par Chems Eddine Chitour.
« L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde. » (Nelson Mandela, président, 1918-2013)
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Résumé
Un premier bilan rapide de la visite du président Emmanuel Macron est que, objectivement, des efforts ont été faits et par-dessus tout, il y a, exception faite pour le septennat de Jacques Chirac, une volonté d’avancer, sauf que les fondamentaux du contentieux mémorial demandent à être éclaircis. On peut comprendre que chaque pays défende ses intérêts, mais nous n’avons pas perçu de rupture franche. Des partenariats, l’Algérie en a déjà signés avec les locataires de l’Élysée, mais avec le résultat que l’on connaît. Par ailleurs, les Algériens et les Algériennes auraient sans doute apprécié que le Président français se recueille devant les icônes et martyrs de la Révolution.
Le président Macron se recueillant à El Alia, devant le monument de l’Émir, cela aurait eu une symbolique extraordinaire. Il en est de même que rendre visite à Roger Hanin aurait été, de mon point de vue, beaucoup mieux apprécié que d’inviter une personne du culte clivante.
Plus délicat aussi, réduire l’immense culture algérienne au raï est très réducteur. Pis encore, la France semble miser sur une vision occidentale de la culture. Ce qui ne peut qu’ajouter un « accroc » de plus dans l’ambition permanente de l’Algérie de consolider un projet de société rassembleur, notamment sur le plan d’une culture multiple.
Enfin, il me semble que les intentions sont nombreuses, c’est un véritable catalogue à la Prévert. Je vais proposer quelques idées pour l’avancement de deux dossiers. La mémoire avec la nécessité d’un état des lieux sans concurrence victimaire, car en l’occurrence, il n’y a pas photo entre la victime et le bourreau. Le deuxième dossier est d’aller d’une façon généreuse pour comprendre une mobilité choisie par les deux partenaires, aussi bien la France que l’Algérie qui auront à gagner. Le chemin de la réconciliation a un prix, celui d’aider l’Algérie à un saut technologique qualitatif, qui est un acompte sur la dette du savoir.
Introduction
Le président Macron a effectué une visite d’amitié en Algérie, vieille nation trois fois millénaire. Il était accompagné par 42 citoyens français ayant aussi, pour certains, une double nationalité. On peut applaudir pour eux à ce retour à l’alma mater, qui n’arrête pas d’être revendiquée sans apport véritable. Gageons que les accompagnateurs puissent être des ponts et œuvrent à être des artisans d’un rapprochement des deux peuples.
Plusieurs entretiens ont permis d’abord une évaluation de ce qui a été fait ces dernières années. Ainsi, les entretiens ont permis « l’évaluation de la réalisation des objectifs de la Déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération, établie entre les deux pays en 2012 », Pour le président de la République Abdelmadjid Tebboune, il a été convenu avec le président français Emmanuel Macron d’ancrer une nouvelle orientation de renforcement des relations bilatérales, fondée sur l’établissement d’un partenariat global d’exception, selon les principes du respect et de la confiance mutuels et de l’équilibre des intérêts entre les deux états.
Dans une déclaration de presse commune, à l’issue des entretiens avec son homologue français, le président Tebboune a déclaré : « Nous avons évoqué ensemble tous les volets ayant trait à la coopération bilatérale et les moyens de la renforcer, en vue de servir les intérêts communs de nos deux pays et de garantir à nos relations, tous domaines confondus, un élan qualitatif à même d’assurer une consécration de la nouvelle orientation que nous avons convenu d’ancrer. Cette même orientation est fondée sur l’établissement d’un partenariat global d’exception conformément aux principes du respect et de la confiance mutuels, et de l’équilibre des intérêts entre les deux États », a-t-il soutenu. « La franchise habituelle » démontre « la particularité, la profondeur et la diversité des relations qui lient nos deux pays, ceux-ci englobant l’ensemble des domaines, allant de l’histoire commune et de la mémoire, au dialogue et à la coordination sur les questions régionales et internationales d’intérêt commun ».
Cette visite marque la volonté « d’impulser une vision nouvelle basée sur un traitement d’égal à égal et l’équilibre des intérêts ». « Le passé, nous ne l’avons pas choisi. Nous en héritons, c’est un bloc, il faut le reconnaître. Nous avons une responsabilité. C’est de construire notre avenir pour nous-mêmes et nos jeunesses », a dit Emmanuel Macron. « Nous allons travailler pour pouvoir traiter les sujets plus sensibles de sécurité, mais qui ne doivent pas empêcher de développer des plans de mobilité choisis pour nos artistes, nos sportifs, nos entrepreneurs, nos universitaires, nos scientifiques, nos responsables politiques d’une rive à l’autre de la Méditerranée, de bâtir davantage de projets communs », a annoncé Emmanuel Macron.
Le chef de l’État français a annoncé la création d’un fonds spécifique de soutien de 100 millions d’euros et souhaite bâtir des initiatives communes sur le plan scientifique et diplomatique. « Je souhaite que ce fonds puisse accompagner nos diasporas et nos binationaux sur les projets qu’ils auront à conduire dans ce secteur », a dit Emmanuel Macron.
La Déclaration d’Alger : un partenariat
Ci-joint les principaux de la Déclaration d’Alger
« Soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, et dans l’esprit des Déclarations d’Alger de 2003 et de 2012, la France et l’Algérie, fortes des liens humains exceptionnels qui les unissent et résolument déterminées à promouvoir leur amitié et à consolider leurs acquis en matière de coopération et de partenariat, renouvellent leur engagement à inscrire leurs relations dans une dynamique de progression irréversible à la mesure de la profondeur de leurs liens historiques et de la densité de leur coopération. (…) La France et l’Algérie décident d’inaugurer une nouvelle ère de leurs relations d’ensemble en jetant les bases d’un partenariat renouvelé. Ce nouveau partenariat privilégié, devenu une exigence dictée par la montée des incertitudes et l’exacerbation des tensions régionales et internationales, fournit un cadre pour concevoir une vision commune et une démarche étroitement concertée pour faire face aux nouveaux défis globaux (crises globales et régionales, changement climatique, préservation de la biodiversité, dans le respect du droit international et dans l’esprit du multilatéralisme ».
« La France et l’Algérie décident de rehausser leurs concertations politiques traditionnelles par l’institution du « haut conseil de coopération » au niveau des chefs d’État. Le haut conseil de coopération supervisera les activités des différents mécanismes de la coopération bilatérale et donnera les grandes orientations sur les principaux axes de coopération. « S’agissant du dossier histoire et mémoire, les deux parties entreprennent d’assurer une prise en charge intelligente et courageuse des problématiques liées à la mémoire. Elles conviennent d’établir une commission conjointe d’historiens français et algériens chargée de travailler sur l’ensemble de leurs archives de la période coloniale et de la guerre d’indépendance. Ce travail scientifique a vocation à aborder toutes les questions, y compris celles concernant l’ouverture et la restitution des archives, des biens et des restes mortuaires des résistants algériens, ainsi que celles des essais nucléaires et des disparus, dans le respect de toutes les mémoires. Ses travaux feront l’objet d’évaluations régulières sur une base semestrielle ».
« En ce qui concerne la dimension humaine et la mobilité, conscientes que les liens humains constituent le vecteur, par excellence, de la redynamisation effective du partenariat bilatéral, les deux parties conviennent d’engager une réflexion pour que la circulation des personnes entre les deux pays soit organisée et encadrée pour être pleinement respectueuse des lois, intérêts et contraintes du pays d’accueil, tout en favorisant des échanges humains liés aux dynamiques économique, sociale, académique et touristique entre deux pays et deux sociétés partageant des liens multiples, avec pour objectif d’encourager la mobilité entre les deux pays, notamment pour les étudiants, entrepreneurs, scientifiques, universitaires, artistes, responsables d’associations et sportifs, permettant de conduire davantage de projets communs. Elles s’engagent, par ailleurs, à valoriser le potentiel que représentent la communauté algérienne en France et les citoyens binationaux dans le développement de la relation bilatérale et à appuyer les projets que ces acteurs portent en ce sens en France comme en Algérie. L’appui à des projets d’investissement d’avenir en France et en Méditerranée, initiés notamment par les PME, à travers le fonds de 100 millions d’euros pour les entrepreneurs issus de la diaspora maghrébine qui sera implanté à Marseille ».
La dimension sécuritaire : Un paramètre important dans une région aussi fragile
Pour la première fois, les présidents et les services de sécurité des deux côtés, y compris l’armée, « pour la première fois depuis l’indépendance » de l’Algérie en 1962, annoncent des actions communes « dans l’intérêt de notre environnement géopolitique ». Pour Alger, la visite d’Emmanuel Macron consacre son rôle stratégique en Afrique du Nord, sachant que l’Algérie partage 1400 kilomètres de frontières avec le Mali, d’où la France a dû se retirer récemment, et près de 1000 kilomètres avec la Libye, plongée dans le chaos depuis la chute de Kadhafi, et qui a connu ce samedi 27 août un regain de violence inquiétant.
Ayant perdu pied au Mali, il était, en effet, important pour la France de retrouver des rapports de pleine confiance avec l’Algérie, dont la profondeur géographique et l’influence au Mali ne sont pas négligées. Pour « rehausser » le niveau de « leurs concertations », Paris et Alger vont instaurer un « haut conseil de coopération » au niveau des chefs d’État, qui se réunira « tous les deux ans », alternativement à Alger et à Paris, pour examiner les questions bilatérales, régionales et internationales d’intérêt commun.
Production du système éducatif algérien pendant 132 ans
Pour avoir une idée du gap scientifique de l’Algérie à l’indépendance et pour lancer une possible de réflexion sur ce que pourrait être la voie de la réconciliation – après naturellement la reconnaissance de l’atrocité de la colonisation d’une façon franche – il est important de faire un état des lieux de l’éducation en 132 ans d’occupation sans concession. L’un des grands problèmes que connaît l’Algérie est le retard dans l’éducation et les disciplines scientifiques. Pour avoir une idée du désastre, la citation de Tocqueville « autour de nous les lumières sont éteintes » résume mieux que 1000 discours la condition du système éducatif. Il sera encore plus tragique au bout de 132 ans de colonisation.
Ainsi à s’en tenir aux statistiques officielles, en 1889, par exemple, 10 757 enfants musulmans étaient scolarisés, soit 1,9% des 535 389 enfants en âge d’être scolarisés. Devant le Sénat le 26 juin 1891, Jules Ferry dénonça avec raison « l’état d’esprit particulier qui sévit en Algérie, cette secrète malveillance quand il s’agit de l’école arabe ». En 1908, il y avait 33 347 enfants musulmans scolarisés, soit 4,3% des enfants scolarisables. En 1914, on ne comptait que 47 263 écoliers sur 850 000 enfants d’âge scolaire, soit 5,7%. En 1954 à la veille du déclenchement de la Révolution, à peine 12,55% des 2,4 millions d’élèves en âge d’être scolarisés contre une scolarisation pratiquement totale des enfants européens.
Le nombre des étudiants musulmans de l’Université d’Alger était dérisoire avant 1914 (6 étudiants en 1884 sur un total de 585 en 1914), En 1920, ils étaient 47 pour l’ensemble des facultés, soit 3,4% des effectifs, et en 1936, 94 sur 2 258 (4,16%). En 1938, il y aurait eu 112 musulmans sur 2211 (5%), en 1939, 94 sur 2246 (4,18%). À la rentrée scolaire de 1954, on comptait 528 étudiants (dont 51 étudiantes). Sur les 528 étudiants (12%) à l’Université d’Alger créée en 1909, 179 sont inscrits en droit, 165 en lettres, 66 en médecine et seulement 118 en sciences. Aucun Algérien en technologie. L’Institut national agronomique, créé en 1909, ne formait que des ingénieurs européens d’Algérie. Il en est de même de l’École d’ingénieur créée en 1923.
On comprend que dans ces conditions, un système éducatif parallèle se met en place. « En 1931, l’Association des Ouléma d’Algérie à Alger met en place, entre 1931 et 1947, un réseau national de 174 médersas (écoles) en langue arabe employant 274 maîtres. En 1955, 193 écoles, dont 58 médersas dispensant un enseignement plus élevé à 11 000 élèves sur 35 150. Le nombre d’élèves à l’Institut Ben Badis s’élevait à environ 700. »
En 1942, plus d’un siècle après, on dénombrait 70 avocats, 41 médecins, 22 pharmaciens, 9 chirurgiens dentistes, 3 ingénieurs, 10 professeurs de l’enseignement secondaire. Selon les statistiques de 1950, on ne comptait encore que 75 médecins musulmans (pour 1400 médecins européens), 36 pharmaciens (pour 432), 11 chirurgiens dentistes (pour 478 ). Une bonne partie des étudiants désertant les amphis est montée au maquis. Voilà la formation de cadres en 132 ans.
« Dette » concernant la responsabilité dans le retard technologique
Naturellement, les effectifs à l’école, au lycée et à l’université étaient pratiquement 10 fois plus importants pour les pieds-noirs. C’est la colonisation qui a fait des Algériens une société clochardisée, pour reprendre l’expression de Germaine Tillon. Qui sait s’ils n’auraient pas évolué différemment s’ils n’avaient pas été tenus soigneusement en marge du progrès et de la connaissance ? Quand on pense qu’en 132 ans, la colonisation a formé en Algérie moins d’un millier de personnes, aucune pratiquement dans les sciences et la technologie. En prime, le 5 juin 1962, l’OAS consubstantielle du pouvoir colonial termine son horrible besogne en brûlant la bibliothèque d’Alger, clôturant ainsi le cycle de crimes contre l’éducation qu’il avait commencé 132 ans plus tôt. Le legs est 200 000 volumes qui sont partis en fumée.
En pleine guerre de Libération, le président Ferhat Abbas a déclaré, lors d’une réunion avec les cadres formés, alors que la guerre d’épouvante battait son plein, « nous avons formé en cinq ans plus que le système éducatif colonial en 132 ans en cadres techniques et scientifiques ». Imaginons que nous avions été exposés aux mêmes conditions que les enfants pieds-noirs, il est hors de doute que nous n’aurions pas raté la première révolution industrielle. Elle avait les mêmes chances que les pays ayant évolué plus positivement.
Le compagnonnage et la reconstruction de la France
À leur corps défendant les Algériens furent « utilisés » pour les travaux physiques. De propriétaires qu’ils étaient beaucoup d’Algériens devinrent khammes sur leurs propre terres spoliées et offertes à des colons français mais aussi espagnols, maltais italiens. Sans rentrer dans le détail de tout ce qu’a fait l’Algérie pour la France durant un compagnonnage de 132 ans, nous en avons rendu compte dans plusieurs de nos écrits, il nous plaît de nous ressouvenir que la France fut accompagnée dans toutes les querelles qu’elle a faites au monde par les Algériens qui payèrent le prix du sang, en vain. Au total, 6 millions d’Algériens sont passés de vie à trépas, victimes de l’œuvre d’épouvante, de l’évangélisation forcée, du cardinal Lavigerie, des famines organisées et, par-dessus tout, de la torture tout au long de ces cent trente-deux ans témoignent de cette colonisation sanguinaire.
Non content de prendre les matières premières, le pouvoir colonial s’empare de la force vive pour guerroyer de par le monde et offrir de la chair à canon algérienne. Mieux encore, en période de paix, ce sont les tirailleurs béton qui ont participé à la reconstruction de la France, la construction des autoroutes, des bâtiments, des usines. Les épaves des chibanis sont en train de finir leurs jours dans les foyers Sonacotra.
La reconnaissance des Algériens pour les « justes »
Pourtant, nous n’avons pas de mémoire sélective, nous reconnaissons les justes. Le peuple algérien, de par sa culture, son identité et son espérance religieuse, n’est pas ingrat, il n’oublie pas les « justes », toutes celles et ceux qui l’ont accompagné pendant ces 132 ans d’épreuve. Dans ce cadre, si l’éducation ne fut permise aux Algériens qu’à dose homéopathique – nous fûmes des voleurs de feu, pour reprendre l’élégante formule de Jean El Mouhouv Amrouche -, nous ne pouvions pas être reconnaissants à nos maîtres, ces hussards de la République qui prirent beaucoup de risques pour venir devant nous et nous éduquer. Je veux associer dans le même hommage le dévouement de beaucoup de médecins qui comprirent leur mission en soignant la détresse des Algériennes et des Algériens.
Je veux enfin ajouter le dévouement de tous les Européens d’Algérie qui ont cru en la nécessité de l’indépendance de l’Algérie, qu’ils considèrent à juste titre comme leur pays pour s’y être battus. Je pense notamment à Claudine et Pierre Chaulet, à Daniel Timsit, à Fernand Yveton, à Maurice Audin, à Henri Maillot, à Maurice Leban, l’abbé Berenguer et tant d’autres qui se dévouèrent à en mourir pour l’Algérie. Je n’oublie pas d’ajouter là aussi Frantz Fanon, Francis Jeanson, Jean-Paul Sartre. Ils se dévouèrent sans retenue. Notre pays grandirait en affirmant qu’à côté de Saint Arnaud, des Berthezène, des Bugeaud, il y eut des justes à qui nous témoignerons de notre reconnaissance. Je veus associer dans la même reconnaissance les Français volontaires du Service National en Algérie, ces enseignants qui vinrent participer à aider à mettre en place les premiers rentrées scolaires. En vain la tâche était immense les Algériens se ruèrent versl ‘educaiton aynt été sévrées pendant toute la colonisation.
Comment dégager l’avenir de l’obsession du passé ?
Les Algériens n’ont pas de haine, ils demandent justice. Pour avancer, les choses doivent être dites et une grande partie du contentieux est le mythe de certains qui se croient appartenir à la race des élus. Il est hors de question de faire passer par pertes et profits une douleur toujours présente, mais de moins en moins vécue par une jeunesse, sans oublier, cependant, les conséquences épigénétiques de cette terreur sur plusieurs générations. Il est vrai que les relations entre la France et l’Algérie ne sont pas classiques, la relation est émotionnellement chargée des deux côtés, il y a plusieurs milliers de Français-Algériens ou de Français ayant eu des parents algériens. Il est vrai que soixante ans après l’indépendance, de l’eau a coulé sous les ponts, le contentieux mémoriel n’a pas la même acuité en France, car les descendants des pieds-noirs n’ont qu’un souvenir de ce que les pieds-noirs auraient vécu au moment de leur départ. Rien à voir avec 132 ans de déni, de larmes de sang, notamment avec la dernière période de la Révolution où tout a été fait par la France coloniale (torture, incendies napalm, camps de regroupement), en vain.
Vouloir mettre en place une commission sur la mémoire participe d’une vision nouvelle, mais chacun sait que le diable se niche dans les détails. Il est important de réussir la feuille de route. L’histoire sanglante de la colonisation est bien documentée. Ce qui l’est moins, c’est ce qu’il faut faire une fois le devoir d’inventaire mis en place. Est-ce une énième commission qui va passer à la trappe ? Il est incompréhensible que la France, qui s’est excusée au nom de l’État français pour les juifs étrangers déportés à partir du Vélodrome d’hiver en 1942, ne puisse pas reconnaître sa faute s’agissant du drame algérien. À juste titre, Jean Daniel, le grand journaliste fondateur du Nouvel Observateur, écrivain natif de Blida, écrit : « Ce que l’occupation allemande a fait comme dégâts en quatre ans dans l’esprit français nous permet d’imaginer ce qui s’est passé en 132 ans de colonisation en Algérie ».
Je ne pense pas que ce dossier peut être ficelé dans des délais brefs. En fait, cela devrait être un long apprentissage du travail ensemble dans le calme et la sérénité, en essayant au fur et à mesure d’avancer à pas mesurés. Quel meilleur espace qu’un institut de la mémoire, véritable banque de données des archives écrites, sonores et même, pourquoi pas, inaugurant les premières actions de restitution d’un patrimoine matériel multidimensionnel qui appartient à l’Algérie !
Sachant qu’en définitive, il s’agit de rendre justice à un peuple qui a connu toutes les vilenies pendant 132 ans. Je ne pense pas qu’il est dans la mentalité algérienne de faire rendre gorge ad vitam aeternam à la France pour sa faute. Les Algériens demandent qu’on leur rende justice, mais il est de la plus haute importance que la reconnaissance soit traduite en actions qui permettent de racheter cette faute dans l’égale dignité des deux peuples.
