Il y a quelques jours est paru sur le site d’information Le Grand Soir un article écrit par l’un des ses administrateurs qui réagissait aux récentes affiches du Planning Familial sur lesquels on voit notamment un couple transgenre surmonté du message suivant : « Au Planning Familial, on sait que des hommes aussi peuvent être enceints ». Il n’est pas étonnant que des réactions outrées soient venues de nombreux médias d’extrême-droite, c’est dans leur ADN. Il l’est en revanche bien plus d’un site d’extrême-gauche qui devrait davantage faire preuve d’humanisme et de capacité d’analyse que d’une réponse épidermique sans prise de recul.
Honnêtement, je préfèrerais parler d’autre chose que de la sexualité des autres, et encore moins me mêler de leur genre. Et je m’excuse par avance des erreurs factuelles que je pourrais commettre et surtout d’avoir à entrer dans des détails qui devraient rester l’intimité de chacun et chacune.
La présidente du Planning Familial a répondu à cette polémique en disant que, loin d’être ce changement de société que beaucoup semblent craindre avec répugnance, l’affiche en question était juste une tentative de dire aux personnes transgenres qui en ressentent le besoin qu’elles sont elles aussi bienvenues au Planning Familial.
Mais non. Il faut que la gauche rejoigne les idées rétrogrades de la droite et des culs-bénits de toute religion en usant de procédés pour le moins bas-de-plafond tels que des références au bon vieux temps des années 50, cet âge d’or où Gabin, icône d’une virilité débridée, pouvait dans ses films claquer des mandales sur le museau de pépés pleurnichardes, où les pédés et les travelos vivaient cachés dans la peur et où ceux qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas dissimuler leur être véritable se faisaient insulter, brutaliser et même assassiner. Cette gauche qui aujourd’hui soutient les femmes saoudiennes se révoltant contre un patriarcat implacable mais qui continue de regarder ailleurs voire qui ricane avec la droite de personnes qui souffrent parce qu’en France, malgré tout, on les préfère toujours invisibles et muettes.
La transidentité est aujourd’hui la nouvelle frontière de tolérance qu’apparemment certaines personnes de la gauche même la plus radicale ont du mal à traverser. Il ne fait aucun doute que ce fut aussi le cas de l’homosexualité ou du droit à l’avortement voire d’autres luttes pour l’émancipation des femmes.
C’est quoi la transidentité, d’abord ? « Transexualité », c’est sûrement le vocable sous laquelle elle est le plus connue du grand nombre, mais les mots et les concepts évoluant plus vite que les mentalités, celui-ci est aujourd’hui rejeté par les personnes transgenres car pour elles, il n’est pas question de sexualité mais d’identité de genre.
Quand l’homosexualité, universelle et présente à des taux identiques dans toutes les sociétés humaines, est l’attirance amoureuse et sexuelle pour le même sexe, la transidentité, elle, est le rejet par l’individu de l’identité sexuelle qu’il s’est vu attribuer à la naissance. Je renvoie aux travaux du biologiste Jacques Balthazart sur l’origine biologique de l’homosexualité et à l’intersexuation qui résulte de dysfonctionnements hormonaux ou chromosomiques au niveau embryonnaire conduisant parfois des parents et des médecins à mettre en oeuvre des traitements non consentis, dans le désir de bien faire mais l’ignorance des conséquences ultérieures qu’un mauvais choix pourrait avoir sur l’enfant, l’adolescent ou l’adulte concerné.
Comme on peut naître avec une attirance toute naturelle pour le même sexe, on peut naître garçon en se sentant fille, on peut naître fille en se sentant garçon.
La transidentité et l’homosexualité ont été et sont tolérées, acceptées à des degrés divers dans les sociétés humaines, pour certaines disparues aujourd’hui, et cette tolérance n’a jamais été proportionnelle au niveau de développement technologique. Les Amérindiens étaient bien plus tolérants que nous le sommes aujourd’hui et ils distinguaient plus de deux genres. J’ai vécu plusieurs années en Mélanésie où les jeunes hommes entretiennent des relations qui s’apparentent à de l’homosexualité et leur féminité n’y est jamais stigmatisée, moquée ou considérée comme déviante par le reste de la communauté.
