C’est d’emblée, dès les premières images, un film déroutant, tant il multiplie les effets visuels, en un noir et blanc expressionniste, et, certes, on peut se réjouir de voir un film qui ne se contente pas de faire de la télé. Mais on finit par se demander si cette virtuosité fait vraiment un style personnel, et si elle est en accord avec le sujet. On nous présente cela comme un film social : des meurtres d’enfants révèlent les inégalités sociales dans la Barcelone de 1912 ; mais est-ce vraiment là le but du cinéaste ?
Le réalisateur, Lluis Danés, adopte un style coup de poing, faisant alterner les images les plus disparates : tantôt on est dans un film en costumes, dans la haute bourgeoisie, tantôt on ne voit au second plan que des ombres chinoises, tantôt on penche du côté du film d’horreur, tantôt on voit sur l’écran des cartes postales d’époque, ou des décors en carton-pâte. On finit par avoir l’impression de voir un dessin animé avec des acteurs réels. Cette impression se trouve expliquée quand on sait que le film est la transposition d’un roman graphique, La Vampira de Barcelona, de Ledesma, González et Parra, sorti en 2017.
Mais qu’en est-il du contenu social ? On nous dit que les disparitions d’enfants pauvres n’émeuvent pas les autorités et, à la fin, le grand patron de presse de l’histoire explique qu’on ne peut pas dire la vérité (les enfants enlevés servent aux plaisirs des grands bourgeois qui fréquentent un bordel de luxe), car on n’est que trois ans après la Semaine Tragique, soulèvement de Barcelone et de sa région contre la mobilisation et l’envoi de troupes au Maroc dans le cadre de la guerre du Rif ; les crimes sexuels de la bourgeoisie pourraient provoquer un nouveau soulèvement, avec barricades et églises incendiées ; aussi, on mettra tous les crimes sur le dos d’une femme du peuple, ancienne prostituée, qu’on présentera comme un monstre. Mais le peuple n’est représenté ici que par un père désespéré, qui tombe vite dans la mendicité. A la place des usines et du peuple, on a les music-halls et les bordels, et le lumpenproletariat, prostituées et assassins, le tout vu par les yeux du héros de l’histoire, un grand bourgeois idéaliste et tourmenté, pour qui le journalisme c’est la recherche passionnée de la vérité.
En fait, le film coche toutes les cases, comme on dit : inceste, et suicide à la suite d’un inceste, pédophilie, drogue, commissaire ripou (rôle joué par Sergi López, qui parvient à insuffler un peu d’ambiguïté dans son personnage), patron de presse cynique, jeune journaliste qui croit à son métier, prostituée comme figure de la femme émancipée, et qui est l’autre héroïne du film : elle a tous les dons, elle tape à la machine, elle fait des piqûres, elle est même cantatrice et, dans une scène hallucinante, on l’entend chanter La Traviata (curieuse insertion d’une séquence de The Voice !). Bref, on perd de vue la charge sociale, et on aboutit à un dénouement romantique sans aucune vraisemblance.
Il reste un intérêt linguistique :Les mystères de Barcelone sont un film catalan, parlé en catalan, sauf lorsque des personnages parlent de façon officielle, comme c’est le cas pour le commissaire ; le catalan était en effet interdit ailleurs que dans le cadre privé. Et c’est bien un film caractéristique du cinéma catalan, qui laisse le gros comique, la comédie bourgeoise façon téléfilm et les mélos à la Almodovar au cinéma espagnol. Il présente le plus souvent une ambition esthétique, d’un ordre ou un autre : on a la tendance Balagueró (voir REC, thriller avec recherche d’effets visuels), et la tendance Albert Serra (présent à Cannes cette année avec Pacifiction ou, en français, Tourmente sur les îles), minimaliste et intello. Mais les cinéastes catalans se distinguent aussi de leurs homologues espagnols en se voulant « modernes », à la page sur le plan sociétal, c’est-à-dire encore plus conformistes qu’eux (j’ai un souvenir inoubliable d’un film intitulé 2000 kilomètres, où un mari, allongé sur le dos, gémissait sous les assauts de sa femme).
En somme, dans le désert artistique actuel, pourquoi ne pas aller voir Les Mystères de Barcelone, politiquement corrects, certes, mais dont les recherches visuelles sont distrayantes, et qui aborde un fait réel, connu en Catalogne comme l’affaire de la Vampiresse de Barcelone (titre du film en Espagne), d’actualité au mois de Halloween.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir