre eux je n’aurais pas la prétention de tout connaître par cœur. » N’est-il pas étonnant qu’il ait fallu plusieurs jours pour fournir aux enquêteurs le nombre de caméras ? « Vous pouvez trouver que c’est long. » Comment expliquer que personne, au Centre de surveillance urbain (CSU), n’ait vu les repérages du terroriste ? « Je défends mes agents et je refuse qu’on puisse les incriminer. »
Se faire le chantre du tout-sécuritaire ou de l’hypersécuritaire et commettre une telle faute, la faute à pas-de-chance, tout en rejetant la responsabilité de la sécurité sur l’État, pose question. Alors que les agents de la sécurité de la ville ont les yeux rivés sur leurs écrans (en général pour racketter les automobilistes mal garés), personne n’aurait prêté attention à cet étrange camion, qui n’avait rien à faire là ?
Pour pallier ce genre de déconvenue, Estrosi mise sur la reconnaissance faciale et l’intelligence artificielle, qui auraient pu selon lui détecter l’anomalie, soit « la récurrence et la réitération des passages » du terroriste. Comme toujours, la solution n’est pas moins d’Europe mais plus d’Europe…
Et Mediapart de citer Célia Viale, coprésidente de l’association Promenade des Anges :
« C’est du grand Christian Estrosi. J’ai dessiné un violon sur mon carnet de notes pendant son laïus. Sur la sécurité, il est face à ses contradictions. L’attentat a fait tomber toute sa pyramide. Ça montre juste que tout son truc sécuritaire ne tient pas debout. »
Tout cela ne fait pas d’Estrosi le responsable de la mort de 86 personnes, mais cela vient s’ajouter à la trop longue liste des failles et des c’est-la-faute-à-la-fatalité. La conclusion de Mediapart est sans appel :
L’avocate insiste : « Donc vous ne vous sentez en rien responsable de ce drame ? » Réponse de l’intéressé : « Je ne me sens pas responsable de Daech, de l’État islamique et de ceux vers lesquels il faut se tourner ici parce que c’est leur procès. J’ai une colère sourde qui m’habite et donc je souhaite que la responsabilité soit sanctionnée le plus sévèrement possible. Je ne voudrais pas que ce procès déplace la responsabilité. » Il est plus de 20 heures. Les soupirs de la salle se sont désormais transformés en protestations. Christian Estrosi parle encore.
Les associations de victimes du « 13 Novembre » (« Life for Paris » et « 13Onze15 », avec en dessous « Fraternité et vérité ») et les familles des morts du 9 janvier 2015 attendent eux aussi que les sempiternelles failles se transforment en responsabilités et en responsables… Mais les dossiers de 2015 sont déjà fermés, et celui de 2016 est en passe de l’être.
« Je suis outrée de son comportement »
Les réactions après les auditions de Christian Estrosi et Philippe Pradal lors du procès de l’attentat de Nice pic.twitter.com/AFg3q01leq
— BFM Nice Côte d’Azur (@BFMCotedazur) October 21, 2022
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation