La flambée des prix de l’énergie a incité certains Européens à stocker des moyens de chauffage de base et à acheter des poêles pour se réchauffer.
Par Anastasia Safronova, rédactrice en chef de Russia Today
Source : RT, 20 août 2022
Traduction : lecridespeuples.fr
Le prix du gaz naturel a quadruplé cette année en Europe. En prévision de l’hiver et en imaginant les nouveaux sommets que les valeurs énergétiques pourraient atteindre, les consommateurs commencent à opter pour un (ancien) mode de chauffage alternatif : le bois. Une énorme demande de combustibles, ainsi que de poêles à bois, a été détectée dans plusieurs États occidentaux.
En Allemagne, où près de la moitié des foyers sont chauffés au gaz, les gens se tournent vers une source d’énergie plus garantie. Les vendeurs de bois de chauffage déclarent aux médias locaux qu’ils arrivent à peine à faire face à la demande. Le pays est également témoin d’une augmentation des cas de vol de bois.
À côté, aux Pays-Bas, les commerçants constatent que leurs clients achètent du bois plus tôt que jamais. En Belgique, les producteurs de bois luttent contre la demande, tandis que les prix augmentent, comme dans toute la région.
Au Danemark, un fabricant local de poêles a déclaré aux médias que, si la demande pour son produit était en hausse depuis le début de la pandémie de Covid, le bénéfice de cette année devrait atteindre plus de 16 millions de couronnes (2 millions d’euros), contre 2,4 millions de couronnes en 2019. Une augmentation considérable.
Même la Hongrie, un pays qui n’a pas soutenu la décision de l’UE d’éliminer progressivement les combustibles fossiles russes et qui a convenu d’un nouvel achat de gaz avec Moscou cet été, se prépare à un hiver difficile. Le pays a annoncé l’interdiction d’exporter du bois de chauffage et a assoupli certaines restrictions sur l’exploitation forestière. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) Hongrie a exprimé son inquiétude à ce sujet, déclarant : « Il n’y a pas eu de précédent à une telle décision dans notre pays depuis des décennies. »
En fait, le conflit en Ukraine n’est pas la seule raison de la crise énergétique. La hausse des prix avait déjà été observée en 2021.
« C’est l’effet des interruptions de la chaîne d’approvisionnement dues au COVID, d’un hiver très froid, d’un été très chaud et de la crise énergétique de la Chine, qui a conduit à l’achat [de] quantités énormes de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) dans le monde », explique la professeure Phoebe Koundouri, directrice du laboratoire de recherche sur la durabilité socio-économique et environnementale à l’Université d’économie et de commerce d’Athènes, et présidente de l’Association européenne des économistes de l’environnement et des ressources.
Lorsque le conflit en Ukraine a éclaté, les sanctions contre la Russie —suivies de la réponse de Moscou aux restrictions— ont fait flamber les prix.
« L’Europe doit vraiment jouer le rôle de négociateur entre l’OTAN, la Russie et l’Ukraine, et inclure la Chine dans les discussions, afin de trouver une solution qui ait un sens pour les millions de personnes qui sont touchées par cette crise géopolitique », a déclaré la professeure Koundouri.
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Un chauffage au bois « écologique »
La combustion du bois à des fins énergétiques n’a rien de nouveau dans l’UE. Au cours de la dernière décennie, elle était même considérée comme l’un des meilleurs moyens d’atteindre les objectifs environnementaux de l’Union. En 2009, l’UE a publié la première version de sa directive sur les énergies renouvelables (RED), un document qui impose des niveaux d’utilisation des énergies renouvelables dans l’Union.
Selon le texte, on entend par sources d’énergie renouvelables « les sources d’énergie non fossiles renouvelables (énergie éolienne, solaire, géothermique, houlomotrice, marémotrice, hydroélectrique, biomasse, gaz de décharge, gaz de station d’épuration des eaux usées et biogaz). » La biomasse désigne « la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus de l’agriculture (y compris les substances végétales et animales), de la sylviculture et des industries connexes, ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et municipaux. »
Le document soulignait que la combustion du bois devait être considérée parmi les sources d’énergie préférables —un point qui a depuis été débattu par un certain nombre d’écologistes.
Selon les données présentées par l’organisation militante Natural Resources Defense Council en 2019, les nations européennes dépensent 7 milliards de dollars par an en subventions pour la combustion du bois pour l’électricité ou la chaleur. L’organisation a également constaté qu’en 2017, « plus de la moitié des subventions à l’énergie de la biomasse versées en 2017 dans les 15 États membres de l’UE évalués se trouvaient en Allemagne et au Royaume-Uni. »
L’UE est le plus grand marché de granulés de bois, avec une consommation de 23,1 millions de tonnes métriques (MMT) en 2021, un record qui devrait être battu cette année. C’est ce qui ressort d’un rapport publié par le réseau mondial d’information agricole du service agricole étranger du ministère américain de l’agriculture.
« En 2022, la demande de l’UE devrait encore augmenter pour atteindre 24,3 MMT, sur la base de l’expansion des marchés résidentiels, principalement en Allemagne et en France, stimulée par les programmes de soutien à l’installation de chaudières à biomasse et le prix élevé des combustibles fossiles. La demande de granulés de bois de l’UE a largement dépassé la production nationale au cours des dix dernières années, et elle a entraîné une augmentation des importations en provenance principalement de la Russie, des États-Unis, du Belarus et de l’Ukraine. »
Après le déclenchement du conflit ukrainien, l’UE a interdit les importations de bois en provenance de Russie et du Belarus, tandis que les exportations en provenance d’Ukraine ont été perturbées par les hostilités. Entre-temps, les analystes notent que le vide est comblé par les États-Unis. Le volume des exportations du pays, qui n’a cessé de croître au cours de la dernière décennie, « est en avance sur celui de l’année dernière, où un record de plus de 7,4 millions de tonnes métriques de granulés de bois américains ont été vendues à l’étranger », rapporte le Wall Street Journal, citant le Foreign Agricultural Service. « Le prix moyen avant frais d’assurance et d’expédition est passé à près de 170 dollars la tonne métrique, contre environ 140 dollars l’année dernière. »
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Repenser la politique
Dès à présent, les citoyens allemands, par exemple, peuvent bénéficier de subventions lorsqu’ils se tournent vers le bois comme moyen de chauffage. Le gouvernement néerlandais, en revanche, est devenu moins favorable au chauffage au bois. Cette année, le gouvernement a décidé de ne plus accorder de subventions pour l’utilisation de la biomasse dans les systèmes de chauffage urbain et pour le chauffage des serres.
Au Royaume-Uni, un conflit persiste au sujet de Drax, la plus grande centrale d’énergie renouvelable du pays. En 2021, l’entreprise a reçu 893 millions de livres (1 milliard de dollars) de subventions gouvernementales pour brûler de la biomasse forestière. Tout récemment, The Guardian a rapporté que le Secrétaire aux affaires et à l’énergie, Kwasi Kwarteng, a déclaré lors d’une réunion privée de députés que l’importation de bois pour brûler à la centrale de Drax « n’est pas durable » et « n’a aucun sens. » La plupart des granulés de bois utilisés par Drax proviennent des États-Unis et du Canada. « Cela ne sert à rien de les faire venir de Louisiane —ce n’est pas durable… transporter ces granulés de bois à l’autre bout du monde —cela n’a aucun sens pour moi », a ajouté M. Kwarteng.
Cette année, la commission de l’environnement du Parlement européen a voté de nouvelles règles définissant ce qui peut être considéré comme de la « biomasse durable » dans le cadre de la directive révisée sur les énergies renouvelables. Il a ainsi été décidé que la biomasse ligneuse primaire —essentiellement du bois non transformé— ne devait pas être considérée comme une source d’énergie renouvelable et ne devait pas bénéficier d’incitations. D’un point de vue environnemental, la combustion du bois est une mesure pour le moins discutable. Selon les données du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la teneur en CO2 du bois par unité d’énergie est comparable à celle du charbon, et est beaucoup plus élevée que celle du gaz.
« Nous devrions être clairs —en tout cas, je le suis— sur le fait que l’UE devrait préciser dans toutes ses politiques que l’utilisation de la biomasse, y compris la combustion du bois, ne peut se faire à grande échelle », déclare la professeure Koundouri. Elle explique qu’une éventuelle crise de la biodiversité constitue une menace encore plus grande que la crise climatique elle-même. « La crise de la biodiversité est causée par l’effondrement des services écosystémiques, et la robustesse et la continuité des services écosystémiques sont basées sur la capacité des écosystèmes à avoir une riche biodiversité, soutenant une riche chaîne d’approvisionnement alimentaire. » Il est clair que le fait que l’UE repense sa dépendance à la combustion du bois pour l’électricité est la bonne étape, note la professeure Koundouri, mais selon elle, l’Europe agir plus rapidement.
Faire face à la crise
« L’Union européenne a investi beaucoup d’argent et déployé beaucoup d’autres efforts, comme des ressources humaines ou intellectuelles, pour améliorer la qualité de l’environnement », explique le professeur Aleksandar Djikic, de l’International Business College de Mitrovica, en Serbie. « Cette crise va certainement changer beaucoup de ces réalisations environnementales. »
Et c’est quelque chose que nous voyons en ce moment même : en juillet, le Parlement européen a soutenu une proposition visant à qualifier le gaz naturel et les centrales nucléaires d’investissements respectueux du climat, déclenchant ainsi un nouveau débat environnemental.
« Nous, en tant qu’Européens, nous sommes engagés dans un Green Deal, qui dit que d’ici 2030 nous allons réduire les émissions de CO2 de 55% et que nous allons devenir climatiquement neutres d’ici 2050 », explique la professeure Koundouri. « Lorsque vous avez une mission visionnaire pour faire face au changement climatique, et que vous transformez cette vision en politiques et en paquets d’investissements, il faut s’attendre à ce que vous soyez confrontés à certaines crises pendant la période de transition. La lutte contre le changement climatique est une énorme transformation. Nous n’avons jamais connu une transformation aussi importante des secteurs de la santé et du bien-être, du secteur de l’éducation, de la façon dont nous construisons nos communautés et nos villes et de la façon dont nous utilisons nos terres et notre eau. »
Pour elle, la situation actuelle n’est pas une raison pour abandonner l’agenda environnemental. « Si vous faites face à un événement inattendu, deux choses se produisent. Première chose, vous réalisez ce que vous avez fait et ce que vous n’avez pas fait pour être à l’abri de la crise. L’Europe aurait dû investir plus rapidement dans les énergies renouvelables. Deuxièmement, on se dit : ‘OK, je n’ai pas été assez rapide, maintenant je dois accepter la réalité : je vais utiliser le charbon et le nucléaire, mais je sais qu’ils ne seront utilisés que pendant une courte période et qu’il n’y aura pas de nouveaux investissements dans le gaz naturel, le charbon et le nucléaire, mais dans les énergies renouvelables.’ »
Selon le professeur Djikic, l’UE va devoir faire de nombreux pas en arrière. De plus, il s’attend à ce que les pays les plus pauvres du bloc soient exposés à la déforestation.
« L’Union européenne, à mon avis, s’est lancée dans cette ‘aventure’ sans s’y préparer à l’avance », déclare-t-il.
Mettons donc de côté les objectifs stratégiques : qu’en est-il des citoyens moyens qui font face à la hausse des prix de l’énergie et qui veulent simplement ne pas grelotter en hiver ? « Les gens ne peuvent pas faire grand-chose, ils dépendent de la politique de leur pays. Si les politiciens s’assoient, réfléchissent et essaient de trouver une solution, ce sera une bonne chose pour les gens. Dans le cas contraire, la crise énergétique affectera la vie quotidienne », affirme le professeur Djikic. « Les gouvernements doivent y réfléchir à deux fois, reconsidérer ce qu’ils peuvent faire dans l’intérêt de la population. »
Le dialogue est le seul moyen de trouver une issue, conclut la Professeure Koundouri. « Il incombe aux dirigeants politiques de s’asseoir et de réfléchir sérieusement à la manière dont ils vont résoudre ce problème ; c’est le seul moyen de gagner en tant que race humaine. Si nous continuons à se laisser distraire les uns des autres, alors toute la situation ne peut pas bien se terminer. »
Voir notre dossier sur la situation en Ukraine.
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