-
Campagne de dons Octobre 2022
Chers amis lecteurs. Nous lançons une campagne de dons pour ce mois d’Octobre et nous comptons sur vous pour nous aider à continuer notre travail de réinformation. Comme vous le savez, l’entretien et le fonctionnement de notre site ont un certain coût, et nous dépendons presque entièrement de vos dons pour en assurer le financement. Réseau International a besoin de vous plus que jamais pour assurer la continuité de son travail de réflexion et de réinformation
6 880,00 € atteint
Peter Ford a été ambassadeur britannique en Syrie (2003-6) et à Bahreïn (1999-2003) avant de travailler à l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, dont le siège est à Amman (2006-2015). À l’Université d’Oxford il a étudié le français et l’espagnol, et la langue arabe à Beirut.
Interviewé par Mendelssohn Moses.
1. Aux côtés de la Russie, l’Iran a joué un rôle-clef en faveur de la stabilisation de la Syrie. Parlons-en
Le rôle joué par l’Iran est fondamental.
Avant même l’entrée décisive de la Russie aux côtés de la Syrie en 2015, l’Iran, nation à majorité chiite, assistait le gouvernement séculaire syrien du point de vue financier, économique et militaire dans sa confrontation face aux forces islamistes (sunnites) que soutenait l’Occident. Plus spécifiquement, l’Iran fournissait du pétrole ainsi que les fonds qui permettaient de payer les salaires des forces armées syriennes.
La Syrie a pu compter sur un soutien sans faille de la part de l’Iran et ce, en dépit des sanctions sévères imposées sur l’Iran par l’Occident suite aux « ingérences » iraniennes. En un mot, des sanctions occidentales sur l’Iran pour avoir aidé le gouvernement séculaire syrien à survivre et à repousser les forces d’ISIS.
Par ailleurs, en matière diplomatique l’Iran a permis un équilibre grâce auquel la Syrie ne dépend pas de la seule Russie et où, jaloux du prestige iranien dans la région, les États du Golf cherchent désormais à rafistoler leurs relations avec la Syrie.
Du point de vue militaire, le rôle principal de l’Iran est dans le financement de certaines milices, dont des milices formées d’Afghans et déployées sur la ligne de front contre ce qui reste d’ISIS dans le désert et contre les autres djihadistes dans le nord, tout en harcelant les forces d’occupation US dans le Nord-Est.
2. Il semblerait que l’Iran fasse l’objet d’une tentative de révolution de couleur comme toutes celles que les services anglais et américains ont concoctées depuis 40 années. Est-ce exact ?
Certains des problèmes internes à l’Iran sont de l’auto-sabotage et d’ailleurs, les dirigeants iraniens l’ont reconnu eux-mêmes ! La police religieuse a tendance à ne pas y aller avec le dos de la cuiller, ce qui fournit aux ennemis de l’Iran en Occident de splendides occasions de souffler sur les braises jusqu’à ce que l’incendie ne se propage. On l’a bien vu en Syrie. En ce moment, une guerre cybernétique est lancée contre l’Iran et tous les mass-média occidentaux s’y mettent, petit doigt sur la couture du pantalon, afin de contrôler le champ de bataille des informations.
3. Les USA disent ne maintenir que 900 hommes dans le Nord-Est et Est syrien, alors qu’ils sont assis sur 30% du territoire syrien et se sont appropriés 80% de son pétrole. Est-ce exact ? Et où va le pétrole, si ce n’est pour fournir les bases US en Irak ?
Sur le modèle de l’Angleterre qui a su contrôler les Indes avec une poignée seulement de forces armées, les USA contrôlent le Nord-Est syrien en s’appuyant sur les nababs, mercenaires et chefs de guerre kurdes. De leur point de vue, c’est « tout bénéf » car l’opération est auto-financée. En détournant le pétrole syrien, principalement vers l’Irak, l’occupation génère suffisamment de fonds pour financer leurs marionnettes et ainsi éviter d’avoir à y investir eux-mêmes. Ainsi les USA se peuvent se permettre le luxe de fermer les yeux sur le pétrole de contrebande que des chefs de guerre revendent à la Syrie !
