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Depuis 2001, tous les 11 septembre chacun se remémore la façon dont il a appris l’attaque et l’effondrement des Twin Towers, symbole de l’événement méta historique qu’était cette attaque terroriste de l’Amérique. Pour ma part, c’est la mémoire du moment où j’ai appris en cette fin d’après-midi du 11 septembre 1973 le coup d’État de Pinochet au Chili, qui me vient d’abord à l’esprit. Non que la tragédie américaine ne m’ait pas secoué, mais « l’autre 11 septembre » s’il n’a pas bouleversé la face du monde a finalement changé ma vie. Je me souviens de cette fascination de jeunesse pour l’Amérique latine. De ces images de la mort de Guevara. De la libération de Régis Debray. Du romantisme de nos 20 ans. Je me souviens de la fête de l’Huma en septembre 1973 et des Quilapayun sur la grande scène. « El pueblo unido jamás sera vincido ». Tu parles ! Je me souviens du moment où j’ai appris à la radio le coup d’État et la mort d’Allende. Je me souviens de la manifestation « des forces de gauche », avenue de la Tour-Maubourg devant l’ambassade du Chili. Des visages ravagés, de ce cortège qui se savait funèbre. Je me souviens de ce meeting à la Mutualité où Krivine et ses amis, toujours réalistes, réclamaient des « brigades internationales pour le Chili » !
C’est à ce moment que pour moi, face à l’urgence, le travail de solidarité avec l’Amérique latine a pris une grande importance dans mon existence. Et m’a conduit à des prises de responsabilités pour accomplir un travail qui s’est déroulé dans la terrible période des années 70 et 80, où les dictatures installées et soutenues par les États-Unis se sont permis le pire.
De façon assez curieuse, et les réactions à la guerre en Ukraine en sont le symbole, c’est aujourd’hui le comportement des États-Unis depuis 20 ans qui est pointé. Il y a ceux qui dénoncent son cortège de guerres criminelles, de violences, de violations permanentes du droit international, et d’arbitraire. Sans oublier cette stratégie de sanctions qui n’est que la forme moderne de la politique de la canonnière. Le tout accompagné d’un terrible bilan humain. Il y a bien sûr en tête la Russie et la Chine et d’autres encore qui ne veulent plus de ce monde dominé par les États-Unis. Mais aussi en Occident ceux qui s’opposent à la servilité suicidaire des élites européennes dont la guerre actuelle vient de fournir consternante démonstration. En face, tous les petits télégraphistes de l’Empire rivalisent de mauvaise foi et de mensonge pour occulter, nier, ou minorer. Alors de part et d’autre, on condamne ou on justifie. Les bombardements de la Serbie, le détachement du Kosovo, l’agression criminelle de l’Irak, l’intervention en Syrie, la destruction de la Libye, la guerre de 20 ans en Afghanistan, les ingérences des « révolutions de couleur », Guantanamo, les prisons secrètes de la CIA sous-traitée à des alliés sans honneur, d’une certaine façon, tout ceci est sur la table. Certes les médias-système occidentaux verrouillent l’expression et déversent leur propagande à base d’occultation des crimes. Mais, une presse numérique dissidente et les réseaux permettent quand même l’expression de ceux qui refusent un monde unipolaire dominé par l’arbitraire d’un gendarme autoproclamé et sans scrupule.
Mais ce qui est curieux, c’est que la critique ou la défense du comportement des États-Unis porte uniquement sur la période qui a suivi la fin de la guerre froide. Comme si c’était la chute de l’Union soviétique, le sentiment de la victoire qui avait provoqué ces 25 ans de débordement. Et c’est là où on revient au 11 septembre 1973. Sur l’instauration brutale d’une dictature féroce et massacrante organisée par les États-Unis et confiée à des militaires amis corrompus. Les États-Unis ont toujours considéré l’Amérique latine comme leur « arrière-cour » où ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Ils sont intervenus directement ou indirectement des dizaines de fois, ont organisé des coups d’État sanglants à plusieurs reprises, et toujours appuyé les pires tortionnaires. « Ce sont des fils de putes, mais ce sont nos fils de putes » disaient-ils régulièrement, parfois sans même s’en cacher. La moindre tentative d’une réforme sociale susceptible d’écorner les intérêts des sociétés américaines se livrant au pillage de ces pays, valait coup d’État militaire et passeport pour les exécutions, les disparitions, la torture, et les escadrons de la mort. J’ai connu personnellement les années de plomb au Chili, Brésil, Paraguay, Guatemala, Salvador, mais mon expérience la pire fut celle l’Argentine. Dans ce pays, les militaires soutenus par les États-Unis avaient mis en place un système à base d’arrestations et d’enlèvements qui conduisaient directement les malheureux sur qui cela tombait, souvent de façon complètement arbitraire, dans les centres de torture dont ils ne sortaient que pour être exécutés. Les enfants des malheureux étaient enlevés et confiés secrètement à des familles de militaires qui ne pouvaient en avoir. Terrible et impardonnable bilan que ces dizaines de milliers de disparus, de torturés et d’exécutés, parmi lesquels j’ai perdu quelques amis.
