« Ceux qui dirigent l’économie ne semblent pas être conscients que le fonctionnement normal de l’économie entraîne des traumatismes et des crises financières, de l’inflation, des déprécations monétaires, du chômage et de la pauvreté, au milieu de ce qui pourrait être une richesse pratiquement universelle — en bref, que le capitalisme financier complexe est intrinsèquement défectueux. »
Hyman Minsky (1919-1996), Économiste américain, (dans ‘Stabilizing an Unstable Economy’ 1986)
« Les déficits en temps de guerre sont la pire politique budgétaire imaginable. Ils ajoutent à la demande civile mais ne génèrent aucune production commercialisable de biens de consommation ou de biens d’équipement. En conséquence, les déficits en temps de guerre font basculer l’économie vers une demande excédentaire, des goulots d’étranglement inflationnistes, une hausse des taux d’intérêt et une instabilité financière. Ils détruisent la richesse et ils abaissent le niveau de vie. »
David A. Stockman (1946- ), homme politique américain, (dans ‘The Great Deformation’, 2013)
« Ceux qui ont survécus et qui faisaient partie de la génération en âge de participer à une guerre garde une aversion aux guerres pour le reste de leur vie, et ne veulent pas répéter une telle expérience tragique, ni pour eux-mêmes, ni pour leurs enfants, et, par conséquent… une telle résistance psychologique aux guerres persiste aussi longtemps qu’une nouvelle génération… a le temps de grandir et de parvenir au pouvoir. Dans la même veine, le déclenchement d’une guerre, une fois lancée, a tendance à perdurer jusqu’à ce que la génération élevée dans la paix et qui s’est précipité follement dans une guerre cède la place à une génération fatiguée de la guerre. »
Arnold J. Toynbee (1889- 1975), historien britannique, (dans ‘A Study of History’, vol.9, 1954)
« La vérité tragique est que si l’Occident n’avait pas cherché à étendre l’OTAN en Ukraine, il est peu probable qu’une guerre ferait rage en Ukraine aujourd’hui, et la Crimée ferait très probablement encore partie de l’Ukraine.. »
John J. Mearsheimer (1947- ), politicologue à l’Université de Chicago, (lors d’une présentation à Florence, Italie, le 16 juin 2022)
« Je ne sais pas avec quelles armes la troisième guerre mondiale sera menée, mais la quatrième guerre mondiale sera faite avec des bâtons et des pierres. »
Albert Einstein (1879-1955), physicien théoricien d’origine allemande (dans une entrevue dans « Liberal Judaism », avril-mai 1949)
En plus de la persistance de la pandémie de Covid-19 et la crise climatique en cours, laquelle se doublera d’une crise énergétique, sans compter la crise migratoire qui se profile à l’horizon, le monde pourrait être confronté à deux crises additionnelles d’origine humaine dans les années à venir, à savoir une crise économique et financière majeure et une crise géopolitique découlant d’une guerre hégémonique.
I- Des déséquilibres fondamentaux dans l’économie mondiale
En effet, dans la foulée de la Grande récession de 2008-2009, d’importants déséquilibres sont apparus dans l’économie mondiale.
Premièrement, craignant une pénurie persistante de la demande globale dans les plus grandes économies industrielles (États-Unis, Europe, Japon, etc.), les banques centrales ont adopté une politique monétaire non conventionnelle, laquelle a consisté à pousser les taux d’intérêt nominaux vers zéro et les taux d’intérêt réels en territoire négatif. Une telle politique a faussé les calculs de rentabilité pour des investissements à long terme, dont certains se révéleront non profitables avec le retour à la normale des taux d’intérêt.
En second lieu, la pandémie mondiale de Covid-19 de 2020-2022 et les bouleversements démographiques ont provoqué un ralentissement de l’offre globale avec des pénuries d’approvisionnement et des perturbations dans les chaînes de distribution pour plusieurs matières premières et produits. De plus, dans la foulée de la pandémie, de nombreux travailleurs se sont retirés de la population active, provocant une pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs.