4. Si la Turquie sous Erdogan est tout sauf prévisible, il semblerait tout de même qu’une entente turco-syrien se profile – tenant en compte qu’il y a 4 millions de réfugiés syriens en Turquie. Que serait la nature d’une telle entente ? Les USA devront-ils en faire leur deuil ?
Voilà l’aspect le plus prometteur de l’actuelle situation. Il fallait s’y attendre – à un moment donné, la Turquie, ayant échoué dans sa tentative de renverser Bachar el-Assad allait se lasser d’occuper des territoires syriens infestés de jihadistes – d’où sont arrivés les millions de réfugiés syriens en Turquie. Il semblerait que l’on est au point tournant et qu’on pourrait bien voir la Turquie partir d’Idlib sur la pointe des pieds, tandis que la Russie aplanirait la voie vers une configuration assez semblable à celle où la Syrie méridionale a été pacifiée par des compromis brouillons mais suffisamment efficaces et veillés par Moscou. Un tel dénouement transformerait tout le Nord syrien, tandis que les Kurdes deviendraient les derniers à s’opposer de façon invétérée à la légalité retrouvée. La position des Kurdes en tant qu’obligés des USA deviendra intenable.
5. Quels conseils donneriez-vous aux dirigeants kurdes, qui sont autant le jouet des USA que les dirigeants ukrainiens ?
Pour ma part, je dirais au Kurdes : arrangez-vous avec Damas pendant qu’il est encore temps. Votre poids dans toute négociation ne va que s’amoindrir. Admettons que vu les évènements ukrainiens les USA ne vont pas simplement se tirer, afin d’éviter de faire plaisir aux Russes. Mais tout peut changer très vite et surtout si la Turquie tourne le dos à Idlib. Je leur dirais : n’attendez pas de devenir comme ces Afghans oubliés sur le tarmac.
6. Les Français ont oublié que, fondé en France, le parti Ba’ath est tout sauf « de droite, ou « fondamentaliste musulman » … et qu’il était hégémonique en Syrie. Qu’en est-il maintenant ?
Le Parti Ba’ath représente le sécularisme et le socialisme arabe. Depuis l’explosion du conflit syrien, le parti Ba’ath s’est nécessairement mis en retrait par rapport à l’appareil de sécurité et ce n’est pas encore fini. Aussi longtemps qu’autant de territoire syrien demeure entre les mains des USA et de la Turquie, un retour à la vie politique « normale » on est difficile à envisager.
7. Israël lance des raids aériens et des attaques de missiles sur la Syrie de manière récurrente et a notamment rendu impraticable les deux grands aéroports syriens pendant des semaines, nonobstant l’épidémie de choléra et le manque de médicaments. Quel intérêt pour Israël dans tout cela, s’agissant en plus d’un pays avec lequel elle n’est pas en guerre ?
Israël lance des raids sur la Syrie parce qu’elle en a les moyens, et que cela ne lui « coûte rien » de se défouler sur son souffre-douleur préféré. Aucun motif rationnel pour ces attaques ne me vient à l’esprit. Le motif ostensible, c’est à dire qu’elle cible des opérations et dispositifs iraniens – est invraisemblable, puisqu’elle doit s’y prendre maintes et maintes fois, sans produire le moindre effet dissuasif. On ne peut écarter que l’objectif réel soit de provoquer l’Iran dans l’espoir de saborder l’éventuel renouveau des accords entre l’Occident et l’Iran sur le nucléaire.
8. Quid de la reconstruction de la Syrie ?
Pour l’instant du moins, la reconstruction de la Syrie est au point mort. Comment pourrait-il en être autrement alors que le conflit est tout sauf terminé d’une part, et d’autre part, l’Occident pèse de tout son poids en imposant des sanctions contre toute entité, de quelque pays que ce soit, qui s’y engage ? Punir la Syrie pour s’être refusée à se prosterner prime sur tout souci humanitaire. La présence chinoise se fait vaguement sentir dans les parages sans qu’il n’y ait eu jusqu’à date aucun investissement chinois significatif ; la Russie pour sa part ne dispose pas de moyens qui la permettraient d’aller au-delà d’aide humanitaire. Parmi les États du Golfe, les Émirats arabes unis notamment sont en train de froisser les USA en déblayant le terrain en amont en vue de faire des investissements.
