Interview du Secrétaire Général du Hezbollah, Sayed Hassan Nasrallah, le 27 août 2006, 13 jours après le cessez-le-feu entre Israël et le Liban qui a mis fin à la guerre de 33 jours.
Précédé d’un article de Seymour Hersh parsemé de propagande, mais révélant que loin d’être une simple réaction à la capture de deux soldats par le Hezbollah, la guerre d’annihilation israélienne contre le Hezbollah avait été préparée de longue date et était inévitable, l’opération du Hezbollah l’ayant simplement avancée de 2 mois.
En 2019 et 2020, Le Cri des Peuples a intégralement traduit les 9 interventions de Nasrallah durant la guerre de 2006, auparavant inaccessibles pour le public francophone. Les 4 dernières interventions d’après-guerre, également inédites en français, sont traduites et publiées cette année à leur date anniversaire (14 août, 27 août, 12 septembre et enfin le fameux discours de la ‘Victoire divine’ le 22 septembre).
Voir les discours précédents : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10.
La guerre de 2006, prélude à une attaque américaine contre l’Iran
Par Seymour Hersh
Source : The New Yorker, 13 août 2006
Traduction : lecridespeuples.fr
Dans les jours qui ont suivi l’opération transfrontalière du Hezbollah libanais en Israël, le 12 juillet, pour capturer deux soldats, déclenchant une attaque aérienne israélienne sur le Liban et une guerre totale, l’administration Bush a semblé étrangement passive. « C’est un moment de clarification », a déclaré le président George W. Bush au sommet du G-8, à Saint-Pétersbourg, le 16 juillet. « Il est maintenant devenu clair pourquoi nous n’avons pas la paix au Moyen-Orient ». Il a décrit la relation entre le Hezbollah et ses partisans en Iran et en Syrie comme l’une des « causes profondes de l’instabilité », et a ensuite déclaré qu’il appartenait à ces pays de mettre fin à la crise. Deux jours plus tard, malgré les appels de plusieurs gouvernements pour que les États-Unis prennent la tête des négociations pour mettre fin aux combats, la secrétaire d’État Condoleezza Rice a déclaré qu’un cessez-le-feu devait être reporté jusqu’à ce que « les conditions soient propices ».
L’administration Bush, cependant, a été étroitement impliquée dans la planification des attaques de représailles d’Israël. Le président Bush et le vice-président Dick Cheney étaient convaincus, m’ont dit des responsables actuels et anciens du renseignement et de la diplomatie, qu’une campagne de bombardement réussie de l’armée de l’air israélienne contre les complexes souterrains lourdement fortifiés de missiles et de commandement et de contrôle du Hezbollah au Liban pourrait apaiser les inquiétudes d’Israël en matière de sécurité et également servir de prélude à une éventuelle attaque préventive américaine visant à détruire les installations nucléaires de l’Iran, dont certaines sont également enfouies profondément sous terre.
Les experts militaires et du renseignement israéliens avec lesquels j’ai parlé ont souligné que les problèmes de sécurité immédiats du pays étaient une raison suffisante pour affronter le Hezbollah, indépendamment de ce que voulait l’administration Bush. Shabtai Shavit, conseiller en matière de sécurité nationale à la Knesset, qui a dirigé le Mossad, le service israélien de renseignement extérieur, de 1989 à 1996, m’a dit : « Nous faisons ce que nous pensons être le mieux pour nous, et s’il se trouve que cela répond aux exigences des États-Unis, cela fait partie de la relation entre deux amis. Le Hezbollah est armé jusqu’aux dents et entraîné aux technologies les plus avancées de la guérilla. C’était juste une question de temps. Nous devions lui faire face. »
Le Hezbollah est considéré par les Israéliens comme une menace profonde, une organisation terroriste, opérant à leur frontière, avec un arsenal militaire qui, avec l’aide de l’Iran et de la Syrie, s’est renforcé depuis la fin de l’occupation israélienne du sud du Liban, en 2000. Le chef du Hezbollah, le cheikh Hassan Nasrallah, a déclaré qu’il ne croyait pas qu’Israël était un « État légitime ». Les services de renseignement israéliens ont estimé au début de la guerre aérienne que le Hezbollah disposait d’environ cinq cents roquettes Fajr-3 et Fajr-5 de moyenne portée et de quelques dizaines de roquettes Zelzal de longue portée ; les Zelzal, d’une portée d’environ deux cents kilomètres, pouvaient atteindre Tel Aviv. (Une roquette a touché Haïfa le lendemain de la capture des prisonniers.) Il dispose également de plus de 12 000 roquettes à plus courte portée. Depuis le début du conflit, plus de trois mille d’entre elles ont été tirées sur Israël.
Selon un expert du Moyen-Orient connaissant la pensée actuelle des gouvernements israélien et américain, Israël avait conçu un plan d’attaque du Hezbollah — et l’avait partagé avec les responsables de l’administration Bush — bien avant la capture du 12 juillet. « Ce n’est pas que les Israéliens avaient un piège dans lequel le Hezbollah est tombé », a-t-il dit, « mais il y avait un fort sentiment à la Maison Blanche que tôt ou tard les Israéliens allaient le faire ».
Selon l’expert du Moyen-Orient, l’administration avait plusieurs raisons de soutenir la campagne de bombardements israélienne. Au sein du département d’État, elle était considérée comme un moyen de renforcer le gouvernement libanais afin qu’il puisse affirmer son autorité sur le sud du pays, dont une grande partie est contrôlée par le Hezbollah. Il poursuit : « La Maison Blanche s’attachait davantage à priver le Hezbollah de ses missiles, car s’il devait y avoir une option militaire contre les installations nucléaires de l’Iran, il fallait se débarrasser des armes que le Hezbollah pourrait utiliser en cas de représailles potentielles contre Israël. Bush voulait les deux. Bush s’en prenait à l’Iran, en tant que membre de l’Axe du Mal, et à ses sites nucléaires, et il était intéressé à s’en prendre au Hezbollah dans le cadre de son intérêt pour la ‘démocratisation’, le Liban étant l’un des joyaux de la couronne de la démocratie au Moyen-Orient. »
Les responsables de l’administration ont nié être au courant du plan israélien pour la guerre aérienne. La Maison Blanche n’a pas répondu à une liste détaillée de questions. En réponse à une demande distincte, un porte-parole du Conseil national de sécurité a déclaré : « Avant l’attaque du Hezbollah contre Israël, le gouvernement israélien n’a donné à aucun responsable à Washington la moindre raison de croire qu’Israël planifiait une attaque. Même après l’attaque du 12 juillet, nous ne savions pas quels étaient les plans israéliens. » Un porte-parole du Pentagone a déclaré : « Le gouvernement des États-Unis reste attaché à une solution diplomatique au problème du programme clandestin d’armes nucléaires de l’Iran » et a démenti cette histoire, tout comme un porte-parole du département d’État.
Les États-Unis et Israël partagent des renseignements et entretiennent une étroite coopération militaire depuis des décennies, mais au début du printemps, selon un ancien haut responsable des services de renseignement, des planificateurs de haut niveau de l’armée de l’air américaine — sous la pression de la Maison Blanche pour qu’ils élaborent un plan de guerre en vue d’une frappe décisive contre les installations nucléaires iraniennes — ont commencé à consulter leurs homologues de l’armée de l’air israélienne.
« La grande question pour notre armée de l’air était de savoir comment frapper avec succès une série de cibles difficiles en Iran », a déclaré l’ancien haut responsable du renseignement. « Qui est le plus proche allié de l’armée de l’air américaine dans sa planification ? Ce n’est pas le Congo, c’est Israël. Tout le monde sait que les ingénieurs iraniens ont conseillé le Hezbollah sur les tunnels et les emplacements souterrains pour les armes. L’armée de l’air est donc allée voir les Israéliens avec de nouvelles tactiques et leur a dit : ‘Concentrons-nous sur les bombardements et partageons ce que nous avons sur l’Iran et ce que vous avez sur le Liban’. Les discussions ont atteint les chefs d’état-major interarmées et le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld », affirme-t-il.
« Les Israéliens nous ont dit que ce serait une guerre low cost avec de nombreux avantages », a déclaré un consultant du gouvernement américain ayant des liens étroits avec Israël. « Pourquoi s’y opposer ? Nous serons en mesure de chasser et de bombarder les missiles, les tunnels et les bunkers depuis les airs. Ce serait une répétition pour l’Iran. »
Un consultant du Pentagone a déclaré que la Maison Blanche de Bush « s’agite depuis un certain temps pour trouver une raison de porter un coup préventif contre le Hezbollah. » Il a ajouté : « Nous avions l’intention de faire diminuer le Hezbollah, et maintenant quelqu’un d’autre s’en charge. » (Au moment de la mise sous presse de cet article, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution de cessez-le-feu, sans que l’on sache si cela changerait la situation sur le terrain).
Selon Richard Armitage, qui a été secrétaire d’État adjoint lors du premier mandat de Bush — et qui, en 2002, a déclaré que le Hezbollah « pourrait être l’élite mondiale des terroristes » — la campagne d’Israël au Liban, qui s’est heurtée à des difficultés inattendues et à de nombreuses critiques, pourrait, en fin de compte, servir d’avertissement à la Maison Blanche au sujet de l’Iran. « Si la force militaire la plus dominante dans la région — les Forces de défense israéliennes — ne peut pas pacifier un pays comme le Liban, avec une population de quatre millions d’habitants, vous devriez réfléchir soigneusement avant d’appliquer ce modèle à l’Iran, avec une profondeur stratégique et une population de soixante-dix millions d’habitants », a déclaré Armitage. « La seule chose que les bombardements ont obtenue jusqu’à présent, c’est d’unir la population contre les Israéliens. »
Plusieurs fonctionnaires actuels et anciens impliqués dans le Moyen-Orient m’ont dit qu’Israël considérait l’enlèvement des soldats comme le moment opportun pour commencer sa campagne militaire prévue de longue date contre le Hezbollah. « Le Hezbollah, précis comme une horloge, était à l’origine de quelque escarmouche tous les mois ou tous les deux mois », a déclaré le consultant du gouvernement américain ayant des liens avec Israël. Deux semaines auparavant, fin juin, des membres du Hamas, le groupe palestinien, avaient creusé un tunnel sous la barrière séparant le sud de Gaza d’Israël et capturé un soldat israélien [Gilad Shalit]. Le Hamas avait également lancé une série de roquettes sur des villes israéliennes proches de la frontière avec Gaza. En réponse, Israël a lancé une vaste campagne de bombardements et réoccupé certaines parties de Gaza.
Le consultant du Pentagone a noté qu’il y avait également des incidents transfrontaliers impliquant Israël et le Hezbollah, dans les deux sens, depuis un certain temps. « Ils se tirent dessus », a-t-il dit. « L’un ou l’autre camp aurait pu pointer du doigt un incident et dire ‘Nous devons entrer en guerre avec ces gars-là’ — parce qu’ils étaient déjà en guerre. »
David Siegel, le porte-parole de l’ambassade d’Israël à Washington, a pour sa part déclaré que l’armée de l’air israélienne n’avait pas cherché une raison d’attaquer le Hezbollah. « Nous n’avons pas planifié la campagne. Cette décision nous a été imposée ». Il y avait des alertes permanentes selon lesquelles le Hezbollah « faisait pression pour passer à l’attaque », a déclaré Siegel. « Le Hezbollah attaque tous les deux ou trois mois », mais l’enlèvement des soldats a fait monter les enchères.
Lors d’interviews, plusieurs universitaires, journalistes et officiers de l’armée et des services de renseignement israéliens à la retraite ont tous insisté sur un point : ils estiment que ce sont les dirigeants israéliens, et non Washington, qui ont décidé d’entrer en guerre contre le Hezbollah. Les sondages d’opinion montrent qu’un large éventail d’Israéliens soutient ce choix. « Les néoconservateurs de Washington peuvent être heureux, mais Israël n’avait pas besoin d’être poussé, car Israël voulait se débarrasser du Hezbollah », a déclaré Yossi Melman, journaliste à Ha’aretz, qui a écrit plusieurs livres sur la communauté du renseignement israélien. « En provoquant Israël, le Hezbollah a fourni cette opportunité ».
« Nous étions confrontés à un dilemme », a déclaré un responsable israélien. Le Premier ministre Ehoud Olmert « devait décider s’il fallait opter pour une réponse locale, ce que nous faisons toujours, ou pour une réponse globale — pour vraiment s’en prendre au Hezbollah une fois pour toutes. » Olmert a pris sa décision, selon le fonctionnaire, seulement après qu’une série d’efforts de sauvetage israéliens aient échoué. […]
Plus tôt cet été, avant les enlèvements du Hezbollah, a déclaré le consultant du gouvernement américain, plusieurs responsables israéliens se sont rendus à Washington, séparément, « pour obtenir le feu vert pour l’opération de bombardement et pour savoir combien les États-Unis supporteraient. » Le consultant a ajouté : « Israël a commencé par Cheney. Il voulait être sûr d’avoir son soutien et celui de son bureau et du bureau du Moyen-Orient du Conseil national de sécurité. » Après cela, « persuader Bush n’a jamais été un problème, et Condi Rice était partante », a déclaré le consultant.
Le plan initial, tel qu’il a été exposé par les Israéliens, prévoyait une campagne de bombardement de grande envergure en réponse à la prochaine provocation du Hezbollah, affirme cet expert du Moyen-Orient qui connaît les réflexions américaines et israéliennes. Selon l’ancien haut responsable des services de renseignement, Israël pensait qu’en ciblant l’infrastructure du Liban, notamment les autoroutes, les dépôts de carburant et même les pistes civiles du principal aéroport de Beyrouth, il pourrait persuader les importantes populations chrétiennes et sunnites du Liban de se retourner contre le Hezbollah. L’aéroport, les autoroutes et les ponts, entre autres, ont été touchés par la campagne de bombardements. La semaine dernière, l’armée de l’air israélienne avait effectué près de neuf mille missions. (David Siegel, le porte-parole israélien, a déclaré qu’Israël n’avait visé que les sites liés au Hezbollah ; le bombardement des ponts et des routes était prétendument destiné à empêcher le transport d’armes).
Le plan israélien, selon l’ancien haut responsable du renseignement, était « l’image miroir de ce que les États-Unis ont planifié pour l’Iran ». (Les propositions initiales de l’armée de l’air américaine pour une attaque aérienne visant à détruire la capacité nucléaire de l’Iran, qui comprenaient l’option d’un bombardement intensif de cibles d’infrastructures civiles à l’intérieur de l’Iran, se sont heurtées à la résistance des hauts responsables de l’armée, de la marine et du corps des marines, selon des responsables actuels et anciens. Ils soutiennent que le plan de l’armée de l’air ne fonctionnera pas et conduira inévitablement, comme dans la guerre israélienne contre le Hezbollah, à l’insertion de troupes sur le terrain).
Uzi Arad, qui a servi pendant plus de deux décennies au Mossad, m’a dit qu’à sa connaissance, les contacts entre les gouvernements israélien et américain étaient routiniers, et que, « dans toutes mes réunions et conversations avec des responsables gouvernementaux, jamais je n’ai entendu quelqu’un faire référence à une coordination préalable avec les États-Unis. » Il a été troublé par une question — la rapidité avec laquelle le gouvernement Olmert est entré en guerre. « De toute ma vie, je n’ai jamais vu une décision d’entrer en guerre prise aussi rapidement », a-t-il déclaré. « D’habitude, nous passons par de longues analyses ».
Le principal planificateur militaire était le lieutenant général Dan Halutz, chef d’état-major de Tsahal, qui, au cours d’une carrière dans l’armée de l’air israélienne, a travaillé sur la planification d’urgence d’une guerre aérienne avec l’Iran. Olmert, ancien maire de Jérusalem, et Peretz, ancien dirigeant syndical, ne pouvaient pas égaler son expérience et son expertise. […]
Le bureau de Cheney a soutenu le plan israélien, tout comme Elliott Abrams, un conseiller adjoint à la sécurité nationale, selon plusieurs responsables anciens et actuels. (Un porte-parole du Conseil de Sécurité Nationale [N. S. C.] a démenti qu’Abrams l’ait soutenu.) Ils pensaient qu’Israël devait agir rapidement dans sa guerre aérienne contre le Hezbollah. Un ancien officier de renseignement a déclaré : « Nous avons dit à Israël : ‘Ecoutez, si vous devez y aller, nous sommes derrière vous jusqu’au bout. Mais nous pensons que cela devrait être tôt plutôt que tard — plus vous attendez, moins nous avons de temps pour évaluer et planifier l’Iran avant que Bush ne quitte son poste’. »
Selon l’ancien haut responsable du renseignement, l’argument de Cheney était le suivant : « Et si les Israéliens exécutent leur part de l’opération en premier, et que c’est vraiment un succès ? Ce serait formidable. Nous pouvons apprendre ce qu’il faut faire en Iran en regardant ce que les Israéliens font au Liban. »
Le consultant du Pentagone m’a dit que les renseignements sur le Hezbollah et l’Iran sont malmenés par la Maison Blanche de la même manière que les renseignements l’avaient été lorsque, en 2002 et au début de 2003, l’administration avait prétendu que l’Irak possédait des armes de destruction massive. « La communauté du renseignement se plaint aujourd’hui que toutes les informations importantes sont envoyées directement au sommet — sur l’insistance de la Maison Blanche — et ne sont pas ou peu analysées », a-t-il déclaré. « C’est une politique affreuse qui viole toutes les règles de la NSA, et si vous vous en plaignez, vous êtes viré », a-t-il ajouté. « Cheney a eu une main forte dans cette affaire. »
