Comment dit-on inepte en russe ? Aux yeux de beaucoup, cet adjectif est en train de devenir le qualificatif le plus approprié pour décrire l’armée de l’ours en Ukraine. Et même les observateurs favorables aux vues kremlinesques commencent à se prendre la tête à deux mains, un site allant jusqu’à évoquer « une profonde crise systémique au sein du leadership politico-militaire ».
Non seulement l’opération patine dans la semoule depuis cinq mois face à un adversaire censé être bien moins puissant, non seulement les flops se sont accumulés (système anti-aérien passoire, navires coulés, sans compter les fiascos du début sur lesquels nous aurons la charité de ne pas revenir). Voilà maintenant que l’armée russe se fait culbuter au sud de Kharkiv et se débande.
S’il est possible que les Ukrainiens jettent toutes leurs forces dans la bataille et n’aient peut-être pas la capacité d’aller beaucoup plus loin, s’il est probable que leur adversaire finisse par colmater les brèches voire contre-attaquer, il n’en reste pas moins que la débâcle russe, même locale, peut avoir des conséquences importantes.
1. Elle a une énorme valeur de propagande pour Kiev qui, une fois n’est pas coutume, pourra se prévaloir d’un succès autre qu’imaginaire et galvaniser ainsi ses troupes au moral parfois défaillant. Accessoirement, cela donnera à Zelensky un argument de poids pour demander toujours plus d’aide militaire à l’Occident.
2. Cette façon qu’ont les Russes d’évacuer prestement des territoires, où les résidents qui leur ont montré trop de sympathie vont inévitablement être sujets à représailles, est une faute à la fois morale et politique ; cela découragera à l’avenir les populations d’autres territoires fraîchement conquis de leur montrer trop d’empressement. [Les mauvaises langues diront que les Russes n’avançant plus nulle part, le risque en question n’est peut-être pas si grand…]
3. Le prestige militaire de Moscou à l’étranger en prend un sérieux coup (supplémentaire). Dans les états-majors de la planète, l’on doit regarder ce qui se passe avec une bonne dose de stupéfaction ; nul doute que le crédit gagné en Syrie est en train de fondre comme neige au soleil.
Et le fait qu’aucune troupe ne soit à proximité pour renforcer le front depuis quatre jours montre une nouvelle fois une impréparation totale du côté russe. C‘est peut-être l’aspect le plus intéressant : comment expliquer cette impéritie ?
On a l’impression d’assister à un effondrement de tout ce qui faisait ou semblait faire la force de la Russie poutinienne depuis deux décennies : stratégie aux petits oignons, supériorité militaire, intelligence tactique, timing impeccable. Au début de l’année encore, l’intervention clinique au Kazakhstan symbolisait une maîtrise peu commune des événements. On a l’impression que c’était il y a un siècle…
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