Alors on va me répondre qu’il s’agissait de soutien à des dictatures qui défendent leurs intérêts mais pas de guerres ouvertes comme ils les déclenchent depuis la chute de l’Union soviétique qui ne peut plus servir de contrepoids. Mais pas du tout ! Depuis 1950, les États-Unis ont mené plusieurs guerres. Il y eut par exemple la guerre de Corée, qui fut incontestablement déclenchée par l’agression du Nord de Kim Il Sung. Muni d’un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU car les soviétiques avait appliqué la politique de la chaise vide (!) et sous commandement du proconsul américain au Japon Douglas MacArthur, les troupes américaines avaient repoussé les troupes nord-coréennes sur la ligne de démarcation issue de la Deuxième Guerre mondiale. Imaginant aller au-delà du mandat onusien, les Américains décidèrent d’envahir le Nord et de pousser jusqu’à la frontière de la Chine et créer quelques problèmes à Mao qui venait de remporter la guerre civile et de proclamer la République populaire. Voyant le danger, les Chinois intervinrent et firent subir aux troupes du présomptueux MacArthur une cuisante défaite au « déversoir de Chosin ». Mortifié, ledit MacArthur proposa alors d’atomiser un certain nombre de villes chinoises ! Les Soviétiques qui venaient d’acquérir la bombe atomique firent savoir que ce n’était pas nécessairement une bonne idée, et Harry Truman finalement assez raisonnable limogea l’excité et on n’en parla plus. En revanche pour marquer le coup, et pour compenser la défaite humiliante, les Américains ont bombardé pendant plusieurs années et sans relâche la Corée du Nord qu’ils ont détruite de fond en comble. Provoquant la mort de centaines de milliers de civils, et jetant les survivants dans une misère noire. Kim Il Sung quant à lui mourut bien plus tard dans son lit. Il y eut ensuite, on se le rappelle un peu mieux, la guerre du Vietnam ou les Américains prirent le relais des Français battus par les Vietnamiens sous la direction d’Ho Chi Minh qui n’avait déclaré la guerre à personne et simplement proclamé l’indépendance de son pays en 1945. S’ensuivit 30 ans d’une guerre, où les Américains intervinrent d’abord pour refuser l’application des accords de Genève signés par la France en 1954 et imposèrent ensuite à ce malheureux peuple un conflit meurtrier. Ils ont déversé sur un pays pourtant petit, plus que tous les explosifs utilisés pendant la deuxième guerre mondiale sur tous les théâtres d’opérations. Sans compter bien sûr les régions entières qu’ils ont empoisonnées avec « l’agent orange », où les habitants payent encore aujourd’hui leur absence de scrupules. Là aussi, ils subirent une défaite piteuse laissant derrière eux une nation bouleversée et exsangue. Et à la liste de ces interventions militaires antérieures à la chute de l’Union soviétique, on peut ajouter Saint-Domingue, la Grenade, Panama, pays où sans mandat, en violation du droit international, les États-Unis armés de leurs sentiments d’exceptionnalité et d’inculpabilité, considèrent qu’ils ont le droit de bombarder, de débarquer, et d’y massacrer des civils.
Alors oui, le 11 septembre 2001 est une affreuse attaque terroriste qui a provoqué la mort de 3000 innocents. Et le propos, lorsque l’on souligne les brigandages que les États-Unis s’autorisent, n’est absolument pas de dire que ceci compense cela. Simplement de répondre à ce journaliste atlantiste fanatique qui prétend que les 11 septembre de chaque année, nous devons nous sentir « tous américains ».
Pour ma part je me sens chilien.
source : Vu du Droit
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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