L’objectif à long terme de l’administration était d’aider à mettre en place une coalition arabe sunnite — comprenant des pays comme l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Égypte — qui se joindrait aux États-Unis et à l’Europe pour faire pression sur les mollahs chiites au pouvoir en Iran. « Mais l’idée qui sous-tendait ce plan était qu’Israël allait vaincre le Hezbollah, et non pas perdre face à lui », a déclaré le consultant ayant des liens étroits avec Israël. Certains responsables du bureau de Cheney et du N. S. C. avaient acquis la conviction, sur la base de discussions privées, que ces nations modéreraient leurs critiques publiques d’Israël et blâmeraient le Hezbollah pour avoir créé la crise qui a conduit à la guerre. Bien qu’ils l’aient fait dans un premier temps, ils ont changé de position à la suite des protestations publiques dans leurs pays face aux bombardements israéliens. La Maison-Blanche a été clairement déçue lorsque, à la fin du mois dernier, le prince Saud al-Faisal, ministre saoudien des Affaires étrangères, est venu à Washington et, lors d’une réunion avec Bush, a demandé au président d’intervenir immédiatement pour mettre fin à la guerre. Le Washington Post a rapporté que Washington avait espéré mobiliser les États arabes modérés « afin de faire pression sur la Syrie et l’Iran pour qu’ils retiennent le Hezbollah, mais le geste saoudien… a semblé obscurcir cette initiative. »
La force surprenante de la résistance du Hezbollah, et sa capacité continue à tirer des roquettes sur le nord d’Israël face aux bombardements israéliens constants, m’a dit l’expert du Moyen-Orient, « est un revers massif pour ceux qui, à la Maison Blanche, veulent utiliser la force en Iran. Et ceux qui affirment que les bombardements vont créer une dissidence interne et une révolte en Iran sont également mis en échec. »
Néanmoins, certains officiers servant auprès des chefs d’état-major interarmées restent profondément préoccupés par le fait que l’administration aura une évaluation beaucoup plus positive de la campagne aérienne qu’elle ne le devrait, a déclaré l’ancien haut responsable du renseignement. « Il est impossible que Rumsfeld et Cheney tirent la bonne conclusion à ce sujet », a-t-il déclaré. « Quand la fumée se dissipera, ils diront que c’était un succès, et ils en tireront un renforcement de leur plan d’attaque de l’Iran. »
A la Maison Blanche, notamment dans le bureau du vice-président, de nombreux responsables estiment que la campagne militaire contre le Hezbollah fonctionne et doit être poursuivie. En même temps, selon le consultant gouvernemental, certains décideurs de l’administration ont conclu que le coût des bombardements pour la société libanaise est trop élevé. « Ils disent à Israël qu’il est temps de mettre un terme aux attaques contre les infrastructures ».
Des divisions similaires apparaissent en Israël. David Siegel, le porte-parole israélien, a déclaré que les dirigeants de son pays pensaient, début août, que la guerre aérienne avait été un succès et qu’elle avait détruit plus de soixante-dix pour cent de la capacité de lancement de missiles à moyenne et longue portée du Hezbollah. « Le problème, ce sont les missiles à courte portée, sans lanceur, qui peuvent être tirés depuis des zones et des maisons civiles » [propagande grotesque], m’a dit Siegel. « La seule façon de résoudre ce problème est de mener des opérations terrestres — c’est pourquoi Israël serait obligé d’étendre ses opérations terrestres si le dernier cycle de diplomatie ne fonctionne pas. » La semaine dernière, cependant, il y avait des preuves que le gouvernement israélien était troublé par la progression de la guerre. Dans un geste inhabituel, le major général Moshe Kaplinsky, adjoint de Halutz, a été chargé de l’opération, supplantant le major général Udi Adam. En Israël, on craint que Nasrallah n’aggrave la crise en tirant des missiles sur Tel Aviv. « Il y a un grand débat sur l’ampleur des dégâts qu’Israël doit infliger pour l’empêcher », a déclaré le consultant. « Si Nasrallah frappe Tel Aviv, que doit faire Israël ? Son objectif est de dissuader d’autres attaques en disant à Nasrallah qu’il détruira son pays s’il n’arrête pas, et de rappeler au monde arabe qu’Israël peut le ramener vingt ans en arrière. Nous ne jouons plus selon les mêmes règles. »
Un officier de renseignement européen m’a dit : « Les Israéliens ont été pris dans un piège psychologique. Dans les années précédentes, ils avaient la conviction qu’ils pouvaient résoudre leurs problèmes en étant brutaux. Mais maintenant, avec le martyre islamique, les choses ont changé, et ils ont besoin de réponses différentes. Comment effrayer des gens qui aspirent ardemment au martyre ? » Selon l’officier de renseignement, le problème lorsqu’on essaie d’éliminer le Hezbollah, ce sont les liens du groupe avec la population chiite du sud du Liban, de la vallée de la Bekaa et de la banlieue sud de Beyrouth, où il gère des écoles, des hôpitaux, une station de radio et diverses organisations caritatives.
