Les autonomistes de l’Ouest sur la ligne de Daniel Johnson : « agir sans demander la permission »
Chaque mercredi, notre correspondante parlementaire à Ottawa Marie Vastel analyse un enjeu de la politique fédérale pour vous aider à mieux le comprendre.
Le Québec n’est plus le souffre-douleur des Prairies. Du moins, pour l’instant. L’Alberta et la Saskatchewan ont cessé de dénoncer que le « chouchou » de la fédération canadienne profiterait sans cesse de traitements de faveur. Les provinces de l’Ouest soutiennent plutôt vouloir désormais s’inspirer du modèle québécois, en menaçant d’ignorer la Constitution pour se soustraire aux pouvoirs fédéraux qui ne leur conviennent plus. Le Canada anglais brandit le spectre d’une crise constitutionnelle. Les experts tempèrent les angoisses. Mais ils ajoutent qu’Ottawa ne devrait pas pour autant ignorer complètement les doléances des Prairies, comme semble le faire Justin Trudeau.
Le sentiment d’aliénation de l’Ouest habite ces provinces depuis des décennies. Au cours des derniers mois, il s’est toutefois transformé en une « nouvelle manifestation du nationalisme de l’Ouest », dont le constitutionnaliste Benoît Pelletier affirme n’avoir jamais été témoin auparavant.
La nouvelle première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a été élue à la tête du Parti conservateur uni en promettant une « loi sur la souveraineté » qui permettrait à sa province d’ignorer les lois et règlements fédéraux qui iraient à l’encontre de ses intérêts. Bien qu’elle ait reculé et fini par dire qu’elle reconnaîtrait un revers de la Cour suprême, elle a aussi indiqué mardi qu’elle pourrait répliquer par des changements législatifs ou de nouvelles contestations judiciaires pour tenter d’arriver à ses fins.
Son voisin Scott Moe a quant à lui dévoilé un « livre blanc » sur l’autonomie de la Saskatchewan. Avare de détails, le document de 24 pages énumère les plaintes et les revendications de la province et promet de faire comme le Québec : « agir sans demander la permission ».
À Regina comme à Edmonton, les premiers ministres disent prendre exemple sur le Québec. Et osent même déclarer que leur province est « une nation au sein d’une nation ».
Le Manitoba s’est en outre joint à ces deux voisines pour promettre à son tour de ne pas imposer le programme de rachat d’armes d’assaut du fédéral sur son territoire.
Une querelle plus qu’une crise
La loi sur la souveraineté de Danielle Smith sera déclarée inconstitutionnelle, et le manifeste autonomiste de la Saskatchewan n’a rien annoncé de concret. La cabale autonomiste est « malhabile » et relève davantage de la « bravade », selon Patrick Taillon, de l’Université Laval. « On est plus dans la politique, le positionnement et la symbolique qu’à vraiment s’investir pour corriger le tir dans le fonctionnement de notre fédéralisme », explique le constitutionnaliste.
Justin Trudeau et ses ministres ont donc beau jeu d’ignorer les stratagèmes des provinces de l’Ouest. L’intransigeance, face aux mouvements autonomistes ou souverainistes du Québec, a fonctionné dans le passé, note d’ailleurs M. Taillon.
Le premier ministre fédéral a justement répliqué mercredi à Danielle Smith — qui s’oppose à la tarification du carbone, qui veut exploiter et exporter ses ressources naturelles — que ce sont le prix de l’épicerie, la lutte contre les changements climatiques et « de bons emplois, non pas seulement pour la prochaine année, mais pour les prochaines décennies », qui préoccupent les Canadiens. Une réponse aux allures de porte fermée.
M. Trudeau n’a peut-être pas tort d’ignorer les revendications autonomistes des Prairies pour l’instant. Une réponse officielle serait prématurée, puisque ces efforts populistes suggérant le sabotage de la Constitution canadienne sont voués à l’échec devant les tribunaux, confirme l’expert constitutionnel et politologue de l’Université de Waterloo Emmett Macfarlane. La Cour suprême confirmait l’an dernier que la taxe carbone relevait bel et bien des compétences fédérales.
Mais ces prétentions autonomistes comportent néanmoins un risque politique et électoral (si faible soit-il, dans ces provinces à majorité conservatrice) pour le gouvernement libéral fédéral, note le professeur Macfarlane. Sans compter qu’elles peuvent déstabiliser la démocratie canadienne, en faisant valoir à tort qu’il est possible d’enfreindre la Constitution.
Le Québec, pas plus écouté
Les premiers ministres de l’Ouest n’ont toutefois peut-être pas complètement tort de vouloir s’inspirer du modèle québécois. Benoît Pelletier et Patrick Taillon sont d’avis que le fédéralisme canadien devrait en effet être rééquilibré.
Les Prairies feraient cependant mieux de réclamer des ententes sectorielles, un resserrement du pouvoir fédéral de dépenser dans leurs champs de compétence, un droit de consultation pour certaines nominations fédérales ou lors de négociations commerciales internationales. Et non pas de prétendre sur tous les toits qu’elles peuvent s’exempter unilatéralement des champs de compétence définis dans la Constitution — ce que le Québec n’a jamais prétendu.
La Saskatchewan demande d’ailleurs, avec ses voisines et l’Ontario, davantage de pouvoirs en immigration, à l’image de l’entente que partagent le Québec et le gouvernement fédéral. « Ce fédéralisme asymétrique, c’est faisable », fait valoir Benoît Pelletier, de l’Université d’Ottawa. Sauf que les requêtes de pouvoirs accrus du Québec en immigration sont elles aussi ignorées par Justin Trudeau.
Le fait que ce front commun autonomiste des Prairies soit idéologique, au-delà d’être provincial, confortera probablement le premier ministre fédéral dans son choix de ne pas y tendre l’oreille. Un consensus élargi qui inclurait le Québec semble également écarté, puisque François Legault n’est pas au diapason de ses homologues conservateurs de l’Ouest, qui défendent en outre des priorités qui ne sont pas les siennes — en environnement, notamment.
Le gouvernement de Justin Trudeau risque donc de continuer de faire la sourde oreille dans son coin. Et les provinces de rager, impuissantes, dans le leur.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec