Le jeune Festival du film de Knowlton qui vient de nommer sa jeune nouvelle présidente, Julie Bradet, a offert cette année deux tribunes à un non moins jeune réalisateur-scénariste, Louis Godbout : en trois années à peine, avec quatre oeuvres majeures du cinéma québécois, voilà qu’il s’est déjà imposé comme successeur de Denys Arcand, dont il épouse la tendance du cynisme mordant dans Les tricheurs.
Trois coqs machos, joués par Benoît Gouin, Alexandre Goyette et Steve Laplante, s’affrontent dans une bataille d’égos qui laisse indifférente Namasté Christine Beaulieu (Artiste pour la Paix 2021). Invitée du festival, l’immense aura de la comédienne a contribué à faire le plein de la salle, à 21h 30, le 27 août. Elle s’est d’abord présentée avec le sens de l’autodérision qu’on lui connaît, un humour particulièrement habile et de circonstance, compte tenu du « rôle dévêtu », selon ses propres mots, qui lui fut assigné, déconcertant son agente. Après la projection, une spectatrice reprochera son côté macho au réalisateur, qui au lieu de lui répondre par l’évidence que son film dénonçait, par une caricature, notre société encore encombrée de machismes, décida pour la discussion d’assumer son côté mâle. Ce à quoi une fine spectatrice rétorqua par le titre de cet article.
Pourquoi l’action se déroule-t-elle sur un parcours de golf? Godbout a répondu à la journaliste Anne-Frédérique Hébert-Dolbec : « Tout le monde joue au golf — j’ai joué avec des prêtres, avec des chanteurs d’opéra — et tout le monde triche. Si tu veux te moquer de la nature humaine, de la duplicité, de l’hypocrisie et de la bullshit, c’est le sport parfait. » Un sport de riches, aurait-il pu ajouter, si la conscience de classe n’était pas un mythe disparu chez les moins de cinquante ans, à qui la société donne les moyens de s’affirmer.
Sa caricature de société a toutefois le mérite de s’étoffer par une charge en règle contre les entrepreneurs de maisons d’aînés joués par Laplante et Gouin qui affirment se foutre des #MeToo, des Innus ou des énergies renouvelables, ayant choisi d’offrir une belle fin aux vieux, avec des robots pour changer leurs couches et des pilules pour alléger leurs souffrances et même leur offrir une mort par soins palliatifs terminaux non prescrits : un rêve que les hôpitaux entretiendront bientôt pour désengorger leurs urgences?
Musicien et philosophe à l’origine de trois autres films : Mont Foster – Coda – Une révision
Godbout déclare avec raison qu’« une image gagne presque toujours en profondeur au contact de la musique, alors qu’une musique risque de se dévaluer quand on lui impose des images » : il avait ainsi donné en 2020 une profondeur originale à Mont Foster, typique film d’horreur machiste avec la jeune victime frêle de rigueur, Laurence Leboeuf, en l’associant aux mythes germaniques génialement explorés par Franz Schubert dans son effrayant lied Erlkönig et dans son quatuor La jeune fille et la mort.
Permettez-moi d’utiliser encore le thème des tricheurs pour aborder les deux scénarios suivants, d’abord celui du film bergmanien Coda de 2019, de Claude Lalonde, présenté en début du festival de Knowlton (en même temps qu’un film de Guylaine Maroisti1 ) : il met en scène un pianiste vieillissant joué par Patrick Stewart qui cherche à TRICHER AVEC SA MORT INÉLUCTABLE.
La carrière sabotée par la Covid de ce très beau film en explique le succès mitigé; à moins que le choix par Godbout de chaque musique avec un soin infini péchât par un excès d’esthétisme perfectionniste dont il a lui-même dénoncé, sur scène, qu’il pouvait parfois confiner à un contrôle maniaque? Car les fêlures d’une œuvre d’art laissent passer la lumière. Son film, qui en plus dut lutter avec un film commercial revendiquant le même titre Coda, était-il trop parfait, comme les interprétations académiques de l’admirable pianiste ukrainien Serhiy Salov?
Sans doute, son scénario le plus réussi fut celui d’Une révision, film de Catherine Therrien que tous assimilent à l’UQAM alors que mon université a été la première dans les années 80 à faire voter en début de chaque session les plans de cours, avec possibilité pour les étudiants de les altérer.
Godbout confie le rôle à Patrice Robitaille d’un professeur (lui-même fut professeur de philosophie) qui a LE COURAGE DE REFUSER DE TRICHER, alors que tous le lui demandent, même ses meilleurs amis joués par Anne-Élisabeth Bossé et Pierre Curzi, afin d’éviter son renvoi. Car il est victime de la political correctness de sa vice-doyenne Édith Cochrane qui se fout même de l’avis de l’étudiante voilée concernée (Nour Belkhiria, prix Genie comme rôle de soutien pour Antigone), elle qui a défié les exigences expresses du cours par simple volonté d’engager une discussion vivante et honnête sur la foi avec un prof dont elle admire l’intégrité.
Pierre Mouterde avait justement écrit dans Presse-toi à gauche reproduit dans l’aut’journal « Et quoi apparemment de plus convaincant, de plus progressiste, de plus « cool » qu’une administration qui prend le parti des étudiants ! Sauf que ce faisant, l’administration va être conduite à exiger du prof qu’il modifie la note qu’il a donnée à l’étudiante, en piétinant non seulement allégrement les plates-bandes pédagogiques du professeur (ce qu’on appelle sa liberté académique) mais encore les exigences mêmes de sa discipline : cette fameuse recherche du vrai qui caractérise la philosophie ».
Recherche du vrai qui caractérise les Artistes pour la Paix et, ajoutons-nous, l’œuvre cinématographique si attachante de Godbout, à la condition qu’elle ne s’égare pas trop dans le cynisme à la mode prisé par les possédants qui veulent faire renoncer aux artistes de travailler à la révolution sociale, comme l’affirme courageusement son aîné René Derouin, notre APLP2016!
1. Le 7 septembre au Outremont et le 9 au cinéma Beaubien, Guylaine qui fut notre présidente des Artistes pour la Paix présentera son nouveau film coréalisé avec Léa Clermont-Dion intitulé Je vous salue salope : La misogynie au temps du numérique.
Pour des billets, nos membres contacteront Marianne Locas, chargée de communication et mobilisation pour La Ruelle Films / Bureau – 514-899-0449 poste 30.
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal