Extrait de la conférence de presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, à l’issue de la semaine de haut niveau de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations unies, New York, 24 septembre 2022.
Source : Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie
Traduction : lecridespeuples.fr
Sergueï Lavrov : Il n’y aura pas de remarques préliminaires. Je viens de faire une déclaration à l’Assemblée générale de l’ONU, dans laquelle j’ai exposé notre position.
Je voudrais commenter sans tarder certaines déclarations qui ont été faites à Washington, Londres, Bruxelles et d’autres capitales occidentales concernant les référendums qui se tiennent ces jours-ci dans les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk et dans les zones libérées des régions de Kherson et de Zaporozhie en Ukraine.
L’hystérie à laquelle nous assistons est très révélatrice. Depuis longtemps, l’expression directe de la volonté du peuple n’est plus un moyen d’établir le contrôle sur tel ou tel territoire que l’Occident peut accepter ou soutenir. Je voudrais vous rappeler l’interview de Vladimir Zelensky en août 2021, au cours de laquelle il a déclaré que ce ne sont pas des êtres humains qui vivent dans l’est de l’Ukraine, mais plutôt des « créatures », et que ceux de ses habitants qui se considèrent comme des Russes, veulent parler russe et veulent que leurs enfants et petits-enfants aient un avenir, doivent s’expatrier en Russie. C’est Vladimir Zelensky qui a lancé le processus qui a rendu la vie des Russes ethniques en Ukraine intolérable et qui a finalement abouti à des référendums sur l’adhésion de ces territoires à la Fédération de Russie. Comme l’a dit le président Vladimir Poutine, nous respecterons certainement les résultats de ces processus démocratiques.
Question : Lorsque les référendums seront terminés, Moscou considérera-t-il les zones contrôlées par l’Ukraine comme des territoires occupés ?
Sergueï Lavrov : Les référendums sont organisés sur décision des gouvernements locaux. Les conditions de ces référendums ont été rendues publiques. En fonction de leur résultat, la Russie respectera la volonté exprimée par les personnes qui souffrent depuis des années des atrocités du régime néo-nazi.
Question (traduite de l’anglais): Pouvez-vous expliquer la position de votre gouvernement concernant l’usage de l’arme nucléaire, car le commentaire du Président russe Vladimir Poutine concernant l’usage de « tout ce qui est à notre disposition » suscite de multiples interprétations. Cette « défense » sera-t-elle appliquée aux nouveaux territoires qui pourraient adhérer à la Russie après le référendum?
Sergueï Lavrov: Vous savez, il est très à la mode aujourd’hui d’appliquer ce qu’on appelle la culture de l’annulation (cancel culture). C’est activement utilisé par nos collègues occidentaux non seulement envers un pays, des politiques ou des personnalités, mais également vis-à-vis de la toile et des évènements historiques. Par exemple, en 2014, nos collègues occidentaux nous disaient de la même manière qu’ils ne peuvent pas accepter l’annexion de la Crimée et demandaient pourquoi nous l’avions fait. Nous répondions: « Souvenons-nous comment tout a commencé. » Le coup d’État, de nombreux morts. Se moquant des garanties de l’Allemagne, de la France et de la Pologne, les putschistes ont occupé les bâtiments administratifs et ont commencé à pourchasser le président de l’époque. Ils le pourchassaient physiquement, ils voulaient l’attraper. Les premières exigences des putschistes étaient d’annuler le statut de langue régionale du russe et d’expulser les Russes de Crimée. Des groupes armés ont été envoyés sur la péninsule pour prendre d’assaut le Conseil suprême. Seulement après cela les Criméens ont réagi en organisant leur référendum, alors que les régions de l’est de l’Ukraine ont refusé de reconnaître les résultats du coup d’État, mais les collègues occidentaux commencent à analyser ces événements à partir de ce qui s’est passé en Crimée. À l’époque, il n’y avait pas d’autre solution que de soutenir le vote sincère des Criméens, dont 95% ont voté pour revenir au sein de la Russie où ils avaient vécu pendant des siècles.
Cette même culture de l’annulation est observée aujourd’hui dans la narration sur l’arme nucléaire. Personne ne se souvient qu’en février dernier Vladimir Zelenski, avant l’opération militaire spéciale, a déclaré lors d’un discours (il en a tenu et en tient beaucoup) qu’après l’effondrement de l’Union soviétique l’Ukraine avait fait une grande erreur en renonçant à l’arme nucléaire. Il a soulevé ce thème lors des conversations sur le règlement du problème survenu en Ukraine.
Après le début de l’opération militaire spéciale, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian déclarait que la Russie devait se rappeler que la France, elle aussi, possède l’arme nucléaire. Rien n’avait été fait pour le provoquer. Nous ne parlions pas du tout de ce sujet. C’est Vladimir Zelenski qui a commencé à en parler.
Vous savez tous comment Liz Truss a commenté la question d’un correspondant pour savoir si elle n’aurait pas peur d’appuyer sur le « bouton rouge ».
Quant à la Russie, et le Président russe Vladimir Poutine et d’autres représentants du Kremlin en ont parlé à plusieurs reprises, notre pays possède une doctrine sur les fondements de la politique nationale de la Fédération de Russie en matière de dissuasion nucléaire. C’est un document ouvert, tout y est écrit. Je vous invite une nouvelle fois à voir les cas clairement désignés quand nous admettons l’utilisation de l’arme nucléaire.
Question: Lors de votre discours à la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, vous avez pour la première fois qualifié les pays occidentaux de parties au conflit en Ukraine. Est-ce que cela signifie que désormais nous les considérons comme des adversaires potentiels? Cela changera-t-il la structure des relations avec ces pays?
Josep Borrell a déclaré que pour l’instant l’UE ne comptait pas y envoyer ses troupes.
Une autre question. Vous avez mentionné la doctrine. En cas de déroulement réussi des référendums sur l’adhésion et conformément à ce document la Russie aurait des raisons d’utiliser l’arme nucléaire – en cas d’attaque cette fois contre son propre territoire. Les États-Unis disent que dans ce cas une frappe inévitable attend la Russie, sans toutefois préciser laquelle. Dans quelle mesure Moscou prend-il au sérieux ces menaces? Le conflit en Ukraine ne dégénère-t-il pas en troisième guerre mondiale, comme le craint le président serbe Aleksandar Vucic?
Sergueï Lavrov: Je ne ferais pas de pronostics sinistres. Tout le territoire de la Russie consigné et qui peut être consigné dans la Constitution de notre pays se trouve évidemment sous la protection totale de l’État. C’est absolument naturel. Toutes les lois, les doctrines, les concepts et les stratégies de la Fédération de Russie s’appliquent à tout son territoire.
Je n’ai pas entendu que les États-Unis menaçaient par une frappe. Je sais que le Président américain Joe Biden a déclaré que de nouvelles sanctions « infernales » attendaient la Russie en cas de référendums et d’acceptation de leurs résultats. Si une thèse menaçante du genre « la Russie sera inévitablement frappée » a été avancée, alors je voudrais prendre connaissance de ce texte. J’ignore que les États-Unis et l’Ukraine sont déjà des alliés reliés par une « chaîne » aussi dangereuse.
En termes d’aspects juridiques de participation de l’Occident à cette guerre, ceux qui suivent ne serait-ce qu’un peu la situation voient ce qui se passe. L’Ukraine est ouvertement alimentée en armes. Alors que Vladimir Zelenski exige constamment des armes tantôt de l’Allemagne, tantôt d’Israël. Sachant qu’il critique Israël de ne pas fournir la quantité d’armes demandée par l’Ukraine ou de prétendre d’en manquer lui-même. Kiev reçoit des renseignements, des données satellites. Le groupe utilisé par l’Occident pour soutenir les forces armées ukrainiennes et les bataillons nationalistes inclut près de 70 satellites militaires et 200 satellites privés. Un commandant de l’armée ukrainienne a récemment déclaré en commentant l’utilisation d’armes américaines sur le champ de bataille que les Américains avaient un droit de « veto » sur les cibles qu’ils choisissent. Qu’est-ce si ce n’est pas une implication directe dans le pointage des armes meurtrières et une participation à la guerre?
En prenant l’aspect juridique de la situation, les Américains, l’Otan et l’UE disent qu’ils ne participent pas au conflit, mais si c’est le cas, alors une convention appropriée s’applique. Notamment les Conventions de La Haye adoptées en 1907 (Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et Convention relative au régime des navires de commerce ennemis au début des hostilités). Elles restent en vigueur, elles n’ont pas été abrogées. La première concerne les engagements des puissances neutres dans une guerre sur mer, la seconde dans une guerre sur terre. Ces conventions stipulent que le terme « neutre » s’applique non seulement aux États se proclamant neutres en toute circonstance (telles que la Suisse), mais également à tout État qui n’est pas partie au conflit. Je rappelle que ni les États-Unis ni l’UE ne se sont proclamés partie de ce qui se passe en Ukraine. Si c’est le cas, alors l’article 6 de la convention relative au régime des navires interdit directement aux pays neutres qui ne participent pas au conflit de livrer des navires de guerre, des munitions et tout bien à tout belligérant. De cette manière, en fournissant des armes à Kiev, les États-Unis, l’UE et l’Otan ne peuvent pas se revendiquer neutres et ne participant pas au conflit. De plus, l’une des conventions interdit directement l’ouverture de centres de recrutement sur le territoire des États neutres.
Vous savez tous que des ambassades et des consulats généraux ukrainiennes dans les pays européens et ailleurs publiaient sur leurs sites l’invitation à se joindre à la « guerre sainte » contre la Russie, ce qui est du mercenariat direct. En permettant de le faire, les pays occidentaux violaient une nouvelle fois la convention sur les États neutres montrant ainsi qu’ils ne sont pas des observateurs mais participent directement au conflit. L’un des articles des conventions interdit d’utiliser des moyens de communication à des fins militaires. J’ai déjà dit que 200 satellites privés étaient directement utilisés dans cette guerre par les États occidentaux, y compris évidemment la société Starlink. Il dispose de satellites et d’une infrastructure terrestre. Le recours à ces ressources pendant la guerre signifie également que les États-Unis ne sont pas du tout neutres dans cette situation et deviennent partie au conflit. […]
Voir Zakharova : l’UE ne promeut plus la paix mais la guerre
Question : Vous avez dit que vous adhérez aux principes inscrits dans la Charte des Nations unies. Le Secrétaire général de l’ONU le conteste.
Sergueï Lavrov : Le Secrétaire général dit beaucoup de choses à cet égard, et il commente la situation autour de l’Ukraine presque quotidiennement, alors que je ne me souviens pas qu’il ait été suffisamment actif pour promouvoir la mise en œuvre des accords de Minsk.
Je m’explique : les principes de la Charte des Nations unies prévoient le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États. En même temps, ils prévoient le respect du droit des peuples à l’autodétermination. Et le conflit apparent entre ces deux concepts a fait l’objet de nombreuses négociations pendant très longtemps. Peu après la création de l’ONU, un processus a été lancé pour développer la compréhension de tous les principes de la Charte. Et enfin, la Déclaration de l’Assemblée générale relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations unies a été adoptée par consensus. Elle comprend des sections sur l’égalité des droits et l’autodétermination des peuples, ainsi que sur l’intégrité territoriale. L’Assemblée générale est parvenue à la conclusion suivante concernant l’interprétation de la Charte des Nations unies. Tout État doit respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de tout État dont le gouvernement respecte le principe de l’autodétermination des peuples et représente toutes les ethnies vivant sur son territoire. Je rirai si quelqu’un ici me dit qu’après le coup d’État de 2014 en Ukraine, après les interdictions de la langue russe, de l’éducation russe et des médias russes, après que les putschistes ont bombardé les territoires où les gens ont refusé de reconnaître les résultats du coup d’État, si quelqu’un me dit que la junte de Kiev, le régime néonazi qui a adopté des lois pour légaliser la théorie et les pratiques nazies en Ukraine, représente les intérêts des populations de l’est de l’Ukraine. Il est évident pour tout observateur impartial que ce régime ne représente pas les personnes qui se considèrent comme des russophones natifs et partagent la culture russe. J’ai déjà cité Zelensky. Il a dit que tous ceux qui veulent être russes peuvent aller en Russie. Cela signifie-t-il qu’il représente les intérêts de ces personnes ?
Le Secrétaire général a le droit de faire des déclarations. C’est sa déclaration. J’ai signé le document qui a été adopté lors de la réunion ministérielle des BRICS. Celui-ci contient un paragraphe disant que les ministres ont pris note des positions nationales concernant la situation en Ukraine telles qu’elles ont été exprimées dans les forums appropriés, à savoir le Conseil de Sécurité de l’ONU et l’Assemblée Générale de l’ONU. Voilà ce que signifie être honnête. Nous ne parlons pas à l’unisson ; il y a des points de vue différents et des nuances. Mais nous respectons ce que chacun des cinq pays dit sur la scène internationale.
Voir En cas de guerre nucléaire, plus de 5 milliards de personnes mourraient de faim
Question : Permettez-moi d’établir quelques parallèles. D’une part, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a ouvertement menacé l’Italie de conséquences si les résultats des élections y sont défavorables à Bruxelles. D’autre part, les référendums dans le Donbass : lorsqu’ils ont été annoncés, pratiquement tous les politiciens d’outre-mer et d’Europe ont qualifié ces référendums d’illégitimes et ont commencé à rivaliser entre eux pour les décrire en termes défavorables. Telle est l’attitude à l’égard de l’expression de la volonté du peuple. Quel genre d’approche est-ce là ? Quelle devrait être la réaction ?
Sergueï Lavrov : C’est de l’arrogance, le sentiment de toute-puissance, de supériorité et d’exceptionnalisme. Comme s’ils étaient les seuls à avoir le droit de porter des jugements. Ce qu’Ursula von der Leyen a dit à propos des élections italiennes était merveilleux. Je ne me souviens pas qu’un dirigeant européen se soit jamais abaissé au point de proférer des menaces de ce genre. L’UE, en principe, devient une institution autoritaire, rigide, dictatoriale.
Chaque année, nous organisons de nombreuses réunions bilatérales en marge de l’Assemblée générale. Et cette année, comme les années précédentes, nous devions avoir une réunion avec le Président de Chypre, Nicos Anastasiades. Nous avons inclus cette réunion dans notre programme à sa demande et à un moment qui lui convenait. Les horaires de la Russie et de Chypre ont été publiés. Une heure avant la réunion, le protocole de M. Anastasiades a signalé à notre protocole que l’Union européenne ne lui permettrait pas de se rendre à une réunion avec moi. Je pense que ce n’est plus un secret. Après tout, le bureau de M. Anastasiades a annoncé à Nicosie le même jour que la réunion avait été annulée en raison de la nécessité d’adhérer à certains règlements de l’UE.
Trois autres pays (deux pays de l’Union européenne et un pays membre de l’OTAN) ont souhaité tenir des réunions avec moi. Ils ont demandé à ce que ces réunions se déroulent en privé, sans en faire la publicité. J’ai accepté. Nous ne refusons jamais aucun contact. Nous sommes toujours prêts à accepter tout format qui serait confortable pour nos partenaires. Après avoir reçu notre réaction, ils ont disparu du radar. Nous n’avons plus jamais entendu parler d’eux par la suite.