L’émigration choisie versus mobilité choisie conjointe
Le nouveau concept de mobilité choisie proposé par le président Macron a le mérite d’être aussi limpide que l’émigration choisie du président Sarkozy. Les visas seront octroyés à ceux qui ont une valeur ajoutée et qui, indirectement, apportent un plus au rayonnement de la France, les étudiants, les diplômés, les enseignants, les artistes. En clair, c’est le body shopping, véritable pompe à diplômés utiles. Quelques repères qui nous font comprendre que rien ne distingue l’émigration choisie de la mobilité choisie. Dans les deux cas, la France fait un inventaire de ses besoins, et comme le déclare Arnaud Montebourg, la France doit compenser ses manques de cadres dans différents domaines, la mobilité servirait à cela. Cela nous paraît profondément injuste, bien que cela soit de bonne guerre. Le ruissellement des compétences va dans la direction où les conditions de travail sont meilleures. Fixer les idées revient à l’Algérie à 120 000 dollars, selon les normes UNESCO, l’équivalent de 8000 dollars/an sur les 17 ans d’enseignement. Pour le millier de diplômés qui quittent chaque fois le pays, c’est 120 millions de dollars. Les familles se saignent aux quatre veines pour réunir les 7500 euros demandés pour les inscriptions universitaires. C’est autant de diplômés en moins pour le pays, et donc un frein à son développement.
Il y a là un problème moral que nous devons examiner. Forts de la dette originelle et de ce siphonnage annuel, si on veut régler cette anomalie, des solutions existent. L’Algérie a besoin d’être accompagnée dans certaines disciplines scientifiques. On peut penser, à titre d’exemple, à la mise en place d’un institut de la transition énergétique qui nous permettra de former vite et bien les milliers de cadres dans le domaine du renouvelable, notamment dans la réussite de la révolution électrique verte avec l’hydrogène qui pourrait remplacer le gaz naturel à partir des années 30. C’est à la fois un carburant, un combustible et la matière de base de la pétrochimie verte. On peut penser au domaine nucléaire en termes de formation.
À partir du moment où la confiance régnera sans arrière-pensée, nous pourrons pleinement développer des filières communes, des projets communs avec notamment un phénomène de diaspora noria, comme le font nombre de pays. Dans un cadre organisé, des chercheurs algériens installés en France, des Franco-Algériens pourraient être les passerelles à la fois pour la formation, mais aussi pour la création de richesses. Nous aurons alors à faire appel à toutes les compétences passerelles une fois que les passions seront apaisées, et il n’est pas interdit de penser à des hommes et femmes passerelles au sein des Français d’ascendance algérienne.
Les lignes commencent à bouger dans la bonne direction
Dans ce cadre, un texte écrit par un descendant de harki Amar Assas a retenu mon attention en ce sens que, pour la première fois, un fils de harki parle de la colonisation en termes vifs objectifs. Nous lisons : « Je suis né quelques mois avant la signature de ces fameux Accords d’Évian (18 mars 1962), qui ont marqué l’histoire des deux pays et mis fin à la terrible guerre d’Algérie. Une guerre qui est la conséquence de décennies d’injustices, d’inégalités et d’absence de droits pour les « indigènes » relégués au statut de citoyens de seconde zone. Une guerre qui n’a pas été reconnue comme telle, mais présentée comme la répression de hors-la-loi. Une guerre qui a fait des centaines de milliers de victimes, d’abord parmi les indépendantistes et les civils algériens qui les soutenaient, mais aussi parmi les militaires français – dont beaucoup étaient des appelés – et parmi les Algériens enrôlés comme harkis par l’armée française, que leur histoire personnelle et familiale avait souvent mis dans une situation insoluble. Une guerre en partie fratricide, achevée notamment par des massacres de harkis ».
« Dans les deux pays, reconnaître la totalité du passé colonial implique de regarder ces réalités en face. N’oublions pas que la conquête militaire engagée par le général Bugeaud au XIXe siècle a montré la permanence de la stratégie militaire de l’armée française consistant à enrôler des autochtones en qualité de supplétifs. La conquête de l’Algérie a causé la spoliation de plus de 2 millions d’hectares aux « indigènes musulmans », provoquant famine, maladies et destruction de tout un système social et, au final, la disparition d’une partie importante de la population autochtone. C’est ce colonialisme – qui est bien à la base de toutes ces injustices dont furent victimes nos ancêtres – qu’a combattu Gisèle Halimi, et ce serait important pour la France de lui rendre hommage »[1].
Ce texte aurait pu être écrit par un Algérien. Rien ne manque dans la description de l’horreur coloniale. Le seul bémol est le parti pris concernant le sort des harkis, sachant que plusieurs dizaines de milliers de harkis ont préféré rester au pays sans encourir les massacres décrits.
En tout cas, c’est une première dans le cadre de l’apaisement des mémoires. Il est vrai que les enfants de harkis paient un tribut pour une faute commise par leurs pères en sont ils responsables. D’autant que l’eau a coulé sur le pont. Rappelons le verset de la Bible suivant attribué au prophète Jérémie qui nous enjoint à une lucidité : « En ces jours-là, on ne dira plus : les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des fils sont agacées ». Qu’on le veuille ou non, ils ne sont pas indifférents à ce qui se passe en Algérie. Les enfants de harkis qui ne sont en rien, d’après le président Bouteflika, responsables de la faute de leurs parents ». Nous lisons cet article de Forence Beaugé : « Alger tend la main aux harkis. Au cours d’un meeting à Oran, le président algérien Abdelaziz Bouteflika a affirmé que parmi les erreurs commises dans le passé figurait le traitement du dossier des familles de harkis. Il s’agit d’Algériens engagés par l’armée française comme supplétifs durant la guerre d’Algérie, et qui sont devenus français après l’indépendance. Avec leurs descendants, ils forment une communauté de 400 000 personnes. Nous avons commis des erreurs à l’encontre des familles et des proches des harkis et n’avons pas fait preuve de sagesse ». Même si un de ses ministres rectifie : « Quant à leurs enfants, ils seront les bienvenus à condition qu’ils reconnaissent de facto les crimes de leurs parents »,.
Nous devons connaître nos intérêts. La situation du XXe siècle l’exige. Il y a moyen d’aller plus en avant. Une diaspora et des Franco-Algériens qui ont en commun leur attachement à l’Algérie, le nombre de résidents d’origine algérienne, qu’ils soient algériens, franco-algériens et même enfants de harkis, évalué à 5 millions de personnes, est un réservoir de compétences qui ont en commun le souci de faire réussir leur pays d’origine. De plus, beaucoup de Français nés algériens, en pleine questionnement identitaire, seraient séduits par cette vision apaisée qu’apporterait l’Algérie, qui jouera le rôle d’une force de rappel que l’on peut solliciter. Il s’agit de leur identité originelle et de leur besoin d’âme. Ce vivier recèle d’importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières. La mise en ordre en dissipant, dans le cadre du parler vrai, toutes les fausses interprétations et les rectificatifs que proposerait cette commission mémoire et vérité. Le but est de construire avant tout un lien solide permanent qui puisse, le temps aidant, se transformer graduellement en un lobby de l’amitié algéro-française dans l’égale dignité des deux peuples.
Conclusion
La relation algéro-française est des plus singulières. On ne construit pas l’avenir sur du mépris et des malentendus. Ce n’est qu’après avoir levé la question mémorielle que la France et l’Allemagne ont pu se réconcilier. Mutatis mutandis. Il nous sera possible de nous élever à une appréhension commune et avancer résolument pour garantir l’avenir, car aujourd’hui, le monde subit une profonde reconfiguration géostratégique avec les derniers événements couplés au réchauffement climatique. Rien ne sera plus jamais comme avant. Il s’agit de préparer – ensemble – l’avenir par le respect mutuel afin de contribuer – ensemble – à la stabilité régionale et au codéveloppement entre la France et l’Algérie, deux acteurs stratégiques du pourtour méditerranéen. L’investissement dans le savoir, le développement de projets industriels communs sont les briques de cette réconciliation. L’Algérie est connu pour avoir tout le temps contribuer à la stabilisation de son voisinage immédiat, sa profondeur africaine, sa jeunesse et ses atouts économiques sont autant d’atouts.
Chems Eddine Chitour
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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