Dans nos sociétés modernes et technologiquement développées, il y a une solution qui s’offre à des jeunes en souffrance en raison de l’inadéquation qu’ils vivent entre leur sexe de naissance et le genre auquel ils s’identifient : transitionner.
Le changement de sexe, par la prise d’hormones mâles ou femelles et par des opérations chirurgicales, procédure rare il y a encore 20 ans, a tendance à se démocratiser, à l’instar de la chirurgie esthétique, et devient un projet de plus en plus précocement envisagé, parfois dès l’adolescence. Changer de sexe pour le mettre en adéquation avec son genre. C’est une procédure longue et complexe mais qui est entourée médicalement et psychologiquement. Ce n’est pas forcément la partie la plus difficile, mais j’y reviendrai.
Examinons d’abord cette fameuse affiche.
On y voit le dessin d’un couple assis sur le canapé de ce qu’on comprend être la salle d’attente du Planning Familial. Évidemment, pour la majorité d’entre nous, même en 2022, ce couple est pour le moins… inhabituel. C’est une réaction très naturelle. Quelques secondes de réflexion et de lecture suffisent pourtant à comprendre qu’il s’agit d’un couple transgenre. À gauche, une femme aux cheveux longs mais portant barbe, à droite son conjoint, mal rasé et cheveux courts, avec ce qu’on pourrait croire être une bedaine si ce n’était la tendresse avec laquelle les deux la recouvrent de leurs mains qui nous fait comprendre que c’est un heureux évènement à venir. On comprend évidemment pourquoi ce genre de représentation va donner de l’urticaire et des cauchemars à la droite et à l’extrême-droite réactionnaire et catho pur jus. Un couple transgenre et mixte… l’horreur absolue ! Des fois, force est d’admettre que le camp « progressiste » doit certainement prendre un malin plaisir à faire bouillir celui d’en face… Vu l’attention que le couple semble porter au ventre rond de la personne enceinte, on peut en conclure que le couple ne vient pas pour un avortement, mais plutôt pour une consultation gynécologique, ce qui est une des prestations offertes par le Planning Familial.
Pour l’analyse, le recul nécessaire à la compréhension de cette affiche en lieu et place de toute réaction pavlovienne de boomer réac, on va aller au plus simple.
À gauche, c’est une femme transgenre, c’est-à-dire un homme qui a transitionné, changé de sexe. La barbe est caricaturale, rhétorique en quelque sorte, et nous aide à comprendre. Dans la réalité, une femme transgenre se débarrasse de ces attributs mâles, en général. Le lanceur d’alerte Chelsea Manning et les soeurs Wachowski sont des femmes transgenres.
À droite, c’est un homme transgenre, c’est-à-dire une femme qui a transitionné, changé de sexe. Ici, c’est la grossesse qui nous le dit, car comme l’ont fait savoir, ou du moins ont cru devoir nécessaire de nous le rappeler les zélateurs de la norme, un homme, un vrai, « ne peut pas être enceint »… Est-ce que tout le monde se lève vraiment pour Danette ? Est-ce que quand on mange un Mars, ça repart ? Est-ce que la SNCF, c’est vraiment possible ? Je vous le demande…
Lorsqu’une femme décide de transitionner, elle procède par phases : la plus « simple » étant la prise de testostérone et l’ablation des seins. Ça, c’est la base : se débarrasser de ses attributs féminins les plus visibles et prendre aussi vite que possible ceux des hommes, ergo système pileux et voix de basse. Je ne sais pas (et je m’en fous) combien décident de procéder à l’ablation de l’utérus, du vagin et à une phalloplastie, ce que je sais, c’est que ce n’est probablement pas le cas de tous. C’est une procédure plus compliquée d’un point de vue chirurgical, plus chère et plus dure à surmonter pour le corps. Ceux qui ne s’y soumettent pas conservent donc en eux le pouvoir de procréer.
Alors oui, ces hommes-là peuvent être enceints. Il suffit d’une recherche en ligne pour s’en assurer.
Une dernière chose sur laquelle j’avais dit vouloir revenir : la transition physiologique est sans nul doute la partie la plus douloureuse pour le corps, mais elle n’est pas la plus complexe et la plus pénible pour l’âme. La transidentité, c’est aussi le changement de l’identité pour l’État civil et pour l’entourage. Je ne sais pas si aujourd’hui les choses sont devenues plus simples d’un point de vue administratif, mais pour les autres, les proches, c’est long, foutrement long, et parfois cela nécessite un bouton reset qui en laissera un paquet sur le bord de la route.
Voilà. Il m’a fallu quelques lignes pour expliquer l’affiche. Naturellement, je n’attends pas de l’extrême-droite et de la droite en général une telle capacité d’analyse. Ce n’est pas en battant un âne qu’on en fait un cheval.
Quant à utiliser la caution de deux féministes, dont l’une est une ancienne FEMEN aux opinions transphobes, cela ne sert à rien d ’autre qu’à démontrer aussi leur ignorance. Il suffit juste de dire qu’elles ne représentent qu’elles-mêmes et pas le féminisme.
Ce texte n’entend en rien résoudre ou solder les problèmes liés à l’inclusion des personnes transgenres notamment dans le domaine des compétitions sportives dans lequel il ne fait aucun doute que les tendances excessives du progressisme conduisent à des initiatives malheureuses à mon humble avis. Seuls l’union du politique et du législatif produira des solutions acceptables pour tous et toutes.
Je précise que mon vécu personnel n’est pas étranger à ce que je pense, à ma réaction et à ce texte. Je suis content de l’avoir écrit, pour mon enfant, pour mes amis et les enfants de mes amis. On n’est pas à l’abri d’avoir près de soi une personne qui souffre en silence. Je ne cherche pas à convaincre ou à éduquer. Et surtout pas à promouvoir. Juste à informer.
Je terminerai sur une petite anecdote, authentique. Celle-ci n’ajoute rien d’autre à mes propos qu’une légèreté de ton.
Début 2019, quelques jours avant le début de la crise du covid, j’étais entre deux boulots et un couple d’amis irlandais, cisgenre et tout, hein, je le dis au cas où, me proposa, moyennant rémunération, de leur donner un coup de main à la réfection de la ferme aveyronnaise dont ils avaient à s’occuper pour le compte de riches Anglais. Au même moment, une équipe réduite de tournage, relation amicale des susdits bourgeois, vint s’installer dans une aile de la ferme afin de procéder à l’écriture de leur prochain film.
Le covid advint suivi du premier confinement. Je me mis alors un peu en mode hors-la-loi, car même muni de la fameuse attestation mais travaillant au noir, je ne faisais pas partie des personnes autorisées à se déplacer librement pour se rendre sur leur lieu de travail. Heureusement, comme je n’avais que quelques kilomètres à franchir matin et soir, je n’ai jamais rencontré les gendarmes qui verbalisaient alors pour un oui ou pour un non, même des personnes jetant leurs ordures au container du coin de la rue.
Les semaines et les journées se passèrent, entre l’hiver et le printemps 2019, mes amis irlandais et moi enfermés avec un réalisateur de cinéma et son équipe préparant le scénario de leur prochain long métrage dans la pièce d’à côté.
Après quelques semaines de cohabitation forcée, en discutant de ces personnes, extravagantes et lunaires comme certains artistes savent l’être parfois, j’ai pris conscience qu’il s’agissait de Stephan Elliott, le réalisateur australien de Priscilla, folle du désert.
Entre deux coups de pinceaux pour lesquels il était venu nous aider une fois son script achevé, j’ai réussi à lui dire combien j’avais aimé son film que j’étais allé voir en salle à sa sortie, vingt-cinq ans plus tôt.
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