En troisième lieu, une conséquence négative de la mondialisation économique et financière a été indubitablement son impact fiscal sur les budgets des gouvernements nationaux. Moins en mesure de lever des impôts sur les sociétés internationales et autres entités opérant dans leur pays, les gouvernements se sont sentis obligés d’augmenter leurs déficits budgétaires et la dette publique. Toute hausse substantielle des taux d’intérêt entraînera une crise budgétaire pour de nombreux gouvernements.
Quatrièmement, les banques centrales ont subi des pressions politiques pour qu’elles soient acheteuses d’obligations publiques, gonflant ce faisant leurs bilans et la base monétaire pour l’ensemble de l’économie. Dans le cas de la Fed américaine, par exemple, son bilan était d’environ 4 000 milliards de dollars au début de 2020, mais il avait grimpé à environ 9 000 milliards de dollars à la mi-2022, principalement en raison de l’achat de titres du Trésor et de titres privés adossés à des hypothèques.
Des actions similaires de la part d’autres banques centrales ont également entraîné de fortes augmentations de leurs bilans. Cela a pompé des liquidités excessives dans de nombreuses économies et c’est la première cause de la hausse de l’inflation dans un monde de monnaies fiduciaires. Une inflation plus élevée, pour les personnes à revenu fixe, signifie une hausse de coût de la vie et une baisse de leur niveau de vie. Sur le plan économique, c’est aussi la principale cause de la condition actuelle de stagflation, c’est-à-dire une condition de croissance économique lente avec des prix à la hausse.
Les signes se multiplient que la mondialisation économique et financière a atteint son point culminant, alors que ses effets négatifs apparaissent au grand jour. Le fait que le gouvernement américain impose des sanctions économiques et financières d’une manière unilatérale à d’autres nations souveraines soulève d’importantes questions juridiques et politiques concernant la souveraineté des États.
En effet, en raison de la recrudescence des tensions militaires et géopolitiques internationales (voir ci-dessous), le système de mondialisation économique et financière érigé après la Seconde Guerre mondiale s’affaiblit rapidement. Si de telles tensions géopolitiques devaient s’intensifier, cela pourrait se traduire par une dislocation de l’économie mondiale, suivie d’un ralentissement économique généralisé, lequel pourrait durer plusieurs années.
II- Une guerre hégémonique centenaire pourrait éclater à tout moment
Les guerres régionales à petite échelle ont été nombreuses depuis la Seconde Guerre mondiale, mais cela ne signifie pas que les guerres mondiales ont été éradiquées du système international.
L’histoire montre, en effet, que de telles guerres à grande échelle semblent se produire à chaque siècle. C’est un fait historique observé que les pays dotés d’une forte puissance militaire tentent toujours de plier les systèmes économiques, financiers et politiques internationaux à leurs avantages. Et ces puissances dominantes en politique internationale n’hésitent pas à recourir à une politique ouverte de puissance pour atteindre leurs objectifs.
À travers les âges, un tel comportement s’est traduit par d’horribles guerres hégémoniquesque les peuples ont dû subir, à maintes reprises, lorsque des empires se sont livrés au jeu meurtrier d’une « compétition entre grandes puissances ».
Les cycles de guerres hégémoniques meurtrières et destructrices et les tentatives faites pour les éviter ont été bien étudiés par l’historien britannique Arnold Toynbee (1889-1975), par l’économiste américain Charles Kindleberger (1910-2003) et par d’autres chercheurs.
De nos jours, une cohorte de néoconservateurs en position d’autorité au sein de l’administration Biden, soutenue par une vingtaine de ‘think-tanks‘ va-t’en-guerre et par des fabricants d’armements bellicistes, est de facto aux commandes de la politique étrangèreaméricaine, et elle met en pratique la doctrine d’une guerre perpétuelle pour les États-Unis.
L’ONU est présentement impuissante à empêcher une guerre hégémonique
Après la Seconde Guerre mondiale, la création des Nations unies, en 1945, a fait naître l’espoir que les guerres hégémoniques étaient chose d’un passé barbare. Le but était « de préserver les générations futures du fléau de la guerre ».
L’article fondamental de la Charte des Nations unies, lequel énonce le moyen d’éviter la guerre, est son « article 33 ».
Il dit :
1- Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix.
2- Le Conseil de sécurité, s’il le juge nécessaire, invite les parties à régler leur différend par de tels moyens.
Le hic est que les grandes puissances du temps (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France) trouvèrent le moyen de se soustraire aux règles établies pour le maintien de la paix. Cela s’est fait principalement en s’octroyant elles-mêmes un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unis, formé de 15 membres — un organisme dont les décisions lient tous les membres de l’ONU. Et c’est là où en est le monde aujourd’hui. Les grandes puissances peuvent toujours mener des guerres d’agression en presque complète impunité.
Le gouvernement américain, en particulier, a de facto mis les Nations unies au rancard. Cela a été fait en se servant de l’écran de l’OTAN, à l’origine une alliance essentiellement défensive pour contenir l’ancienne Union soviétique, mais redéfinie depuis en tant qu’alliance militaire offensive, sous contrôle américain. Celle alliance aurait dû être dissoute en 1991, lorsque l’URSS s’est effondrée. De nombreux pays européens et le Canada font partie de la nouvelle OTAN belliciste.
En quelques années, on a vu le militarisme progresser aux États-Unis et dans certaines autres parties du monde, à un moment où les Nations unies sont pratiquement impuissantes à enrayer sa montée.
Pour sa part, le gouvernement de Joe Biden, en tant que supposé leader du soi-disant « monde libre », n’a pas montré beaucoup d’intérêt pour la diplomatie et les négociations, afin de résoudre les conflits internationaux. Il ne parle jamais de renforcer le système international fondé sur des règles ancrées dans la Charte des Nations unies et l’obligation de ne point recourir à la force dans les relations internationales.
L’agenda militariste de Joe Biden et son engagement envers la guerre moniale permanente
Que ce soit par coïncidence ou non, l’arrivée du président démocrate américain Joe Biden(1942- ) à la maison Blanche, il y a moins de deux ans, a été suivie d’une période chaotique de tensions intérieures et de conflits internationaux.
Le choix qu’à fait le président Joe Biden pour constituer son équipe de politique étrangère révèlent peut-être ses véritables intentions belliqueuses. Ce fut le cas lorsqu’il viola la tradition et nomma un général de carrière (Lloyd Austin), au lieu d’un civil, au poste de secrétaire à la Défense. Il a également choisi un néoconservateur reconnu (Antony Blinken) comme secrétaire d’État. M. Biden savait sans doute ce qu’il faisait avec de telles nominations. En fait, cela montrait qu’il ne comptait nullement recourir à la diplomatie dans ses relations internationales. Plusieurs autres conseillers à la sécurité nationale dans le gouvernement de Joe Biden sont dans le même camp des va-t’en-guerre.
Lors de la campagne électorale présidentielle américaine de 2020, les médias n’ont pas beaucoup parlé du passé belliciste du sénateur Joe Biden. À tort ou à raison, le candidat démocrate à la présidentielle était considéré comme plus stable mentalement, moins arrogant et moins « dangereux » que le président sortant, Donald Trump. C’est du moins ce que véhiculaient les promesses de campagne de M. Biden.
On peut en tirer une première leçon, à savoir qu’il faut bien étudier le passé d’un candidat à la présidentielle pour prédire ses futures politiques, une fois au pouvoir. L’autre leçon est que les politiques américaines sont avant tout dominées par des groupes de pression issus du monde des affaires et par un petit groupe d’Américains richissimes. Aux États-Unis, l’argent domine la politique.
Par conséquent, après le retrait précipité et chaotique des États-Unis de l’Afghanistan, ce ne fut guère une surprise complète quand l’administration Biden adopta une politique étrangère belliqueuse, tout particulièrement envers la Russie, l’Iran et la Chine. C’est une approche essentiellement axée sur une « politique de puissance » dans les rapports internationaux. Elle repose sur des provocations, des menaces et des tensions économiques, et elle implique souvent des guerres par procuration.
Le conflit militaire en Ukraine aurait pu être évité
La guerre Russo-Ukrainienne est un bel exemple de guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie. C’est une guerre qui aurait pu être évitée avec un minimum de diplomatie. Tout était pourtant en place pour que ce soit le cas.
En effet, quand le Conseil de sécurité de l’ONU adopta unanimement la Résolution 2199, le 12 février 2015, laquelle enjoignait aux pays concernés, (principalement l’Ukraine, la Russie et les États-Unis), de respecter les deux accords de Minsk du 5 septembre 2014 et du 12 février 2015, une solution diplomatique apparaissait possible.
