On dénonce, on dénonce, et puis un jour, ça vous revient dans la gueule. C’est ce qui est arrivé au journal satirique qui s’est fait poisser pour une histoire d’emploi fictif. C’est France Inter qui a levé le lièvre. Mais la nouveauté, c’est que la balance est un journaliste maison !
C’est par hasard que Christophe Nobili a découvert l’an dernier qu’une femme dont il n’avait jamais entendu parler, bénéficiait d’une carte de presse domiciliée au Canard enchaîné. Découverte intrigante dans cette petite rédaction qui emploie une vingtaine de journalistes permanents, d’autant plus intrigante pour ce spécialiste des « affaires ». Outre l’enquête sur les emplois fictifs du couple Fillon, Christophe Nobili a fréquemment travaillé sur des dossiers d’escroqueries financières présumées, touchant les intérêts du groupe Bolloré en Afrique, ceux du groupe Bouygues dans la construction du ministère de la Défense à Paris, ou encore les montages financiers de Dieudonné.
On renifle un parfum, chez ce Nobili, de commande du pouvoir profond, mais ce n’est pas le sujet et on se trompe sûrement. Tout ce qui fleure bon le patriotisme, la liberté d’expression, la réussite économique française, est louche pour les journalistes mainstream : Bolloré, ennemi personnel de Macron, l’armée, ces assassins, Dieudonné, l’humoriste résistant au Conseil de l’ordre nouveau… De la pure cible de gauchiste, et de gauchiste logique, on se comprend.
Le volatile aurait donc refilé 3 millions en 20 ans d’emploi fictif de la compagne du dessinateur Escaro, qui a aujourd’hui 94 ans, et qui siège au conseil d’administration du journal, un journal assis sur près de 130 millions d’euros de trésorerie (on dit « de fonds propres »). C’est Nicolas Brimo le maître d’œuvre de ce montage financier, qui met le titre à l’abri pour des années.
Ceci étant dit, l’hebdomadaire poil-à-gratter perd des lecteurs et des acheteurs chaque année (environ 20 000) : les scoops sont rares, et ce journal de vieux bourgeois n’a pas pris la mesure de l’information sur le Net à temps. Résultat, les révélations autrefois très attendues le mercredi font pschitt face aux grosses affaires balancées sur les réseaux sociaux, là où on vise le pouvoir profond, et plus seulement le pouvoir visible avec des petites blagues, des jeux de mots sans conséquence.
Dans les kiosques, on achète moins le Canard, d’abord parce qu’il y a de moins en moins de kiosques : c’est toute la presse qui en souffre. La vente au numéro s’étiole, et les abonnements numériques ne compensent pas ces pertes.
Ce qu’il constate, ce sont les chiffres : depuis un an, Le Canard enchaîné a engrangé 20 000 abonnements, dont la moitié en version numérique (à 4,20 € par mois, contre 5 € en version papier), pour un total de 90 000 abonnés. « Ce ne sont pas de nouveaux lecteurs, mais des personnes qui n’avaient plus de points de vente près de chez eux. La fermeture des points de ventes a été catastrophique », insiste Nicolas Brimo, citant une étude du groupe Bayard selon laquelle le passage de 33 000 à 20 000 marchands de journaux sur 20 ans « a entraîné une baisse de 25 % de la vente au numéro de l’ensemble de la presse ».
C’est Nicolas Brimo qui le dit à La Croix.
S’il juge stimulant le développement du journalisme d’enquête dans la presse, il relève la chute de sa rentabilité à l’ère numérique. « Il y a 15 ans, un scoop nous apportait 25 % de lecteurs du journal en kiosque en plus, aujourd’hui c’est 10 % environ ». Comme l’avait déjà étudié, avec des chercheurs de l’INA, l’économiste des médias Julia Cagé en 2017, toute information inédite est reprise en moins de trois heures par les concurrents, qui en tirent profit en termes d’audience.
Les scoops du Canard, parlons-en : celui sur Fillon et sa femme en 2017 ont été le moyen par lequel les macronistes ont coulé le leader de la droite, qui aurait dû être élu en 2017. L’opération de dégagement pour quelques milliers d’euros est un exemple de fausse affaire montée en épingle pour des motifs politiques. On ne peut alors plus parler d’indépendance. Ce que fait pourtant Brimo :
Assis sur une trésorerie de 120 millions d’euros de fonds propres, l’hebdomadaire sans publicité, qui appartient à sa quarantaine de journalistes et refuse toute aide de l’État ou de Google, a de quoi assurer l’avenir, mais entend préserver ce « trésor de guerre », socle de son indépendance. « Si vous perdez de l’argent, la liberté de la presse y passe », insiste Nicolas Brimo, qui table « sur le retour de la rentabilité en 2021 ».
Quand on fait partie du pouvoir profond, qu’on a de l’influence, on ne mord pas la main qui vous nourrit. Le Canard enchaîné est, sous son apparence satirique, une officine socialo-sioniste de la plus belle espèce. Et c’est seulement parce que le Canard est imprimé sur du papier à deux balles, sans photo et avec trois dessins, qu’il est encore rentable aujourd’hui. La période faste de l’indépendance, si elle a existé un jour, connaissant les relais du Canard dans le monde des forces occultes, est passée.
L’indépendance par rapport au pouvoir visible n’est rien, celle par rapport au pouvoir profond est tout. En ce sens, et le Canard et Mediapart ne sont indépendants. Nous, si.
2017 : quand le Canard travaille objectivement pour Macron
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation