La campagne électorale bat son plein au Québec et le jour du vote approche. Au-delà des chefs, des programmes et des promesses, chaque parti politique fait campagne autour d’un slogan. En plus de résumer les idées principales que chaque formation politique veut mettre de l’avant, ils révèlent les angoisses et espoirs de notre temps. Analyse philosophique des concepts clés au cœur des slogans des cinq principaux partis.
Avec son slogan « Changer d’ère », les solidaires rassemblés autour de Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé nous offrent un beau jeu de mots. Le message est clair : c’est le temps de changer, pas juste de gouvernement, mais de manière de gouverner et de vivre : #transitionécologique.
Changer, c’est ironiquement l’idée la moins nouvelle, mais aussi celle qui fonctionne toujours. Quand on est dans l’opposition et que l’on désire ravir le pouvoir, c’est évidemment parce qu’on veut changer quelque chose.
Philosophiquement parlant, le culte du changement est une idée moderniste. Pour être à sa juste place, le changement doit demeurer un moyen et non une fin. On ne change pas pour changer, on change un mal pour un bien ou un bien pour un mieux. Qui appelle au changement doit préciser ce qu’il veut changer et ce pour quoi il veut le changer. Par exemple : « Je veux changer mon VUS pour une plus petite voiture moins couteuse et polluante. »
Continuer quoi ?
La Coalition avenir Québec de François Legault, elle, ne veut évidemment pas trop changer les choses. Avec leur très bref slogan « Continuons », le message du parti est très clair : nous avons fait une bonne job, alors on ne change pas une recette gagnante.
Continuer à une époque où tout va trop vite peut parler à ceux qui s’inquiètent d’une perte de repères en temps de crise et ressentent un besoin de stabilité ou d’enracinement. En temps incertains (inflation, guerre en Ukraine, insécurité sanitaire, etc.), le refuge en des valeurs stables (la continuité, la conservation, le terrain connu) est, pour plusieurs, quelque chose de rassurant.
Comme le changement, la continuité n’est pas un but en soi. C’est un concept vide en lui-même qui implique de préciser ce que l’on veut garder. Continuer suppose un regard plutôt favorable au passé et une vision d’avenir optimiste.
Changer dans la continuité
Changement ou continuité, les deux viennent toujours ensemble. Le changement, d’abord, implique toujours une certaine continuité. On ne peut jamais tout changer, car tout changement doit s’appuyer sur quelque chose qui demeure. Pour marcher, par exemple, on doit avoir un point d’appui avec une jambe pour bouger l’autre. Un enfant qui change en grandissant demeure la même personne. Similairement, une nation ne change pas de territoire, de population, de système politique ou économique comme on change de chemise.
Inversement, la continuité implique souvent le changement, du moins pour toute réalité imparfaite. Dieu ou la vérité, par exemple, n’ont pas besoin de changer. Mais tout organisme vivant a besoin de changer sans cesse pour continuer à vivre. Il doit travailler pour manger et renouveler ses cellules, combattre ses ennemis, bâtir et entretenir son habitat, se reproduire, etc.
S’assumer ou se victimiser ?
Les troupes du Parti québécois menées par Paul St-Pierre Plamondon se rassemblent autour du slogan « Le Québec qui s’assume. Pour vrai. » Un message sans ambigüité pour l’indépendance du Québec et révélant en même temps l’inconfort dans lequel le PQ se trouve pour se démarquer devant QS, qui se dit aussi indépendantiste, ainsi que la CAQ et le PCQ, qui s’affichent comme autonomistes ou nationalistes.
Assumer, étymologiquement (ad–sumere), veut dire prendre sur soi ou pour soi, dans le sens d’endosser ou supporter. Prendre à charge pour soi une tâche qui revenait à un autre, par exemple, ou encore, consentir à une situation que l’on n’a pas choisie, que l’on ne peut pas changer. S’assumer pour vrai implique une responsabilité et donc cesser toute victimisation. Cesser, par exemple, de se plaindre et d’accuser les gouvernements précédents ou le fédéral d’être les seuls responsables de nos malheurs.
Libres pour quoi ?
Le « Libres chez nous » d’Éric Duhaime fait évidemment allusion au « Maitres chez nous » de Jean Lesage, qui souhaitait nationaliser l’électricité en 1962. Toutefois, le slogan du parti conservateur du Québec invoque davantage les libertés individuelles que constitutionnelles.
Néanmoins, il ne suffit pas de dire « de » quoi on veut se libérer (des taxes, de l’interventionnisme de l’État dans notre vie privée ou l’éducation de nos enfants, etc.), il faut aussi dire ce « pour » quoi on veut cette liberté. On peut parler de deux libertés : la liberté « de » et la liberté « pour ». La première consiste en une libération de contraintes, comme être libre de maladies, libre de pauvreté, libre de couvre-feux, etc. La seconde est une liberté d’action, comme est libre pour fonder une famille, pour acheter une maison, pour créer une œuvre d’art, une entreprise ou une ONG.
La liberté individuelle et associative est un bien fondamental de toute société démocratique. Les gouvernements à tendance totalitaire qui veulent tout contrôler pèchent contre cette liberté. Toutefois, la liberté peut aussi devenir un prétexte à l’égoïsme ou l’individualisme. C’est pourquoi avec toute liberté doit venir une responsabilité envers le bien commun.
Qui dit vrai ?
Les libéraux de Dominique Anglade ont misé cette année sur le thème de la vérité : « Votez vrai. Vrais enjeux. Vraies solutions. ». Malgré ce noble concept de vérité, ce slogan un peu long porte une certaine ambigüité. Est-ce à dire que ceux qui ne voteraient pas libéral voteraient faux ?
« Qu’est-ce que la vérité? », demandait Pilate au procès du Christ. Des siècles plus tôt, Aristote répondait qu’il s’agit de la correspondance entre l’intelligence et la réalité. Ainsi comprise, la vérité est contraire à tous les relativismes et subjectivismes. La vérité est la même pour tous, observable et démontrable, et elle ne correspond pas nécessairement aux sondages ou au « politiquement correct ».
En un autre sens, la vérité est aussi une authenticité ou une fidélité à sa nature. On peut penser à un vrai tableau de Rembrandt ou de l’or véritable par exemple. Il s’agit alors d’être authentique et sincère, de ne pas projeter une fausse image de soi ou de parler pour plaire. Tout un défi pour nos politiciennes et politiciens de demeurer vrais en tout temps ! Il faut être prêt à admette les bons coups de ses adversaires et ses propres erreurs, chercher le bien commun plus que la popularité.
La célèbre affirmation du Christ « la vérité vous rendra libre » pourrait être une heureuse synthèse des slogans libéraux et conservateurs. Une vérité qui ne s’impose pas et une liberté qui s’oriente par la vérité.
Un slogan chrétien ?
Est-il possible d’imaginer un slogan politique pour un parti défendant les principes de justice sociale contenus dans l’Évangile ? La Parole de Dieu est pleine de potentiels slogans, il suffit d’un peu de créativité et d’humour pour en dénicher quelques-uns. «Ils avaient tout en commun» (Ac 2,44) pour des communistes ; «Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas !» (Mc 10,9) pour des fédéralistes ; «Là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté.» (2Co 3,17) pour des libertariens.
Paul VI et Jean-Paul II ont souvent utilisé l’expression « bâtir la civilisation de l’amour » pour résumer ce qui pourrait être un programme d’engagement politique et social des chrétiens dans la société. « Le comportement de la personne est pleinement humain quand il naît de l’amour, manifeste l’amour, et est ordonné à l’amour. Cette vérité est également valable dans le domaine social: il faut que les chrétiens en soient des témoins profondément convaincus et sachent montrer, par leur vie, que l’amour est la seule force qui peut conduire à la perfection personnelle et sociale et orienter l’histoire vers le bien. » (Compendium de la doctrine sociale de l’Église n°580)
Dans tous les cas, un slogan certifié ISO évangélique devrait référer au bien commun et à la finalité de la vie humaine. Peut-être un jour verrons-nous des pancartes électorales arborer le slogan paulinien «Citoyens des cieux» (Ph 3,20) pour élever nos projets politiques à la destinée de toute cité terrestre.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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