Le Président français Emmanuel Macron a déclaré dans son discours que « l’heure n’est pas à la guerre. Elle n’est ni à la revanche contre l’Occident, ni à l’opposition de l’Ouest contre le reste. » Nous n’avons jamais placé l’Occident en opposition à l’Orient. Tout à coup, l’Occident a déclaré qu’il ne voulait pas coopérer avec nous. « L’heure est au sursaut collectif de nos pays souverains et égaux face aux défis contemporains« , a encore dit Macron. Ce sont d’excellentes paroles. Mais il y a une illustration à cette déclaration. Les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU à New York et, par conséquent, dans leurs capitales respectives, ont établi un calendrier de rotation pour les fonctions de coordination. À partir du 1er janvier, un pays exerce la fonction de coordination pendant trois mois, puis ce rôle revient à un autre pays pendant trois mois. Aujourd’hui, en septembre, la Russie est le coordinateur parmi les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Chaque fois que l’Assemblée générale des Nations unies a lieu, le pays coordinateur organise une réunion des ministres des cinq membres permanents avec le Secrétaire général. Nous, en tant que personnes polies, avons également présenté la proposition correspondante. Nous avons reçu le consentement de la partie chinoise. Les Anglo-Saxons nous ont dit qu’ils n’allaient pas discuter avec nous. Vous pouvez juger par vous-même.
L’Occident a-t-il un intérêt ? Vous ne pouvez pas offrir des services de médiation (certaines parties proposent de telles idées), tout en refusant d’avoir des contacts. C’est vraiment honteux du point de vue de la décence humaine élémentaire. Nous n’évitons jamais les contacts. Tout s’est effondré et continue à être ruiné par, notamment, Washington, Londres (plus activement), et Bruxelles.
Voir Moscou : en ciblant la centrale nucléaire de Zaparojie, Kiev pousse l’Europe au bord du gouffre
Question : Et au sujet des référendums ?
Sergueï Lavrov : Vous avez pratiquement tout dit. Deux poids, deux mesures. Nous nous souvenons de la manière dont l’Occident a formalisé des exceptions hors des principes internationaux pour le Kosovo. Puis la Cour internationale a déclaré que ce n’était pas du tout une exception. Après le Kosovo, il a été proclamé que toute partie de tout pays a le droit de définir son avenir sans le consentement des autorités centrales. [La politique de l’Occident est] « C’est ça ou rien ; je ferai des actions spécifiques lorsqu’elles seront bénéfiques pour moi, mais lorsqu’elles ne le seront pas, j’agirai différemment. »
Question : Vous venez de mentionner la participation des pays occidentaux dans ce conflit. Nous savons que le plus grand vendeur d’armes ici est en fait les États-Unis, qui ont adopté plusieurs paquets pour envoyer des armes à l’Ukraine. Même la politique étrangère des Etats-Unis dit que les politiciens américains essaient maintenant de jouer le « long jeu ». Quelle est, selon vous, l’intention des États-Unis, et la Russie est-elle prête à jouer un long jeu avec les États-Unis en Ukraine ?
Sergueï Lavrov : Le « jeu » ukrainien dure depuis longtemps. Permettez-moi de vous rappeler qu’en 2003, alors que les préparatifs des prochaines élections en Ukraine étaient en cours, des hommes politiques, des fonctionnaires et des ministres des affaires étrangères occidentaux, en particulier le ministre belge Louis Michel, ont déclaré sans ambages que les Ukrainiens devaient décider de leur camp —la Russie ou l’Europe— lors des élections. Cette mentalité du « ou bien ou bien », cette philosophie n’a pas disparu. Aujourd’hui, les tendances russophobes s’intensifient dans toute l’Europe. Les Européens et les Américains essaient d’entraîner le monde entier dans leurs politiques honteuses. Regardez les actions de l’Occident. En un instant, comme en un claquement de doigts, ils ont commencé à interdire tout ce qui est russe et à encourager la russophobie intérieure. Tout cela montre qu’il s’agit d’un racisme qui, en fait, n’a pas disparu. Il n’est plus latent, mais flagrant. Il est en train de s’imposer. Tout a commencé par des slogans exhortant les Ukrainiens à choisir un camp. Quelques années plus tard, une nouvelle élection a eu lieu. Le gagnant n’était pas le candidat que l’Occident voulait. Et tout a été fait pour soulever un tollé en Ukraine et forcer les fonctionnaires ukrainiens soumis à porter l’affaire devant la Cour constitutionnelle, qui est censée protéger la Constitution. La cour a ordonné un troisième tour d’élections, ce qui n’est pas inscrit dans la Constitution. Elles ont ensuite élu le candidat que les États-Unis souhaitaient.
