L’auteur est journaliste indépendant et membre du Regroupement Des Universitaires
Dès l’amorce de la campagne électorale provinciale, Radio-Canada a annoncé que le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon aurait laissé discrètement savoir à Ottawa qu’il était ouvert à l’idée de relancer le projet Énergie Saguenay de GNL Québec, dans l’éventualité bien sûr où sa formation politique serait réélue avec une majorité confortable.
Le gouvernement caquiste serait ainsi tenté de profiter de la hausse du prix des hydrocarbures en provenance de l’Ouest canadien, causée principalement par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et sa décision de réduire ses livraisons de gaz naturel à l’Allemagne. Or le gaz que peut offrir le Canada provient en quasi totalité de la fracturation hydraulique. Une médiocre solution de remplacement.
Il n’en fallait pas plus pour que opposants et partisans du projet Énergie Saguenay soient à nouveau sur un pied d’alerte. La nouvelle a défrayé la manchette et donné du grain à moudre au chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, qui se trouvait justement dans la région de Saguenay ce jour-là. Le premier ministre François Legault s’est senti obligé de nier vigoureusement le changement de cap.
On a dénoncé l’hypocrisie de la CAQ qui, une fois de plus, parlerait de deux côtés de la bouche en matière d’environnement.
C’est sauter un peu vite aux conclusions.
Un improbable projet Énergie Saguenay 2.0
Il faut se rappeler que nos deux paliers de gouvernement supérieurs se sont dits prêts à considérer une seconde mouture du projet Énergie Saguenay. Les promoteurs ont promis de revenir à la charge.
Le bras droit affairiste de François Legault en a pris acte. Il aimerait bien que GNL Québec accouche rapidement d’une version 2.0 de son projet qui, grâce à quelques réaménagements, obtiendrait la note de passage à la faveur d’un nouvel examen.
Mais le miracle a peu de chances se produire. La barre est trop haute.
Les caquistes eux-mêmes ont affirmé à maintes reprises que le Québec avait choisi de privilégier les énergies renouvelables, avec notamment la filière des batteries de véhicules électriques. Il faut se brancher.
Sur le plan financier, la situation n’est pas vraiment plus favorable à GNL Québec. Si le prix du gaz naturel a bondi, celui des autres énergies aussi. Hydro-Québec prévoit avoir déjà de la difficulté à répondre à la demande actuelle. Le coût des nouvelles infrastructures que nécessiterait l’alimentation électrique du complexe de liquéfaction et de son gazoduc demeure un frein.
Par ailleurs, si le complexe de liquéfaction et son gazoduc abandonnent l’alimentation hydroélectrique au profit du gaz naturel, plus économique, comme c’est le cas ailleurs dans le monde, GNL Québec ne pourra plus prétendre à la carboneutralité. En renonçant à son objectif initial, l’entreprise perdrait toute légitimité et le peu qui lui reste de crédibilité.
La protection de l’écosystème marin demeure un autre enjeu majeur. La présence de super méthaniers dans le fjord du Saguenay pose trop de problèmes. Pour avoir une chance de remporter son pari, GNL Québec devrait proposer de s’installer sur la Côte-Nord afin d’accéder directement au fleuve. Malheureusement, ce changement nécessiterait un prolongement du gazoduc TC Énergie en provenance de l’Alberta sur toute la largeur du territoire québécois. Un parcours jalonné d’une multitude d’obstacles autant juridiques et géographiques.
Ailleurs au pays
Plusieurs emplacements sur la côte Est, dans les provinces maritimes, se prêtent mieux à la réalisation à court terme d’un complexe de GNL assorti d’un terminal d’exportation. Leur approvisionnement requiert seulement l’ajout d’une petite section au gazoduc national TC ou l’agrandissement de l’un de ses tronçons, au sud du Québec, dans la région de l’Estrie.
Le projet de la compagnie Peridea Energy è Goldboro en Nouvelle-Écosse représente à lui seul un investissement de 13 milliards $. Son complexe de liquéfaction serait auto-alimenté en gaz naturel et non en électricité mais en dehors du Québec, pour des raisons évidentes, cela ne soulève pas d’objections de conscience.
Saint-Jean au Nouveau-Brunswick se présente comme un autre emplacement intéressant pour l’exportation de GNL. Le premier ministre Blaine Higgs et son homologue fédéral croient en la faisabilité du projet en seulement trois ans, grâce à une installation existante appartenant à la firme espagnole Repsol. Conçue à l’origine pour l’importation de ce même type de combustible, elle peut être convertie de manière à inverser le processus.
Comme l’exploitation du gaz de fracturation est prohibée dans cette province, tout comme au Québec, l’Alberta pourrait assurer l’approvisionnement, surtout si le projet de Peridea Energy en Nouvelle-Écosse va de l’avant. Faire d’une pierre deux coups à moindre coût.
Qui plus est, le système mis en place à Saint-Jean pourrait être éventuellement adapté pour l’exportation d’hydrogène liquéfié, une option que le gouvernement de Justin Trudeau considère à tort ou à raison comme plus écologique.
Capitaliser sur le pire scénario?
L’énergie que l’Ouest canadien fournira à l’Europe, avec ou sans l’appui des provinces maritimes, diminuera peut-être la pollution de l’air par le charbon, mais ne contribuera aucunement à réduire les émissions de GES, principale cause du réchauffement climatique. Les objectifs de décarbonisation du Canada seront également compromis.
Surtout, ces exportations reposent sur le pire des scénarios : l’enlisement du conflit en Ukraine avec le risque grandissant d’une fracture irrémédiable entre l’Occident et l’Orient. La Chine et les pays voisins sont en effet enclins à se ranger derrière la Russie en dépit de l’offensive dévastatrice déclenchée par le régime de Poutine.
Les Québécois sont en mesure d’explorer des avenues plus porteuses sur le plan énergétique. Cela devrait nous permettre de garder la tête haute en continuant d’espérer, malgré tout le chaos ambiant, l’avènement d’un monde meilleur, à l’enseigne de la pacification et d’une réelle coopération internationale.
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