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Loin de partager les opinions et les engagements de l’auteur, j’ai traduit son article pour son intérêt quasiment anthropologique : il est rare que l’on reconnaisse la victoire d’un ennemi, en l’occurrence le Hezbollah.
Israël espère que l’accord sur la frontière maritime avec le Liban réduira les risques de guerre ou d’affrontements violents avec le Hezbollah. Paradoxalement, l’accord ne fait que les rendre plus probables. Fausto Giudice
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par David Daoud.
Quand Israël et un pays arabe interagissent sans violence, cela suscite naturellement une certaine excitation. Les observateurs intéressés ont tendance à deviner la perspective d’une paix imminente, ou du moins un signe de progrès vers elle, dans tout acte de non-belligérance mutuelle.
Ce sentiment est compréhensible. Comme en témoignent les présidents usaméricains successifs qui, de manière chimérique, mettent en jeu leur héritage de politique étrangère pour parvenir à la paix entre juifs et Arabes, le désir de voir la fin du conflit israélo-arabe, apparemment interminable, a tendance à l’emporter sur la rationalité.
Mais dans cette catégorie d’interactions arabo-israéliennes bienvenues, et encore moins compréhensibles, les gestes entre le Liban et Israël en particulier – même neutres, purement procéduraux – se voient accorder une signification spéciale, presque mystique. Soulignant l’irrationalité, en particulier ces dernières années, cela a parfois même remplacé l’excitation des gestes de rapprochement entre Israéliens et Palestiniens, dont la discorde a jadis été au cœur du conflit arabo-israélien.
Cette exaltation injustifiée est basée sur deux séries de fictions sur le Liban, en particulier en ce qui concerne Israël – l’une occidentale, et l’autre typiquement israélienne.
Dans l’imagination occidentale, avec un accent sur l’imagination, le Liban a longtemps été perçu comme un bastion levantin de la civilisation raffinée (lire : européenne). Cette conception est fondée sur ce qui était perçu comme l’européanité des chrétiens maronites du Liban et sur une notion corollaire répugnante et franchement chauvine, sinon carrément raciste – souvent promue par de nombreux chrétiens maronites eux-mêmes : que l’hégémonie culturelle historique maronite au Liban a éclairé et civilisé les Arabes musulmans du pays, qui (selon cette cette pensée) auraient autrement été tout aussi ignorants et barbares que le reste de leurs frères dans la région.
Bref, le Liban mériteune attention et un soin particuliers – il doit être « sauvé », et nous, en Occident, devons le sauver, nous dit-on à satiété – parce que le Liban, contrairement à ces autres pays arabes, est « comme nous ». Autrement, nous disent les mêmes personnes, le Liban deviendra une plaque tournante de l’exportation de drogue et du terrorisme.
Cette fiction mobilisatrice est appuyée par une légion d’expatriés et de diplomates usaméricains et européens qui s’éprennent d’une vision romantique d’un Liban européen – un « Paris du Moyen-Orient » – qui n’existe pas, et n’a jamais existé, en dehors des limites confortables de leurs bulles culturelles occidentales à Beyrouth ; qui s’enivrent, souvent littéralement, de la vie nocturne et de la permissivité apparemment occidentales offertes, peut-être, par une poignée de quartiers de la capitale libanaise – tout en ignorant la complexité du tissu culturel, religieux et social du reste du pays.
Mais on ne peut pas reprocher aux seuls Occidentaux ces perceptions erronées. Celles-ci sont vigoureusement promues par de nombreux Libanais eux-mêmes, notamment à Washington D.C., par un éventail d’activistes-analystes.
Pour beaucoup de ceux qui ont cette conception romantique du Liban comme la citadelle de l’Occident en Orient, en particulier ceux à droite du spectre politique, la paix ou une alliance avec son « jumeau » Israël n’est que naturelle – cet autre pays levantin qui a à la fois bénéficié et souffert d’être considéré, avec une justification toujours partielle, comme la « Petite Amérique » de la région. Peu importe que les similitudes culturelles et sociales entre Israël et le Liban, qui sont à la base de ce partenariat prétendument organique entre les deux pays, soient au mieux superficielles et éphémères.
Les Israéliens, en revanche, vous diront qu’ils n’ont pas le temps pour un tel romantisme absurde. Toujours aussi réalistes, durs et bourrus, ils ont leur propre raisonnement, tout aussi farfelu, pour considérer le Liban comme un pays frère. Dans la conception historiqueisraélienne, ici renforcée également par de nombreux interlocuteurs libanais (en particulier chrétiens), Israël et le Liban possédaient un lien fraternel unique et organique sur le plan régional en raison de leur identité minoritaire au Moyen-Orient, qui a été artificiellement brisé par une guerre étrangère aux deux pays et à leurs intérêts.
Dans ce récit, le Liban et Israël sont des partenaires naturels, les seuls pays non arabes et non musulmans du Levant situés dans une mer d’Arabes sunnites hostiles, et possédant en tant que tels des adversaires et des intérêts partagés. Cette notion, si elle a jamais eu une quelconque validité, est maintenant gravement dépassée comme le montre l’alliance israélo-sunnite naissante, baptisée les Accords d’Abraham.
Néanmoins, ce concept erroné a conduit Jérusalem à des fantasmes de politique étrangère, comme la déclaration de Moshe Sharett de 1955 selon laquelle le Liban serait le « deuxième » pays arabe à établir la paix avec Israël. Ou des mésaventures désastreuses basées sur, comme l’objectif de 1982 de l’Opération Paix pour la Galilée de donner au seigneur de guerre phalangiste Bachir Gemayel le pouvoir de changer le visage de la région grâce à une alliance entre le Liban maronite et Israël. Cela a été accompagné par une comparaison par le Premier ministre israélien Menahem Begin des maronites aux juifs face aux nazis, et son fantastique discours de la Knesset prédisant la signature prochaine d’un accord de paix Israël-Liban.
Pourtant, les vieilles fictions ont la vie dure. Surtout quand elles disposent de suffisamment de pom-pom girls enthousiastes. Ces dernières années, elles ont été combinées avec un troisième concept, tout aussi fantasmatique, entretenu conjointement par les romantiques occidentaux et les Israéliens réalistes : que le renforcement du « Liban officiel » – son armée, ses institutions étatiques, sa société civile, etc. – contrariera et érodera progressivement l’influence de l’Iransur le pays, manifestée par le Hezbollah.
Le fait que ce concept n’ait porté aucun des fruits escomptés depuis près de deux décennies n’a dissuadé ni ses partisans romantiques ni leurs homologues réalistes, qui l’ont maintenant combiné avec les autres fantasmes et l’ont plaqué sur un éventuel accord sur la frontière maritime entre Israël et le Liban.
L’accord imminent est purement technique et vise à délimiter la frontière maritime entre les deux pays et à diviser les gisements d’hydrocarbures offshore potentiels dans leurs zones économiques exclusives respectives. Pourtant, pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus, ces négociations ont même donné lieu à l’espoir qu’un accord se traduirait par un processus de normalisation de type Accords d’Abraham. Mais l’accord lui-même, et toutes les attentes fantasmatiques qui y sont projetées, continuent de buter sur l’intransigeance libanaise.
Fin octobre 2020, les négociateurs libanais sont venus à la table pour exiger soudainement 1430 km2 supplémentaires en plus des 860 km2 déjà disputés avec Israël – qui comprend le gisement de Qana. Cette position maximaliste, connue sous le nom de « Ligne 29 », visait à étendre la souveraineté libanaise sur le champ Karich d’Israël, autrefois incontesté, parce qu’il était connu pour contenir des quantités commercialement viables de ressources en hydrocarbures. Le « Liban officiel » n’a jamais légalement adopté la ligne 29, mais la nouvelle demande de Beyrouth a néanmoins autorisé le Hezbollah à commencer à menacer Israël en cas d’exploration ou d’extraction menées à Karich sans d’abord s’entendre avec le Liban.
Encore une fois, la semaine dernière, le Liban a suggéré des amendements substantiels à ce qui était censé être un projet presque définitif d’accord sur la frontière maritime. Les propositions de Beyrouth auraient fait en sorte que TotalEnergies, la compagnie pétrolière française autorisée à explorer au large des côtes libanaises, achète la partie du gisement de Qana dans les eaux israéliennes avant une mise en route de l’exploration – c’est-à-dire avant que sa valeur réelle, plutôt que de simples estimations, ne soit connue – alors qu’Israël avait convenu que Total paierait à Jérusalem des redevances pour le gaz effectivement extrait du côté israélien du gisement.
En outre, les Libanais ont rejeté la proposition israélienne de faire de la « ligne de bouées » – établie par Israël après son retrait du Sud-Liban en mai 2000 à 8 km au large des côtes de Rosh Hanikra – une frontière internationale, maintenant ainsi le différend sur la frontière maritime entre les deux pays.
Dans un étalage de leurs manières de table traditionnelles, les Libanais essayaient d’avoir leur knafeh et aussi de le manger. À juste titre [sic], les Israéliens ont catégoriquement rejeté les modifications proposées par leLiban, envoyant les forces de défense israéliennesen alerte à la frontière nord et avec les médiateurs usaméricains se bousculant à la proverbiale onzième heure pour sauver l’accord – tout cela pour empêcher le Hezbollah d’exécuter ses menaces de violence, le bâton officieux que le Liban avait utilisé tout au long des négociations pour faire pression sur Israël.
Mais les menaces du Hezbollahne se sont jamais matérialisées. Depuis le début, ce n’étaient que de la poudre aux yeux. Le groupe n’a pas été en mesure d’exécuter ses menaces depuis près de trois ans.
L’effondrement économique en cours au Liban, qui a coïncidé avec les manifestations du 17 octobre 2019 contre la classe politique libanaise – y compris le Hezbollah – a considérablement restreint la liberté d’action militaire de l’organisation.
Le pays est actuellement en proie à l’une des pires crises économiques depuis le milieu du XIXe siècle, selon la Banque mondiale. La livre libanaise, s’est effondrée. Les dollars sont introuvables, sauf sur un marché noir qui impose des montants exorbitants pour les billets verts de plus en plus rares. Le chômage et la pauvreté sont endémiques, tout comme la faim, les pénuries d’électricité et de gaz. Et il n’y a pas de fin en vue aux malheurs économiques du Liban, même si le gaz provenant des champs en mer commence à couler.
Depuis le début des manifestations, la colère libanaise n’a pas été dirigée spécifiquement, ou principalement, contre le Hezbollah. Il est compréhensible que le groupe veuille maintenir les choses en l’état, et qu’il ait utilisé tous les moyens à sa disposition pour éviter et rediriger la responsabilité de sa part dans les malheurs du Liban. Cela a inclus d’éviter assidûment un affrontement avec les Israéliens.
Le groupe admet que chaque cas de friction avec Israël, aussi méticuleusement planifié soit-il, comporte un risque d’escalade involontaire qui pourrait conduire à une guerre indésirable. Alors que le Hezbollaha fait preuve de sa détermination avant même les manifestations de 2019, même ce risque minime est maintenant trop élevé, compte tenu des contraintes internes du groupe et du niveau de destruction que les Israéliens promettent dans un futur conflit.
Ainsi, après chaque provocation israélienne depuis le 17 octobre 2019, le Hezbollah a refusé à Israël toute excuse d’escalade, choisissant d’utiliser la propagande et la théâtralité pour maintenir son image d’un mouvement de résistance fort capable de dissuader le rapace ennemi sioniste. Cela inclut de faire bourdonner ses drones au-dessus du champ de Karich d’Israël.
En outre, le Hezbollah risque d’aggraver les souffrances libanaises par une guerre ou un affrontement armé avec Israël dont le Liban ne se remettra probablement pas puisque tous les bienfaiteurs historiques de Beyrouth l’ont abandonnée – et de se transformer en centre de la colère libanaise. Paradoxalement, en signant cet accord frontalier maritime, la guerre ou les affrontements violents avec le Hezbollah qu’il est censé éviter deviendront plus probables. Le cash-flow sera juste suffisant pour restaurer l’économie libanaise, supprimant la contrainte principale qui a étouffé la bellicosité du groupe depuis octobre 2019.
De manière ostensiblement contre-intuitive, la signature de cet accord sur la frontière maritime n’est pas non plus dans l’intérêt à long terme du Liban.
Comme on l’a noté, les fonds provenant de tous les gisements de pétrole et de gaz en mer pourraient effectivement apporter au Liban une certaine stabilité économique. Mais ce gain serait évanescent et superficiel. Cela ne créerait jamais un Liban véritablement prospère avec une économie qui fonctionne.
Au lieu de cela, il fournirait un sédatif financier à la rue libanaise qui est à juste titre en colère contre l’ineptie de ses dirigeants, qui ont mal géré économiquement le pays jusqu’à la ruine. Ce qui a profité à la classe politique corrompue et au système qui la soutient, une mafia au pouvoir qui a cherché une alternative cosmétique aux réformes véritables et profondes nécessaires pour rendre l’économie de son pays productive – mais ce qui les éjecterait du pouvoir ou, tout aussi probablement, les mènerait en prison.
C’est là le deuxième avantage pour le Hezbollah. Malgré son image soigneusement élaborée d’intégrité et d’honnêteté irréprochables, le groupe prospère dans le système corrompu du Liban et s’y nourrit donc. En conséquence, il cherche lui aussi des alternatives aux réformes authentiques qui limiteraient également son pouvoir au Liban.
C’est pourquoi le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, dans son dernier discours, a présenté l’extraction de pétrole et de gaz comme « la seule option aujourd’hui disponible » pour stabiliser l’économie libanaise, et a promis qu’« un bon résultat [dans les négociations] ouvrira de grands horizons prometteurs pour le peuple libanais ». Il n’est pas étonnant non plus que le groupe ait agi comme le « méchant flic » à côté du « bon flic » – l’État libanais – tout au long du processus de négociation.
Walid Joumblatt, le chef druze libanais – ludion s’il en fut -, est l’un des ennemis libanais épisodiques du Hezbollah – selon la manière dont les vents du pouvoir soufflent au Liban. La semaine dernière, il a choisi de louer la compétence et la « puissance » diplomatiques du Hezbollah qui ont « forcé » Israël à faire des concessions sur les négociations relatives à la frontière maritime. Il a noté le « rôle positif » joué par le Hezbollah en lançant des drones vers Karich, et a espéré que le groupe reproduirait ce succès en ce qui concerne les fermes de Chebaa et les collines de Kfarchouba, territoires pour lesquels le Liban est en conflit avec Israël.
Ce n’est pas pour valider la propagande et le comportement électoraliste toxiqued’un certain accusé criminel cherchant à reprendre le poste de premier ministre israélien [Bibi Netanyahou], mais Joumblatt n’a pas tort. Les Israéliens sont venus à la table pour négocier la jouissance paisible de leurs ressources offshore et finalement délimiter leur frontière maritime septentrionale à travers un accord dont ils croyaient, sur la base d’une vision erronée, qu’il affaiblirait le Hezbollah et l’Iran au Liban. Les médiateurs usaméricains veulent la même chose, et aider le Liban à se redresser économiquement.
Mais les négociateurs libanais – ne servant pas les intérêts de leurs compatriotes, mais de leurs maîtres politiques – sont arrivés prêts pour l’extorsion diplomatique, prêts à tirer tous les avantages possibles de l’accord, même beaucoup de ceux auxquels ils n’ont pas droit. Dans cet objectif, ils ont été aidés par les menaces du Hezbollah (probablement tacitement approuvées par le gouvernement) en arrière-plan, ce qui a créé un sentiment d’urgence et de quête désespérée en Israël et aux USA d’un accord dont aucun pays n’a vraiment besoin, sauf le Liban.
Le texte final de l’accord sur la frontière maritime entre le Liban et Israël n’a pas encore été dévoilé. Mais quelle que soit la forme qu’il prendre, et quel que soit son contenu, c’est sans importance. Dans les conditions politiques et sociales actuelles du Liban, l’accord apportera juste assez de stabilité économique au pays pour assouplir les contraintes qui pèsent sur le Hezbollah et renforcer la classe politique corrompue du pays.
Un tel résultat nuit aux intérêts à long terme des Israéliens, des USAméricains et des Libanais, quel que soit l’attrait de l’accord ou les scénarios apocalyptiques qui sont présentés en cas d’échec à le réaliser.
source : Haaretz
traduction Fausto Giudice pour Tlaxcala
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