[Pour rappel, ces deux accords prévoyaient l’instauration d’un système fédéral en Ukraine, de manière à ce que la minorité ukrainienne russophone du bassin minier du Donbas contigu à la Russie, et principalement située dans les territoires autour des villes de Donetsk et de Louhansk, puisse jouir d’un certain statut d’autonomie locale, afin de préserver sa langue et sa culture. —La France et l’Allemagne avaient supervisés ces accords.]
Même si la résolution du Conseil de sécurité liait tous les pays membres de l’ONU, ses directives ne furent pas respectées. Cet échec incita le gouvernement russe à reconnaître officiellement l’indépendance des territoires de Donetsk et de Louhansk et à envahir militairement cette région, le 24 février 2022.
L’objectif présumé était de défendre les habitants contre les attaques militaires incessantes du gouvernement ukrainien, lesquelles avaient débuté après le « coup d’état » contre le gouvernement ukrainien pro-russe du président Viktor Ianoukovitch, le 22 février 2014, (avec une forte implication du gouvernement américain.) —Ianoukovitch et son Parti des régions avaient été élus lors de l’élection présidentielle de février 2010 en Ukraine, avec 48,95% du vote populaire.
Au cours des derniers six mois de cette année, il s’est produit une escalade de la guerre russo-ukrainienne, et c’est là que réside le vrai danger d’une confrontation militaire directe entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie. Les pays européens seraient alors en première ligne d’une telle dévastation. Le monde pourrait alors être confronté à une troisième guerre mondiale, laquelle pourrait éventuellement dégénérer, par accident, en guerre mondiale nucléaire, une première dans l’histoire et probablement la dernière.
Crise de leadership en Occident
De nombreux pays sont de nos jours confrontés à une crise majeure de leadership, plusieurs nations ayant des dirigeants politiques qui ne semblent pas être en mesure de résoudre les problèmes. Certains se déclarent même disposés à lancer une guerre thermonucléaire. Dans d’autres cas, ils semblent aimer jeter de l’essence sur le feu et empirer les choses.
Les dirigeants européens soutiennent activement la dangereuse escalade militaire en Ukraine, malgré le fait que la guerre est devenue une catastrophe quotidienne pour les civils, surtout en raison de sérieuses violations du droit international humanitaire.
Dans leur soutien inconditionnel au régime ukrainien de Volodymyr Zelensky, tout se passe comme si certains dirigeants étaient prêts à accepter une guerre mondiale sur le sol européen. Si tel était le cas, ce serait la troisième grande guerre européenne en un siècle. Il n’est pas nécessaire de chercher plus loin pour comprendre le déclin relatif et la marginalisation de l’Europe dans les affaires mondiales au cours du dernier quart de siècle.
Conclusion
De nos jours, beaucoup de personnes n’ont jamais vécu une période de temps économiques difficiles et de temps de guerre. Cependant, c’est ce genre de monde que des dirigeants sans trop de substance et de jugement s’emploient à créer depuis quelques années.
Sur le front économique, une tempête parfaite se prépare alors que des déséquilibres économiques et financiers, associés aux problèmes démographiques et à des politiques environnementales coûteuses, freineront le progrès économique dans l’avenir.
Sur le plan géopolitique, l’ordre mondial unipolaire de l’après Seconde guerre mondiale est en train de s’effondrer sous nos yeux avec la conséquence que de graves conflits militaires hégémoniques risquent de se produire au cours des prochaines années.
La combinaison d’une crise économique importante et d’une crise géopolitique majeure pourrait plonger le monde dans une tempête parfaite, très déstabilisatrice.
Rodrigue Tremblay
Cet article a été publié initialement sur le site de l’auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com
Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018 « La régression tranquille du Québec, 1980-2018 », (Fides). Il est titulaire d’un doctorat en finance internationale de l’Université Stanford.
On peut le contacter à l’adresse suivante : [email protected]
Il est l’auteur du livre de géopolitique « Le nouvel empire américain » et du livre de moralité « Le Code pour une éthique globale« , de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé « La régression tranquille du Québec, 1980-2018« .
Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca