par Régis Chamagne.
Je n’avais pas écrit d’article depuis le 22 juin, pensant que c’était inutile puisque nous atteignons la phase finale du changement de paradigme géopolitique, l’asymptote de la courbe de Stuart Kauffman. Bien évidemment, je continue à suivre l’évolution des opérations sur le terrain grâce à des sites tels que Stratpol (merci Xavier Moreau). Mais ma réflexion se situant au niveau du changement de paradigme, je ne me sentais pas utile à commenter les tactiques des uns et des autres, attendant patiemment que le temps fasse son œuvre.
Si j’écris cet article aujourd’hui, c’est parce que le virage stratégique pris par l’Ukraine, soutenue ou pilotée par les USA, indique une prise en compte concrète d’un rapport de force, au-delà des déclarations tonitruantes des uns et des autres et annonce probablement un changement d’option stratégique des Occidentaux.
Tactique et stratégie
Avant tout, il convient de préciser ce qui différencie la tactique de la stratégie. En dehors des différences convenues – la tactique se passe sur le champs de bataille tandis que la stratégie se déploie en dehors et autour du champ de bataille, la tactique est liée au court terme tandis que la stratégie est associée au long terme… – il est une différence qui est rarement évoquée : on ne manipule pas les mêmes objets conceptuels au niveau tactique et au niveau stratégique. Le tacticien pense en terme de missions tandis que le stratège pense en terme de priorités et de ressources relativement à l’objectif fixé. La citation du général Schwarzkopf, commandant de théâtre au cours de la première guerre du Golfe, l’illustre bien : « L’amateur s’intéresse à la tactique tandis que le professionnel se préoccupe de logistique. » Évidemment, il se place à son niveau qui est celui de la stratégie opérationnelle. Déterminer des priorités opérationnelles n’est pas trop difficile, c’est une question de bon sens. Du coup, la préoccupation première du stratège est de s’assurer qu’il y ait bien les ressources disponibles à affecter aux priorités.
Ensuite, tout cela se concrétise au cours de la planification opérationnelle dont la première phase consiste à déterminer l’état final recherché (EFR) et l’option stratégique pour y arriver, c’est à dire le chemin pour atteindre l’EFR, ou plus exactement la direction générale car le chemin évolue en fonction des actions de l’adversaire. La direction générale se retrouve naturellement dans les priorités et les ressources allouées à ces priorités.
Le terrorisme entre dans l’équation
Depuis quelques semaines, nous assistons à un mode d’action nouveau de la part des USA-OTAN-UE-Ukraine. Il s’agit d’actes de nature terroriste à l’encontre de cibles choisies. Ce mode d’action comprend des actes de sabotage, des tirs d’artillerie sur une centrale nucléaire et récemment, l’assassinat de Daria Douguine, la fille d’Alexandre Douguine.
La question qui se pose est donc : le terrorisme exercé par les USA-OTAN-UE-Ukraine est-il un nouveau mode d’action entrant dans la stratégie militaire générale des USA ou relève-t-il d’un changement d’option stratégique ? Répondre à cette question me semble important car fondamentalement, le terrorisme est un mode d’action ou une stratégie du faible au fort.
Si les actes de terrorisme menées par la coalition occidentale sont conçus au niveau tactique, cela pourrait correspondre à des actions de diversion dans l’espoir de reprendre l’initiative stratégique. S’ils préfigurent un changement de stratégie, alors nous aurions là un indicateur qu’au delà de tous les discours, de toutes les postures, la coalition occidentale a, consciemment ou inconsciemment, pris acte du rapport de force du faible au fort dans lequel elle se situe. Et cela pourrait être considéré comme un virage stratégique important.
Le terrorisme, une stratégie du faible au fort
Les actes de terrorisme, assassinats de responsables du camp adverse, ont été pratiqués depuis que les hommes se font la guerre. Mais à ma connaissance, ce mode d’action a été élevé au rang assumé de stratégie pour la première fois au début du XIIe siècle par Hassan ibn al-Sabbah dit « le Vieux de la Montagne » avec sa secte des hashshashin. N’ayant pas d’armée (une situation du faible au fort donc), Hassan, à la tête de la communauté ismaélienne, fit trembler Croisés et Mongols, en utilisant la stratégie de l’assassinat de personnalités bien placées.
L’efficacité d’une telle stratégie, en dehors des effets opérationnels de la disparition d’une cible, repose beaucoup sur la peur qu’elle engendre chez ceux qui peuvent se sentir visés, des personnes en particulier ou des groupes humains. Quant au ressort de la peur elle-même, il réside beaucoup dans l’émotion que suscite les attentats ainsi que dans l’aspect symbolique des cibles choisies. Mais attention, les émotions et les symboles sont choses qu’il faut maîtriser un minimum avant de s’en servir. Ce sont des armes à double tranchant. Alors qu’en est-il de la situation actuelle des attentats commis par la coalition occidentale ?
La situation en Ukraine
Plusieurs paramètres me font penser que le terrorisme exercé par les USA-OTAN-UE-Ukraine contre la Russie relève d’une évolution de la stratégie plutôt que de la tactique. Premièrement, les Occidentaux pensaient qu’en armant massivement l’Ukraine, la Russie allait s’épuiser, or c’est l’inverse qui se produit. Cette guerre dite (en novlangue) « de haute intensité » est tout simplement une guerre « traditionnelle » en quelques sortes, dans laquelle il faut « être et durer ». Elle révèle que les Russes ont la capacité de durer, pas l’Occident. Elle révèle que les industries d’armement occidentales fabriquent des armements très sophistiqués, très chers, en petit nombre, et d’une efficacité militaire qui ne justifie pas leurs coûts, tandis que la Russie produit des armements efficaces, bon marché et en grand nombre, avec de surcroît une avance technologique considérable dans certains domaines stratégiques tel que l’hypersonique. Du coup, c’est l’Occident qui n’a pas assez de ressources pour durer. Deuxièmement, depuis le début, la communication de guerre a été une priorité, voire LA priorité des Occidentaux, pensant que la guerre allait se jouer dans les médias, sur le terrain des opinions publiques, rapidement, sur le modèle des guerres « hollywoodiennes » auxquelles nous avaient habitué les États-Unis depuis trente ans. Le terrorisme qui joue sur l’émotion et le symbole s’insère parfaitement dans cette optique car il permet le déploiement d’une communication assortie.
Ces deux arguments me font penser que nous assistons à une évolution de l’option stratégique occidentale en Ukraine. Les USA et leurs laquais européens prennent acte, sans le dire, de façon presque honteuse, qu’ils se trouvent dans un rapport de force militaire du faible au fort face à la Russie. Et je n’aborde même pas la question du rapport de force économique. C’est plutôt bon signe pour les stratèges russes qui observent cela, mais cela pose aussi des contraintes nouvelles. Des contraintes de sécurité d’une part et d’autre part des exigences de réaction à des attentats hautement symboliques ou à forte portée émotionnelle. Ainsi, après l’assassinat odieux de Daria Douguine, Il y a fort à parier que le peuple russe attend une réponse hautement symbolique de la part de Vladimir Poutine.
Le président russe dispose d’un large éventail de moyens, y compris des moyens non militaires, pour engager des représailles ciblées. Pour l’instant, les réactions russes face aux bombardements de la centrale nucléaire de Zaporijia sont d’ordre diplomatique auprès de l’ONU et de l’AIEA. Ils accumulent les preuves en vue d’un procès futur. Sous la pression de l’opinion, Vladimir Poutine sera-t-il tenté de propager la peur au sein des « élites » occidentales ? Nous allons voir ce qu’il en est. Ce qui est probable en revanche, c’est que l’évolution de la situation sur le terrain en faveur de l’armée russe s’accélère.
source : Régis Chamagne
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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