Un planificateur militaire américain de haut niveau m’a dit : « Nous sommes très vulnérables dans la région, et nous avons parlé de certains des effets d’une attaque iranienne ou du Hezbollah sur le régime saoudien et sur l’infrastructure pétrolière. » Le Pentagone est particulièrement préoccupé, a-t-il ajouté, par les pays producteurs de pétrole situés au nord du détroit d’Ormuz. « Nous devons anticiper les conséquences involontaires », m’a-t-il dit. « Serons-nous capables d’absorber un baril de pétrole à cent dollars ? Il y a cette pensée presque comique que vous pouvez tout faire depuis les airs, même lorsque vous êtes face à un ennemi irrégulier avec une capacité avancée. Vous ne réussirez pas si vous n’avez pas une présence au sol, mais les dirigeants politiques n’envisagent jamais le pire des cas. Ils ne veulent entendre que le meilleur des cas. »
Il existe des preuves que les Iraniens s’attendaient à la guerre contre le Hezbollah. Vali Nasr, expert des musulmans chiites et de l’Iran, membre du Council on Foreign Relations et enseignant à la Naval Postgraduate School, à Monterey, en Californie, a déclaré : « Chaque action négative des Américains contre le Hezbollah était considérée par l’Iran comme faisant partie d’une campagne plus vaste contre lui. Et l’Iran a commencé à se préparer à l’épreuve de force en fournissant des armes plus sophistiquées au Hezbollah — des missiles antinavires et antichars — et en formant ses combattants à leur utilisation. Et maintenant, le Hezbollah teste les nouvelles armes de l’Iran [les missiles antinavires du Hezbollah sont chinois, et ses missiles antichars sont russes…]. L’Iran considère que l’administration Bush essaie de marginaliser son rôle régional, alors il a fomenté des troubles. »
Nasr, un Irano-américain qui a récemment publié une étude sur le clivage sunnite-chiite intitulée Le renouveau chiite, a également déclaré que les dirigeants iraniens pensent que l’objectif politique ultime de Washington est d’obtenir qu’une force internationale fasse office de tampon — pour séparer physiquement la Syrie et le Liban dans le but d’isoler et de désarmer le Hezbollah, dont la principale voie d’approvisionnement passe par la Syrie. « L’action militaire ne peut pas apporter le résultat politique souhaité », a déclaré M. Nasr. La popularité du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, un critique virulent d’Israël, est la plus grande dans son propre pays. Si les États-Unis devaient attaquer les installations nucléaires iraniennes, a déclaré M. Nasr, « vous pourriez finir par transformer Ahmadinejad en un autre Nasrallah — la rock star de la rue arabe. » […]
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Interview de Sayed Hassan Nasrallah par la chaîne libanaise Al-Jadeed, 27 août 2006.
Source : Voice of Hezbollah
Traduction : lecridespeuples.fr
Transcription :
Al-Jadeed : Tout d’un coup, je me suis retrouvée face à face avec le maître de tous les événements. « L’entretien va avoir lieu immédiatement », m’a-t-on dit, et le reste est entre les mains du « Parti de Dieu », comme d’habitude lorsqu’on à affaire au Hezbollah. Comment cela peut-il être alors que je n’ai pas encore écrit les mots les plus doux au Sayed [Nasrallah] ? Je ne lui ai pas envoyé les lettres des mères, parfumées de la fragrance de leurs fils martyrs. Je ne lui ai pas non plus écrit à propos des jours que nous avons vécus pendant la guerre, rêvant de le rencontrer. J’ai passé chaque minute des 34 jours à préparer une introduction au Sayed [Nasrallah] dans l’espoir de le rencontrer pendant la guerre ; mais me voici face à lui à un moment qui est décrit comme celui d’une paix fragile.
Votre Éminence, je vous souhaite la bienvenue sur Al-Jadeed. Je vais commencer là où j’ai fini : sommes-nous en paix ? Qu’en est-il de l’intimidation israélienne ainsi que de certains discours internationaux qui leur font écho, évoquant un deuxième cycle de guerre contre le Liban ? Les derniers mots à ce sujet ont été prononcés par Terje Rød-Larsen [diplomate norvégien et représentant spécial de l’ONU pour la mise en œuvre de la résolution 1559 du Conseil de Sécurité du 2 septembre 2004, qui appelait au retrait des troupes étrangères du Liban (armée syrienne & armée israélienne), au désarmement et à la dissolution de toutes les milices (le Hezbollah étant la principale cible) et à l’organisation de l’élection présidentielle hors de toute interférence étrangère ; Roed-Larsen fut également un facilitateur majeur des accords d’Oslo en 1993].
Hassan Nasrallah : Au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux. Tout d’abord, et au nom de la Résistance (Hezbollah), je tiens à vous remercier ainsi que la direction de la télévision et tous le personnel, les journalistes et employés de cette chaîne pour les grands efforts que vous avez déployés pendant la guerre. Vous, tout comme d’autres institutions [médiatiques] —pour être juste envers tous— étiez véritablement notre voix et la voix des hommes de la Résistance et des gens endurants (inébranlables) qui aspirent à la gloire, à la dignité et à la grandeur de ce pays. Bien sûr, tous les mots de remerciement que je pourrais vous adresser, à vous ainsi qu’à tous ceux qui nous ont soutenu et qui ont été solidaires avec la Résistance dans cette guerre, sont en deçà de ce qui mériterait d’être dit, mais ils doivent être dits. Mes premiers mots sont donc des remerciements.
Al-Jadeed : Nous considérons cela comme un devoir national.
Hassan Nasrallah : Que Dieu vous bénisse. Quant à l’étape actuelle ou à celle à venir, je ne pense pas qu’il y aura de second tour, pour plusieurs raisons qu’on peut aborder. Les propos de Larsen cherchent à semer la peur. Il est vraiment regrettable que le rôle (néfaste) de M. Larsen soit si flagrant.
Al-Jadeed : Au service de qui agit-il ?
Hassan Nasrallah : Il sert clairement les Israéliens. C’est regrettable. Je ne sais pas si les Israéliens lui ont demandé de venir faire peur aux Libanais, au gouvernement et au peuple libanais. Il exprime parfois son opinion personnelle lorsqu’il estime qu’elle peut profiter aux Israéliens. Mes informations, et pas seulement mon analyse, indiquent que le but de ses propos était d’effrayer les Libanais. C’est ainsi que je comprends les choses, car certaines questions ont continué d’être discutées entre la cessation des activités militaires et le soi-disant cessez-le-feu, et il y a eu de nouvelles conditions israéliennes. Il y a une tentative d’imposer ces conditions. Par exemple, le déploiement de forces internationales à la frontière libano-syrienne est une exigence israélienne. Un autre exemple est qu’au lieu que la FINUL soit déployée dans le sud, il est maintenant demandé qu’elle soit stationnée à l’aéroport, aux ports, etc. C’est aussi une exigence israélienne. Il y a une multitude d’exigences israéliennes qui n’ont pas été satisfaites au cours de la dernière étape. Actuellement, des pressions sont exercées sur le gouvernement libanais pour qu’il se plie à ces exigences.
Actuellement, il n’y a pas de guerre, mais on menace d’une nouvelle guerre ou d’un second tour, afin que les Libanais soient effrayés et disent : « Très bien, qu’est-ce qui éloignera de nous le spectre de la guerre ? Des troupes internationales à la frontière entre le Liban et la Syrie le permettront ? Très bien. Veulent-ils venir à l’aéroport et aux ports ? Ils sont les bienvenus. » Cela signifie que ce qui est demandé, c’est la soumission (du Liban aux exigences israéliennes). Je place tout ce qui a été dit (dernièrement) dans ce contexte. Ce qui me fait dire que Larsen aurait pu coordonner cette question avec les Israéliens, c’est que le deuxième ou le troisième jour, un ministre néerlandais est venu et a transmis un message. J’ai lu ça dans la presse. Je ne sais pas si c’était exact ou non. Il a transmis un message des Israéliens et a déclaré qu’il n’y aurait pas de second tour (des hostilités). Qui croirons-nous ? Je crois bien sûr le ministre néerlandais, car je considère que les événements confirment ce qu’il a dit.
D’abord, sur le terrain, les Israéliens se retirent quotidiennement et réduisent le nombre de leurs soldats et de leurs chars. Soit dit en passant, ils sont présents à des points limités. Cette présence diminue quotidiennement. Si Israël avait des plans pour un second tour, il renforcerait sa présence dans ces zones, et ne la réduirait pas. Deuxièmement, leurs déplacés reviennent. Israël a également eu des déplacés dans cette guerre. Les habitants de Haïfa et du nord sont retournés dans leurs villes, villages, colonies et usines. Le chef du gouvernement ennemi a visité ces régions. Il a rassuré la population et déclaré que l’objectif central de son gouvernement était désormais de reconstruire le nord. Quelqu’un qui agit ainsi n’envisage pas d’entamer un second tour. Troisièmement, la situation politique interne dans l’entité ennemie, y compris la situation militaire, la situation de l’armée et des généraux, me fait dire que la situation globale actuelle d’Israël et les faits disponibles confirment que nous ne nous dirigeons pas vers un second tour.
Al-Jadeed : Qu’en est-il des provocations israéliennes quotidiennes ? Il y a des opérations d’héliportage de troupes et des enlèvements de civils dans leurs maisons. Cela s’ajoute aux violations habituelles dans les domaines aérien, maritime et terrestre. Sont-elles destinées à vous inciter à riposter ? Pourquoi ne ripostez-vous pas ? Qui craignez-vous ? Il y a une raison de riposter, mais pourquoi ne ripostez-vous pas ?
Hassan Nasrallah : Depuis l’arrêt de l’activité militaire, c’est-à-dire depuis lundi, nous avons agi… Nous ne sommes bien sûr pas des mercenaires, des milices ou une organisation armée isolée du peuple. Les gens sont notre peuple et nos proches parents. Lorsque les déplacés sont retournés dans leurs villages et villes, notre priorité est devenue le rétablissement de la situation sociale, et de donner aux gens le temps de respirer et de se sentir à l’aise. Il y a aussi une résolution sur la cessation des activités militaires. Nous pensons que la guerre en tant que guerre ouverte a pris fin lundi [14 août]. Entre la fin de la guerre lundi et le cessez-le-feu —dont l’heure n’est toujours pas fixée, car certaines conditions y ont été posées—, il était clair que les Israéliens avançaient sur deux axes. Le premier visait à nous provoquer pour que nous soyons entraînés dans une confrontation, ce qui nous représenterait comme violant la résolution 1701. Bien sûr, il y a une grande différence. Lorsque les Israéliens ont effectué le raid à Buday [Nasrallah fait référence à un raid des commandos israéliens à l’est du Liban plus de cinq jours après que le cessez-le-feu international a été accepté par toutes les parties], il n’y a eu aucune réaction internationale, et puisque ce sont eux qui ont violé la résolution, il n’y a pas eu de réaction internationale. Les Américains et de nombreux pays occidentaux n’ont pas pris la parole. La réaction de l’ONU a été très modérée. Le monde entier est resté silencieux. En revanche, si une violation bien moindre était commise par nous en réponse à une attaque, toute la communauté internationale pousserait des cris et dirait : « Ces gens recherchent la guerre et ne veulent pas la paix, le calme ou la stabilité pour le Liban, etc. » Par conséquent, cette réaction pourrait alors ouvrir la porte à une nouvelle discussion sur la tentative de Bush de publier une deuxième résolution concernant les armes de la Résistance, et d’autres choses similaires. Pour plus d’une raison, nous avons décidé de faire preuve de retenue à ce stade, et de ne pas nous laisser provoquer. Car il était clair que les Israéliens essayaient de nous entraîner dans une certaine confrontation.
La deuxième piste sur laquelle les Israéliens ont travaillé était que la résolution (1701 de l’ONU) —et c’est une de nos réserves à son égard— leur donnait le droit de prendre l’initiative d’agir au prétexte de la légitime défense. Leur idée était que lorsque les hostilités s’arrêteraient, les réfugiés & déplacés libanais ne reviendraient pas, les déplacés resteraient hors de leurs maisons, ce qui mettrait la pression sur la Résistance pour qu’elle accepte de nouvelles conditions. Dans le même temps, les Israéliens auraient tout le loisir de mener certaines opérations de sécurité. Certes, il s’agissait d’une opération de débarquement, mais son objectif était lié à la sécurité. Ils voulaient kidnapper ou tuer une ou plusieurs figures de proue du Hezbollah. La première opération de débarquement après lundi, c’est-à-dire après la fin des hostilités, a eu lieu à Buday, mais elle n’a pas atteint son objectif, qui était de tuer ou d’enlever un cadre du Hezbollah. Le deuxième point est que le commandant de l’opération de débarquement, qui était un officier de haut rang dans les parachutistes et les forces spéciales israéliennes, a été tué. Et les Israéliens ont considéré…
Al-Jadeed : Ils ont dit que certains Résistants avaient également trouvé le martyre.
Hassan Nasrallah : Non, il n’y a pas eu de martyrs. Un jeune combattant (du Hezbollah) a été très légèrement blessé. L’affrontement s’est déroulé à bout portant et nos hommes les ont pris par surprise. Leur officier a donc été tué dans les premiers instants de l’affrontement, et pas plus tard. Lorsque cette perte et cet échec se sont produits, ils ont arrêté leurs opérations d’atterrissage. Je n’ai connaissance d’aucune opération de débarquement après le raid (avorté) de Buday. Ce qui a arrêté les raids, ce sont les échecs et les pertes du côté israélien, pas les dénonciations internationales, qui n’ont jamais été émises. Ce qui les a arrêtés, ce sont leurs échecs et leurs pertes. Ils n’ont pas réussi à atteindre leur objectif et ont échoué.
Les Israéliens sont toujours présents autour de certains villages. Ils essaient parfois d’entrer dans une maison la nuit, ou de couper la route entre un village et un autre, ou d’enlever des civils. [Notre absence de riposte] a à voir avec notre politique pour l’étape actuelle. En fait, nous voulons que le gouvernement assume sa responsabilité à ce stade. N’est-ce pas le gouvernement qui affirme que c’est lui l’Etat, que c’est lui qui va protéger les citoyens, etc. ?
Al-Jadeed : Avant d’aborder la question de la FINUL et des différentes responsabilités, y a-t-il des limites à la patience du Hezbollah ? Que faut-il pour que le Hezbollah réponde aux provocations… ?
Hassan Nasrallah : Je veux vous confirmer une chose : tant qu’Israël reste présent sur le territoire libanais, il est un occupant, et nous avons le droit de résister (et de combattre) pour expulser l’occupant présent sur notre territoire. C’est à la Résistance qu’il incombe de choisir le moment et le lieu opportuns (de ses attaques contre l’occupant). Si nous avons patienté jusqu’à présent, cela ne signifie pas que nous allons patienter jusqu’au bout. Mais il n’y a pas de raison d’exposer maintenant les limites de notre patience.
En fin de compte, nous suivons les événements jour après jour, heure après heure, et les détails de ce qui se passe près de la frontière (israélo-libanaise) ou autour des points encore occupés par Israël, nous suivons ce qui se passe sur le plan politique.
Al-Jadeed : Qu’en est-il des fermes de Chebaa ?
Hassan Nasrallah : Les fermes de Chebaa sont un autre problème. C’est l’une des questions en suspens liées aux droits nationaux. Lorsque nous avons exprimé des réserves sur la résolution 1701, nous avons dit que cette résolution ne donnait pas au Liban ses droits nationaux ou le minimum de ses exigences nationales. À l’exception de la question des fermes de Chebaa, qui est particulière, et en relation avec la récente guerre, nous considérerons qu’il est de notre droit de combattre Israël dans n’importe quelle position qu’il occupe. Quant à savoir quand et comment le combattre, cela dépend du commandement de la Résistance.
Al-Jadeed : Comment le Hezbollah se comportera-t-il en présence de l’armée libanaise et des troupes de la FINUL ?
Hassan Nasrallah : […] J’ai dit pendant la guerre que nous faisions confiance à l’armée et à son commandement. Il est évident que la tâche principale et primordiale d’une armée qui se rend dans la zone frontalière sur décision du cabinet est de défendre la patrie. Nous faciliterons le travail de l’armée et lui apporterons toute notre aide et notre soutien. Nous l’avons dit dans les médias et l’avons communiqué au commandement de l’armée. Nous nous abstiendrons de faire quoi que ce soit qui puisse embarrasser l’armée. Lorsque l’armée sera pleinement déployée à la frontière, elle sera chargée de faire face à toute violation au sol, mais en réponse à une décision politique. Elle assumera cette responsabilité. La Résistance soutiendra l’armée…
Al-Jadeed : Kofi Annan a défini hier la tâche de cette force [la FINUL]. Il a déclaré que sa tâche n’est pas de désarmer le Hezbollah.
Hassan Nasrallah : C’est parce que toutes les pressions américaines étaient dans ce sens. Comme vous le savez, au début, il n’a pas été question de la FINUL ou de son renforcement. On a beaucoup parlé d’une force multinationale en vertu du chapitre sept [de la Charte des Nations Unies]. La tâche de la force multinationale en vertu du chapitre sept —une force que nous avons rejetée et considérée comme une force d’occupation— n’aurait pas été de protéger le Liban contre toute agression israélienne, mais de frapper, de désarmer et de mettre fin à la Résistance. Cela signifie faire ce qu’Israël a été incapable de mener à bien. La tâche de la FINUL aujourd’hui n’est pas de désarmer la Résistance. Tant que ce n’est pas sa tâche, et tant que sa tâche principale est de soutenir l’armée libanaise —et nous approuvons et soutenons le rôle joué par l’armée libanaise—, je ne pense pas qu’il y aura de problème du tout dans la région au sud du fleuve [Litani], et toutes les zones où l’armée ou la FINUL sont déployées.
Al-Jadeed : Et si quelque chose se passait dans le sud, comme une provocation israélienne qui nécessite l’intervention du Hezbollah, bien que l’armée soit là ? L’armée défendra-t-elle aussi le pays ?
Hassan Nasrallah : Le devoir de l’armée, tel que défini par le Conseil des ministres, est de défendre la patrie, de protéger les citoyens, leurs biens et leurs moyens de vivre, et de préserver la sécurité. Les gens allaient faire le tour de tout le sud même avant le 12 juillet. Quelqu’un a-t-il vu une personne portant un uniforme militaire ou portant une Kalachnikov ou une radio sans fil ? Il n’y avait rien de tel. Les jeunes du sud sont les gens du sud. Je me souviens que lors des négociations qui ont eu lieu ici, certains ont dit que l’armée d’occupation israélienne devrait se retirer derrière la Ligne bleue et que le Hezbollah devrait se retirer au nord du fleuve Litani. Je leur disais que j’avais compris que l’armée israélienne devait se retirer derrière la Ligne bleue, car c’est avant tout une armée régulière, ainsi qu’une force d’occupation étrangère, et doit quitter nos territoires. Je leur ai demandé de me dire comment le Hezbollah pouvait se retirer de la zone au sud du fleuve. Les habitants d’Ayta résistaient à Ayta et les habitants de Bint Jbeil résistaient à Bint Jbeil. Il en va de même pour les habitants d’al-Khiam, d’al-Tayyibah, de Mays et de toutes les villes qui ont combattu. Je ne veux pas continuer à nommer des villes, car je peux me souvenir de certaines et en oublier d’autres, qui me blâmeront alors. Tous les jeunes hommes qui ont combattu sur le front, et même sur les lignes arrière dans la zone au sud du fleuve, sont les habitants de ces zones. Ils n’ont pas été recrutés dans d’autres régions. Puis-je dire aux habitants d’Ayta : les Israéliens ne sont pas parvenus à vous forcer à quitter votre ville, mais je vous ordonne de le faire parce qu’un accord politique a été conclu ? Puis-je demander aux habitants d’Ayta de vivre à Nabatieh ? Le peuple du Hezbollah est le peuple de la région. Aucune logique ne dit que le Hezbollah devrait sortir de la zone au sud du fleuve Litani.
