Á rien ou pas grand-chose diront ceux qui, se référant à Walter Bagehot, ont à l’esprit la célèbre définition des pouvoirs royaux. Pour le constitutionnaliste du XIXe siècle, le souverain a « le droit d’être informé, le droit d’encourager et le droit de mettre en garde ».
S’il ne s’agissait que de cela et de la distribution d’“ honneurs ” nous n’aurions pas eu ce déferlement politique et médiatique mondial autour d’un personnage, très éminent certes, mais dont les pouvoirs et le rôle vont bien au-delà du triptyque cité ci-dessus.
Chez nous, depuis que les chaînes d’information carburent à plein régime, il n’est question, depuis le décès d’Élisabeth 2, que de portraits hagiographiques, d’éloges de toute nature des royals, jusques et y compris du prince Andrew malgré les énormes turpitudes qu’il a commises. Les chaînes nationales ont emboité le pas, consacrant la moitié (ou plus) de leurs journaux télévisés à des personnages traités en icones, en symboles. Bien sûr, on se souvient des funérailles de Lady Diana, où la reine n’avait pas voulu se rendre jusqu’à ce que le premier ministre Anthony Blair lui explique que son absence aurait, pour elle, des conséquences désastreuses. On se souvient peut-être aussi que, l’année suivant l’enterrement de la princesse, son frère avait voulu organiser une grandiose réplique de l’événement qui lui aurait rapporté beaucoup d’argent. Il essuya un vrai échec pour, selon moi, une raison majeure : malgré sa personnalité réelle, Diana n’était que de l’image. Et dès lors qu’une image n’a plus de support, ne renvoie plus à rien de concret, elle s’évapore. Pour la petite histoire, Diana descendait de deux fils illégitimes de Charles II, Henry Fitzroy, 1er duc de Grafton, et Charles Lennox, 1er duc de Richmond. Le fils de Diana, William, sera le premier monarque descendant de Charles II. Sarah Ferguson (l’ancienne épouse du prince Andrew) était également une descendante d’un des bâtards de Charles. Tout comme Camilla Parker-Bowles (inceste quand tu nous tiens !), ainsi que Samantha Cameron, la femme de l’ancien Premier ministre. À noter que Louise-Renée de Pénancoët de Kéroual (ascendante de Lady Di, qui est donc bretonne, Pénancoët signifiant « bout de bois »), qui – tous les soirs – partagea la couche du roi pendant quinze ans, œuvra comme espionne de Louis XIV à la cour d’Angleterre. Louise-Renée inventa la robe à panier. William, un prochain souverain du Royaume-Uni, sera donc breton !
Mais revenons à la reine. Les Britanniques qui, comme l’ancien footballeur David Beckham, ont fait la queue pendant 12, 15, 20 heures pour s’incliner devant la dépouille d’Élisabeth, éprouvent une réelle et sincère affection (ou plus encore) pour leur souveraine, même ceux qui apprécieraient que leur chef d’État fût élu. On peut dire qu’Élisabeth est, par ses qualités personnelles, son savoir-faire et sa personnalité, devenue plus populaire que la royauté. Le paradoxe est que cette femme, qui est la plus célèbre au monde et qui est l’une des plus riches de la planète, surtout parce qu’elle était formidablement bien née et parce qu’elle a su faire prospérer son magot, aura eu une importance historique dérisoire. En 70 ans de règne, elle influa une seule fois de manière déterminante sur le cours politique des choses. En 1957, le premier ministre conservateur Anthony Eden démissionne pour raisons médicales. Le parti conservateur ne connaît pas alors de procédure rigoureuse pour élire son chef, à part le doigt mouillé dans le vent. Deux personnalités s’imposent : Richard Austen Butler, un modéré qui avait été un grand ministre de l’Éducation nationale après la guerre, et Harold Macmillan, plus conservateur. Il revient à la jeune reine de trancher, avec l’aide de son conseil privé, bien sûr. Elle choisit Macmillan.
Qu’a apporté cette personne respectée, adulée, à la vie de ses “ sujets ” (les Britanniques ne sont pas gênés d’être des “ sujets ”) ? Rien. Que de belles images. Sans parler des embrouilles, souvent sordides, qui ont émaillé la vie de sa famille. C’est dire la puissance de feu de la presse qu’on appelle “ populaire ” outre-Manche et people chez nous. Mais cette presse ne peut prospérer – parfois à des millions d’exemplaires, quotidiennement – que parce qu’elle s’adresse à des esprits dépolitisés, déconscientisés, qui sont en demande de rêve et de superficialité. Et qui n’aspirent, fantasmatiquement parlant, qu’à un perpétuel retour vers le passé. Qu’à un spectacle qui les déconnecte en permanence de la vie et qui, en cette circonstance historique précise, leur fait oublier la hausse calamiteuse des prix, les difficultés dans les entreprises (quand on pense que des travailleurs syndiqués ont arrêtés une grève à la mort de la reine !), l’hiver qui s’annonce froid dans des millions de foyers.
Bien qu’inoxydable, la monarchie est une institution archaïque. Pour tout le monde, sauf pour la classe dirigeante qui se sert plus que jamais des colifichets royaux pour gouverner de manière autoritaire afin de défendre et renforcer ses privilèges. La Révolution française, et d’autres comme la révolution aux États-Unis qui l’avait précédée, ont voulu mettre un terme au principe de l’hérédité (tu es roi parce que tu es fils de roi, tu es juge parce que tu es fils de juge), au droit divin et à ces monstruosités que constituent l’endogamie, la consanguinité. La famille royale britannique fut spécialiste en la matière, avec un fort tropisme à l’est et vers la réaction : l’oncle d’Élisabeth Édouard VIII et sa mère, “ Queen Mum ”, sympathisèrent avec le nazisme.
La génération suivante en a remis une couche. Selon Paris Match, pourtant peu suspect d’anti-windsorisme (11 juin 2020), « Andrew s’est lié avec tout ce que la planète compte de dictateurs et de personnages sulfureux ». Parmi eux, Muammar Khadafi et ses fils, un gendre de l’ex-président tunisien Ben Ali, un marchand d’armes libyen ou des oligarques du Kazakhstan. Envoyé spécial du Royaume-Uni pour développer les relations commerciales partout sur la planète, jusqu’en 2011 et le début du scandale Epstein, Andrew en a aussi profité pour nouer des amitiés financièrement avantageuses sans toujours savoir fixer une limite entre ses missions de représentations et sa vie privée. Et on n’a bien sûr pas oublié la chemise au bandeau nazi portée par le prince Harry, avec l’assentiment de son frère William que la perspective de cette “ farce ” avait bien amusé.
La famille royale britannique est immensément riche. Ceux qui se sont baptisés “ La Firme ” dans les années trente sont à la tête d’un empire d’au moins 20 milliards de livres. Pendant longtemps, la reine n’a pas payé d’impôts, tout en percevant une très confortable Sovereign Grant, une allocation payée par les contribuables. Depuis le départ d’Harry et Meghan aux États-Unis, le nombre des personnes œuvrant pour la firme avait été réduit à huit : la reine, le prince Charles, sa femme Camilla, le prince William et sa femme, la princesse Ann et le prince Edward et son épouse. Exit le prince Andrew, déchu par ailleurs de ses titres militaires pour agression sexuelle sur mineure.
Ce type de famille ne tient que par « la soumission snob, l’admiration de la richesse et du rang, les survivances corrompues des inégalités du féodalisme ». Cette analyse est de John Atkinson Hobson, critique de l’impérialisme britannique qui inspira Lénine dans la rédaction de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Á partir de là, tout est possible parce que tout est permis. Ainsi en 1966, à Aberfan, au Pays de Galles, l’écroulement d’un terril causa la mort de 144 personnes, dont une bonne centaine d’enfants. La reine y dépêcha son mari et son beau-frère Lord Snowdon. Mais il lui fallut une semaine, après toutes sortes de supplications, pour qu’elle se rende sur les lieux de cette catastrophe. Des âmes charitables dirent qu’elle ne voulait être associée qu’à des événements positifs et non négatifs. Certainement, oui…
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