9. Quelle est la situation de la Syrie face aux alliances nouvelles émergentes – l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS) notamment ?
Depuis 2015, la Syrie est un partenaire du dialogue de l’OCS sans toutefois que cela n’aille plus loin. Il faut reconnaître que même au sein des groupements de pouvoir non-occidentaux, l’Occident est l’éléphant dans la pièce et la Syrie est ostracisée pour ne s’être pas désintégrée. Même la Chine se croit obligée de faire preuve de prudence en ce qui concerne la Syrie ; dans les faits celle-ci n’a comme alliés que deux nations : la Russie et l’Iran. Par bonheur, ce sont des alliés fiables. Contrairement aux USA, ces deux pays ont démontré que ce sont des alliés sur lesquels on peut compter sur le long terme.
10. Sur le site Web de la British Syrian Society figure un cliché d’Elizabeth II pris le jour de son mariage, dans toute la radieuse beauté de sa jeunesse, et drapée dans des soieries tissées à Damas qu’elle s’était fait envoyer pour en faire sa robe de mariée. Comment est-ce possible que depuis, l’Angleterre ait mené une politique aussi scélérate vis à vis de l’Iran, de l’Irak et maintenant de la Syrie ? En quoi est-ce que cela sert ses intérêts comme nation?
Face à la Syrie, l’Angleterre entretient une hostilité plus qu’étrange, pour laquelle la seule explication plausible serait qu’elle voit la Syrie comme un épiphénomène de son obsession historico-hystérique avec la Russie. Une chose est sûre : la tentative de déstabiliser la Syrie ne sert en rien les véritables intérêts de l’Angleterre. D’ailleurs, lorsque les électeurs britanniques ont vu les millions de Syriens cherchant à fuir leur pays suite à ces tentatives de déstabilisation, c’est la Grande Bretagne elle-même qui a été déstabilisée eu égard à l’impact sur le débat autour du Brexit !
11. Quel impact a le conflit en Ukraine sur la Syrie ?
Il est permis de penser que le conflit syrien fût une espèce de répétition générale pour celui en Ukraine. C’est en Syrie que l’Occident a peaufiné son scénario de guerre par intermédiaire interposé, son contrôle monolithique sur les mass-média, ses récits inventés de crimes atroces de guerre ainsi que des techniques de propagande diverses et variées. La cible était moins le pays étranger théâtre des combats que la population occidentale, amenée à soutenir un conflit entraînant des coûts élevés mais assortis d’aucun avantage.
Or, le conflit en Ukraine pourrait avoir des conséquences pour la Syrie plutôt « bénéfiques » si c’est bien le terme. Pas tout de suite, car les USA hésiteront à mettre genou à terre devant la Russie en quittant la Syrie rapidement. Sans oublier qu’un certain nombre de troupes russes ont dû partir pour l’Ukraine. Cependant lors d’un combat de titans, les meubles ne restent pas à leur place dans le salon. L’un des meubles c’est la Turquie, qui par la force des choses a dû se rapprocher de sa voisine russe. Un rapprochement turco-syrien soutenu par la Russie devient ainsi plus probable – éventualité qui préoccupe beaucoup les jihadistes d’Idlib et surtout, à supposer que ce rapprochement se concrétise, éventualité qui agace au plus haut point l’Occident.
Le Pentagone doit être tout à fait conscient du fait que les USA ont des « actifs » particulièrement vulnérables en Syrie, sous forme de centaines de soldats US dispersés sur des camps de fortune en Syrie du Nord-est et à Al Tanf sur la frontière jordanienne. Si, Dieu nous en garde, les USA se battaient directement avec la Russie sous prétexte de l’Ukraine, je n’aurais pas envie de me retrouver à la place d’un soldat US en Syrie. Mais les USA y sont dans une impasse : ils ne peuvent agir prudemment et retirer ces cibles faciles, précisément parce que cela voudrait dire perdre la face devant la Russie. C’est ainsi que l’on peut peut-être voir le harcèlement intense des bases US par des milices pro-syriennes : petit rappel aux USA que parfois, des actes entraînent des conséquences.
Adblock test (Why?)
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International