En décembre 2013, une conversation téléphonique ayant fuité a été publiée entre la sous-secrétaire d’État américaine Victoria Nuland et l’ambassadeur américain en Ukraine Geoffrey Pyatt, qui lui ont indiqué quels politiciens devaient être préparés pour le nouveau gouvernement, bien que les élections aient lieu dans plus d’un an. Ils ont donc admis la possibilité d’un changement de pouvoir inhabituel. Victoria Nuland a cité quelques noms qu’elle jugeait nécessaire d’inclure parmi les dirigeants ukrainiens. Ce à quoi l’ambassadeur américain à Kiev a répondu que l’une des personnes citées n’était pas soutenue par l’UE. Vous vous souvenez de ce qu’elle lui a dit ? « J’emmerde l’UE » (Fuck the EU). C’est ça l’attitude. C’est la vérité. L’attitude est la même maintenant.
L’Allemagne, la France et la Pologne ont fait signer à leurs ministres des Affaires étrangères des garanties sur la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale, qui préparerait des élections anticipées dans cinq à six mois. Lors de ces élections, l’opposition aurait certainement gagné. Au lieu de respecter les accords ou du moins de respecter l’autorité des pays européens qui ont mis leur réputation en jeu, dès le matin (ils n’ont même pas attendu très longtemps), ils se sont emparés du bâtiment administratif et ont annoncé sur la place qu’ils pouvaient être félicités, qu’ils avaient créé un « gouvernement des vainqueurs » (et non d’unité nationale). Il y a une grande différence. Je l’ai constaté à de nombreuses reprises.
Le fait que les États-Unis considèrent la situation actuelle autour de l’Ukraine comme un « étalon » avec lequel mesurer leur capacité à rester un hégémon est évident pour moi. Les États-Unis ont mené leurs mésaventures agressives en Yougoslavie, en Irak, en Libye, ont envahi la Syrie sans aucun droit de le faire et l’Afghanistan. Ils ont déclaré des territoires situés à plus de 10 000 miles des côtes américaines comme zone d’intérêt et ont semé la pagaille partout pour « attraper » le « poisson » américain dans ces « eaux troubles ». Dans le même temps, ils déplaçaient l’OTAN vers l’est.
L’OTAN est une « alliance défensive ». Quand il y avait l’Union soviétique et le Pacte de Varsovie, quand il y avait le mur de Berlin (concret et imaginaire entre les deux blocs), il est clair qu’ils se défendaient, comme ils le pensaient, contre l’Union soviétique et le Pacte de Varsovie prétendument « agressifs ». Mais à l’époque, il n’y avait ni Union soviétique ni Pacte de Varsovie, et ils se défendaient déjà à des centaines et des milliers de kilomètres de cette ligne, ce qui était clair pour tout le monde. Ils ont simplement décidé qu’ils allaient maintenant se défendre ici. Ils ont annoncé que l’OTAN est désormais, en tant qu’alliance défensive, responsable de la sécurité de la région indo-pacifique. C’est la prochaine ligne de défense de l’OTAN, la ligne de défense sera la mer de Chine méridionale. Je n’ai pas le moindre doute à ce sujet. J’en ai parlé dans mes remarques à l’Assemblée générale aujourd’hui.
Je ne m’aventurerai pas à deviner combien de temps cette situation pourrait durer. Le Président Poutine a été interrogé à ce sujet. Il a répondu que nous travaillons pour atteindre les objectifs fixés.
Voir notre dossier sur la situation en Ukraine.
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