‘Ukrisis’ bascule : c’est l’OTAN contre la Russie
• Sans prétendre donner une vision claire des derniers événements militaires (dans la région de Kharkov), avec une défaite et un repli russe suivis d’une stabilisation dans des combats intenses, un facteur essentiel est mis à jour. • Il y a désormais une intervention importante des pays de l’OTAN, USA en tête, au-delà des seuls armements. • Pour le président russe Poutine, voici venu le temps de la décision : passer du stade de l’‘Opération Militaire Spéciale’ à celui de la guerre avec tous les moyens nécessaires. • Sa position intérieure en dépend.
Après deux semaines de “contre-offensives” ukrainiennes, dans la région de Kherson puis, surtout, dans la région de Kharkov, les données essentielles d’‘Ukrisis’ sont bouleversées. Dans la seconde opération, les Russes ont connu des revers significatifs qui amènent évidemment à des réactions sur le terrain, à des jubilations du côté OTAN/USA, à une mobilisation du côté russe, après le constat d’un affaiblissement notable de la posture des forces ayant conduit à ce revers.
Zelenski et les ‘midterms’
Il y a du côté ukrainien, une montée évidente vers un changement de format qui fait qu’on ne peut plus parler, justement, de “côté ukrainien” mais plutôt de “côté de l’OTAN” (et si l’on veut faire-court, de “côté US”). Ce point absolument fondamental est indirectement confirmé, notamment par des déclarations sans ambiguïtés de deux personnalités impliquées dans la bataille.
La première est de Zelenski, parlant à CNN. Elle n’est pas nouvelle sur le fond mais, à la lumière de ce qui a été constaté de présence otanienne/américaniste dans la contre-offensive de Kharkov, elle prend une dimension nouvelle. Zelenski dit à nouveau que la capacité de combat et de combattre de l’Ukraine dépend de l’aide des USA, et l’on peut donc désormais conclure que ce sont les USA qui se battent contre la Russie (que ce soit le sempiternel et glorieux “jusqu’aux derniers Ukrainiens” ne change rien à la différence d’interprétation, d’autant qu’il y a désormais un nombre non négligeables d’opérateurs OTAN/US sur le terrain, y compris dans les combats).
… Et l’on n’est pas sans remarquer que Zelenski a été mis au courant : les élections midterms aux USA, le 8 novembre, joueront un rôle dans l’engagement US ; et il s’agit d’un point d’une particulière importance qui nous renvoie à l’importance que nous accordons constamment à la crise interne du système de l’américanisme.
« L’Ukraine pourrait être vaincue dans son conflit militaire avec la Russie sans l'aide financière et militaire continue des États-Unis, a déclaré son président Vladimir Zelenski à CNN. Il répondait à une question sur l'impact que la politique intérieure américaine pourrait avoir sur son pays, lors d'une interview diffusée dimanche, mais enregistrée à Kiev au cours de la semaine dernière.
» “Je suis reconnaissant au président Biden et à la Maison Blanche, ainsi qu'au soutien bipartisan”, a déclaré Zelenski à Fareed Zakaria de CNN. “Sans ce soutien, nous ne serons pas en mesure de reprendre nos terres”.
» “Je veux croire que le soutien bipartisan restera fort et inébranlable. Pour nous, c'est extrêmement important”, a ajouté M. Zelensky, répondant à l'affirmation de M. Zakaria selon laquelle une victoire des Républicains lors des élections de mi-mandat en novembre entraînerait une diminution du soutien des États-Unis à l'Ukraine. »
La seconde déclaration est du sénateur Mark Warner, un démocrate parmi les plus bellicistes de l’establishment d’un parti qui s’est toujours illustré dans l’histoire, à la fois d’être à gauche et de lancer d’innombrables guerres typiquement américanistes pour établir une paix juste-démocratique, – sauf pendant la période Bush-junior 2001-2009, où ils (les démocrates-Système) se montrèrent un peu déconfits et frustrés de n’être pas les initiateurs de l’Afghanistan, de l’Irak et du reste.
Ici, Warner s’emporte de satisfaction du soutien US apporté à l’Ukraine, s’arrêtant de justesse de donner trop de quelques-unes des précisions que l’on trouve dans le texte de ‘SouthFront.org’, repris ci-dessous.
« Le soutien actif des États-Unis et de leurs alliés de l'OTAN, – ainsi que le partage de renseignements entre Washington, Londres et Kiev, – ont permis aux troupes ukrainiennes de réaliser des “gains importants” lors de leur contre-offensive dans la région de Kharkov, a déclaré le sénateur Mark Warner sur CNN dimanche.
» “Ce type de collaboration montre la force de nos renseignements militaires combinés”, a déclaré M. Warner, qui est à la tête de la commission du renseignement du Sénat américain, ajoutant que les services de renseignement américains et britanniques “travaillent avec les Ukrainiens”. Le sénateur n’a toutefois fourni aucun détail sur la nature de ces “collaborations”.
» Warner a également salué ce qu’il a appelé “l'énorme soutien des États-Unis et de nos alliés de l'OTAN” qui “s'assurent” que Kiev obtienne l'équipement militaire dont les troupes ukrainiennes ont “besoin”. »
Le côté russe et ses choix nécessaires
Il y a, du côté russe, une crise réelle pour déterminer la suite des opérations, et, surtout, le ‘format’ de l’OMS (‘Opération Militaire Spéciale’), qui ne peut plus en rester au niveau d’une simple OMS justement, si la Russie veut prétendre l’emporter sur un adversaire qui se nomme désormais OTAN-Ukraine. Nous pensons que, dans la multitude d’interventions dans la presse qui compte, indépendante, et très présente dans les milieux anglo-saxons et associés, celles des vidéos du tandem Alexander Mercouris-Alex Christoforou, sur ‘The Duran.com’, peuvent être privilégiées pour cette séquence ; elles sont extrêmement bien informés, mesurées, éclairantes…
Ici, nous recommandons la vidéo du 12 septembre, sous le titre de « Upgrading the Special Military Operation ». (A noter que ces vidéos donnent en sous-titre une transcription automatique des conversations, ce qui, malgré la pseudo-orthographe, facilite la tâche d’une oreille peu habituée à la compréhension directe et sans hésitation de l’anglais parlé, malgré la superbe diction de Mercouris.)
Les points principaux du tandem sont les suivants :
• Alors que la population russe pouvait être considérée comme initialement assez hésitante à propos de l’OMS lancée le 24 février, comprenant assez peu ses buts et surtout sa cause profonde, elle a fortement évolué et considère désormais ce conflit comme “existentiel” pour la Russie.
• Le paradoxe est que ce caractère d’existentatialité fut mis en évidence par Poutine dès le début, qu’il en a donc convaincu la population, et qu’il se trouve aujourd’hui dans une position délicate, à la suite du revers de Kharkov, parce que susceptible d’être critiqué pour n’avoir pas jusqu’ici permis à l’armée russe d’utiliser plus de moyens alors qu’il s’agit d’une lutte existentielle. Pour Mercouris-Christoforou, s’il devait y avoir un second revers, par exemple vers Marioupol, ce serait la position même de Poutine à la direction russe qui serait menacée. (Bien entendu, cela correspond à l’évidence que le “monstre-Poutine”, loin d’être un extrémiste comme l’on se targue de l’avoir découvert dans nos salons-Système, est plutôt un centriste qui ne parvient pas, malgré ses affirmations, à complètement abandonner tout espoir d’arrangement, notamment avec l’Europe.)
• S’ils veulent l’emporter, ou dans tous les cas ne pas subir de défaites, les Russes doivent impérativement changer les règles de contrainte de l’OMS, faites pour radicalement épargner les dégâts collatéraux et les pertes civiles mais qui ont évidemment pour effet d’obliger l’armée russe à se battre « avec les deux mains liées derrière le dos » (Christoforou). Mercouris dit notamment ceci :
« Un point essentiel, c’est de comprendre que la Russie a tous les moyens nécessaires pour renverser complètement la tendance actuelle, elle n’a nul besoin de mobiliser son industrie, ni ses réserves, ni la population civile. Elle a tous les moyens nécessaires, elle a de prodigieuses capacités, comme celle de produire des missiles dans un nombre qui a stupéfié l’Occident. Ce qu’il faut, c’est que la Russie lève les contraintes qu’elle s’impose à elle-même, qu’elle impose à son armée… Bien entendu les Russes et Poutine particulièrement considèrent les Ukrainiens comme des Russes, et c’est la cause de ces contraintes… Mais vous comprenez… Abraham Lincoln aussi considéraient les Sudistes comme des Américains, – et ils seraient considérés à nouveau comme des Américains après la guerre, – mais en attendant il fallait gagner la guerre… »
Le facteur Kadyrov
Une autre indication importante du climat en Russie, à la fois symboliquement et opérationnellement, et même politiquement, est la position du président de la république russe de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, une personnalité de poids, influente (il est écouté de Poutine) et qui participe intensément à ‘Ukrisis’, affichant aussi bien son identité russe que sa religion musulmane. Bien entendu, Kadyrov est détesté et dénoncé comme ‘fasciste’, ‘dictateur’, ‘suppôt de Poutine’, ‘terroriste et boucher’, etc., par les salons et la presseSystème, – une bonne indication de ce qu’on peut juger de lui. Les Tchétchènes sont des combattants redoutables, particulièrement aptes à l’intervention dans les “guerres hybrides”.
Kadyrov a fait dimanche un discours devant un rassemblement martial de plus de 3 000 soldats tchétchènes nouvellement formés, en uniformes de combat, avec leurs équipements de combat et de transport blindés : 3 bataillons d’un peu plus de 500 hommes chacun et un régiment de forces spéciales de 1 500 hommes. Il s’agit de nouvelles forces qui vont être immédiatement engagées en Ukraine, avec plusieurs milliers d’autres en train d’être rassemblés (Kadyrov estime qu’il peut rassembler jusqu’à 10 000 hommes pour l’Ukraine).
RT.com donne quelques extraits de l’intervention de Kadyrov, qu’on peut retrouver complète, notamment sur le site d’Erwan Castel, qui le définit selon « sa fidélité totale sans courtisanisme au président Poutine mais aussi une liberté de penser sans autosuggestion » :
« Ces derniers jours, l'armée russe s’est retirée de plusieurs positions de la région à la suite d'une offensive massive lancée par Kiev. Ses chefs ont commis quelques “erreurs”, a déclaré Kadyrov, exprimant l’espoir qu’“ils tireront les conclusions nécessaires”.
» “Le ministère de la Défense a clarifié la situation, à cause de laquelle ils ont quitté les villes d'Izyum, Kupyansk, Balakleya dans la région de Kharkov. C’était une mesure forcée d’une stratégie visant à [éviter] les pertes en vies humaines”.
» Le leader tchétchène a ensuite promis de “récupérer toutes ces villes”, ajoutant de manière énigmatique que “nos hommes, qui ont été spécialement formés pour cette tâche, sont déjà sur place”. Il a ajouté que “dans un avenir proche, nous atteindrons [la ville portuaire du sud-ouest] Odessa et vous verrez des résultats concrets”.
» Dans le même temps, il a demandé que des changements soient apportés à la “stratégie” russe dans l'opération en cours. “Si aujourd'hui ou demain aucun changement de stratégie n'est effectué, je serai obligé de parler avec la direction du ministère de la Défense et la direction du pays pour leur expliquer la véritable situation sur le terrain. C'est une situation très intéressante. Je dirais même qu'elle est stupéfiante”. »
Paysage de la bataille
Pour terminer, nous emprunterons un texte assez court mais très factuel, sur les événements opérationnels de ces derniers jours, du revers de Kharkov. Le texte est du site ‘SouthFront.org’, qui est un site clairement antiSystème et donc nettement prorusse, mais certainement avec une indépendance affirmée. On en veut pour preuve cette observation du ‘SakerUS’, par définition prorusse, que nous rapportions le 4 mars 2022 :
« Alors que je n’ai jamais eu d'illusions sur ‘CounterPunch’ ou Cockburn, les articles de SouthFront sur la guerre me laissent sans voix. Je ne sais pas s’ils adhèrent vraiment à la ‘narrative’ ou s’ils ont été mis sous pression par quelqu'un. Peut-être sont-ils sincèrement des civils désemparés qui ne comprennent pas les cartes, je ne sais pas. »
Qu’importe, l’essentiel est que, sur la durée, selon une fréquentation assez régulière, on voit que ce site se montre mesuré tout en conservant son orientation antiSystème, extrêmement bien informé, référence évidente pour une démarche éclairée (il était une référence favorite du colonel Lang sur la Syrie, du temps où Lang n’était pas devenu ce qu’il est depuis le 24 février).
Voici donc le texte de ‘SouthFront.org’, du 12 septembre ; on notera les divers détails du soutien et de la présence US/OTAN se terminant par une conclusion sans appel :
« L'opération offensive des forces armées ukrainiennes et de l'OTAN dans la région de Kharkov a été planifiée par le commandement militaire américain. Environ 200 unités de véhicules militaires lourds et jusqu'à 9 000 soldats ont participé à l'offensive. Selon les rapports, un soldat sur trois opérant sous le chevron ukrainien était un citoyen d'un État membre de l'OTAN. Ces forces étaient 4 à 5 fois supérieures aux unités de la DPR, de la LPR et de la Russie qui défendaient leurs positions dans la région.
» L'objectif principal de l'offensive ukrainienne était une attaque de flanc, l'encerclement puis la destruction du groupement russe dans la région de Balakleya, Kupyansk et Izyum.
» Le commandement russe avait prévu l'attaque par d’importantes forces de l’Ukraine et de l’OTAN dans cette direction. Il était conscient qu’il serait extrêmement difficile de contenir l’offensive de l'ennemi avec les forces dont il disposait. Il était également presque impossible de transférer en temps voulu des renforts suffisants sans affaiblir d'autres zones sur d’autres lignes de front.
» Évaluant les risques, les militaires russes ont décidé de laisser les positions faiblement fortifiées et de retirer des troupes vers de nouvelles lignes et de redresser les lignes de communication.
» Avant le début de l’offensive ukrainienne, les civils qui ont accepté de se déplacer sur le territoire de la Fédération de Russie ont été évacués des localités menacées.
» Du 6 au 11 septembre, les unités russes se sont retirées de manière organisée sous la couverture d’unités spécialement organisées. En utilisant des tactiques de défense mobile, les militaires russes ont détruit le plan de Kiev et de l’OTAN visant à encercler le groupement russe.
» Dans le même temps, les militaires russes ont commis des erreurs évidentes. La zone située devant les positions avancées n'a pas été minée. Les unités de la ligne de front n’avaient de facto pas plus de 30% du personnel militaire indiqué. Les soldats n’étaient pas correctement équipés en armes antichars. Les services de renseignement de première ligne ont également été défaillants. En conséquence, la couverture d’artillerie du retrait a été inefficace dans les premiers jours de l’offensive ukrainienne.
» Aujourd'hui, le 12 septembre, les troupes russes se sont retirées vers de nouvelles positions le long de la rive orientale de la rivière Oskol avec des pertes minimales. Pendant ce temps, les deux parties confirment que les unités ukrainiennes et de l’OTAN ont subi des pertes importantes en termes d’effectifs.
» La quasi-totalité du territoire de la région de Kharkov est passée sous le contrôle de Kiev avec des dommages minimes aux infrastructures des villes. Immédiatement après avoir pris le contrôle des localités, les militaires ukrainiens ont commencé à réprimer la population pro-russe, violant ainsi la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. Les premiers cas d’exécutions ont déjà été signalés.
» D’importantes réserves russes sont transférées sur les champs de bataille. La localité de Krasny Liman, stratégiquement importante, n’a pas encore été prise par l'armée ukrainienne. Les combats se poursuivent.
» La nuit dernière [nuit du 11 septembre], des frappes de missiles ont touché les plus grandes installations électriques de l’est de l'Ukraine. L’effondrement du système électrique a touché les réseaux des régions de Kharkiv, Sumy, Dnipropetrovsk, Zaporozhye, Odessa, Donetsk et Kiev. Jusqu’à présent, l’alimentation électrique n’a pas encore été entièrement rétablie.
» Le conflit armé dans l'est de l'Ukraine s’est finalement transformé en un état de guerre entre la Russie et l’OTAN, avec des résultats imprévisibles pour toutes les parties au conflit. »
… Cette “conclusion sans appel” est bien ce dernier paragraphe qui est particulièrement intrigant et hollywoodien type-Rambo, bien dans leur manière, lorsqu’on sait que les plans US de départ, largement déclamés et acclamés avec des clins d’yeux malicieux, était de faire durer la guerre le plus longtemps possible (par Ukrainiens interposés) pour “épuiser la Russie” (ou “mettre la Russie à genoux”, au choix) :
« Le conflit armé dans l'est de l'Ukraine s'est finalement transformé en un état de guerre entre la Russie et l'OTAN, avec des résultats imprévisibles pour toutes les parties au conflit. »
Il semble donc que les hommes de l’Ouest n’ait pas résisté à la nécessité ni à la tentation de prendre de plus en plus les choses en mains… Avec une éclatante discrétion et une habileté qui se mesure en tonnes et en $milliards : si l’Ukraine gagne (mais oui, mais oui, c’est possible puisque BHL le dit, précisant de très-bonne source que « l’armée russe est en débandade »), ce sera grâce à leur brio ; si elle perd, ce sera à cause des Ukrainiens, ces sous-hommes venus des steppes. Deux hypothèses pour expliquer cette accélération des délais démocratiques, qui peuvent se compléter parfaitement d’ailleurs :
• La perspective qu’au lieu de “mettre la Russie à genoux”, la guerre mette le bloc-BAO “à genoux”, grâce au festival étourdissant et brillantissime des contre-effets dans le bloc-BAO, du fait des judicieuses sanctions décidées par le bloc-BAO ;
• L’ivresse de gens si contents d’eux-mêmes, qu’ils ne résisteraient pas à la tentation de montrer leurs exceptionnelles capacités aux sous-hommes venus des steppes (des Russes, c’est-à-dire).
Vraiment, les deux se complètent, comme l’arrogance de la bêtise et la bêtise de l’arrogance, – comme Bouvard & Pécuchet.
Mis en ligne le 13 septembre 2022 à 13H55
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org