D’ailleurs, il y a quelque chose de drôle. Je ne sais pas si nous aurons l’occasion d’en parler dans cet entretien, mais je fais partie de ceux qui croyaient avant la guerre qu’Israël avait des points [positifs] qui pouvaient être discutés, bien que ce soit un ennemi. J’ai dit une fois que je respectais mon ennemi pour des choses telles que prendre soin de ses prisonniers et de ses morts [en faisant tout son possible pour les récupérer]. L’une des choses que nous soupçonnions dans le passé était que les médias israéliens étaient crédibles. Par exemple, lorsque nous menions des opérations avant 2000, et même des opérations limitées après, les jeunes gens disaient, par exemple, qu’ils avaient tué six soldats israéliens [dans une opération] ; mais les Israéliens diraient que seulement deux avaient été tués. Nous avons dit que nos hommes avaient peut-être mal calculé le nombre, car les Israéliens admettaient généralement le nombre de leurs soldats tués. Dans cette guerre, j’ai découvert qu’Israël est un grand menteur dans tout ce qu’il dit, dans toutes ses déclarations et revendications, et qu’il raconte beaucoup de mensonges. Ceci est prouvé par le fait que [Amir] Peretz, [Ehoud] Olmert, [Tzipi] Livni et tous les responsables israéliens au cours de la dernière période ont dit et continuent de dire : « Nous ne permettrons pas au Hezbollah de retourner au sud du Liban. » Le Hezbollah a-t-il quitté le sud-Liban pour que vous puissiez dire que vous ne lui permettrez pas d’y revenir ? Le Hezbollah est présent au nord et au sud du fleuve Litani. Certes, vous avez effectué des raids et atteint des sommets de collines ici et là, mais le Hezbollah est toujours resté présent dans les villages frontaliers. Nous n’avons pas quitté le sud du Liban ou les régions au sud du fleuve Litani pour attendre la permission de qui que ce soit pour retourner dans ces régions. Nous y sommes présents. Le devoir de l’armée est donc de protéger les habitants. Très franchement, nous ne serons plus responsables lorsque l’armée assumera ses responsabilités.
Al-Jadeed : On dit que pour une raison quelconque, l’armée libanaise ferme les yeux sur les activités du Hezbollah.
Hassan Nasrallah : Soyons clairs. Le devoir de l’armée libanaise n’est pas de désarmer la Résistance ou de recueillir des informations sur les armes de la Résistance.
Al-Jadeed : Comment l’armée agira-t-elle si elle voit des combattants armés du Hezbollah ou du matériel militaire, bien que le Hezbollah soit invisible dans le sud et que même Israël ne puisse pas le voir ? Il y a des craintes à cet égard.
Hassan Nasrallah : Non, il n’y a aucune raison de craindre quoi que ce soit à cet égard, que ce soit là ou ailleurs ; cela, cependant, devient certain en présence de l’armée. J’ai pris des mesures avant le déploiement de l’armée dans la zone frontalière. Ces mesures de l’armée stipulent qu’aucune arme ne doit jamais être visible. Une des raisons du succès de notre Résistance, de sa popularité et de son acceptation par le peuple, c’est qu’elle évite les manifestations armées, et ne s’exhibe pas dans la mobilisation, les combats, la préparation, la présence ou même l’enterrement des martyrs. Avez-vous vu une arme à feu ou un fusil aux funérailles d’un martyr ? Il n’y a rien eu de tel. C’est notre politique. C’est devenu un engagement de notre part envers l’armée et le gouvernement libanais. Il existe un accord tacite selon lequel nous, au sud du fleuve, évitons les manifestations armées. Supposons que l’armée trouve une personne portant une arme sur une route ou dans une ville ; le droit naturel et le devoir de l’armée seront de confisquer l’arme et de lui appliquer la loi. Nous l’avons accepté, car cela est conforme à la politique que nous avons adoptée avant le 12 juillet. Nous l’avons maintenant souligné comme un engagement.
Il y a quelque chose sur lequel nous nous sommes mis d’accord, et que ce soit très clair. Certains peuvent parler et peuvent dire ce qu’ils veulent. Nous ne commenterons pas chaque mot qui est dit (à notre sujet). Une partie de ce qui est dit ne prend pas en considération le moral des résistants, des gens du sud, ni les sentiments des masses résistantes. Mais à ce stade extraordinaire et critique, nous ignorons ce qui est dit de la même manière que nous ignorons beaucoup d’autres choses. Il y a une chose très claire sur laquelle nous sommes d’accord. C’est l’armée libanaise, comme l’a dit Kofi Annan à propos de la FINUL. J’ai dit à certains responsables ici de parler comme Kofi Annan. Kofi Annan dit que ce n’est pas le travail de la FINUL de désarmer la Résistance. Qu’en est-il de l’armée ? Il n’appartient pas à l’armée libanaise de désarmer la Résistance ou d’espionner ses armes ou ses plans. Est-ce la tâche de l’armée de nous espionner, de nous piller et de procéder à des confiscations (de matériel militaire) ? Jamais. Cette question a été résolue de manière décisive, et elle est terminée.
Al-Jadeed : Quelle sera votre position dans les fermes de Chebaa ? Le Hezbollah considère ces fermes comme un territoire libanais occupé par Israël, et la loi de Résistance du Hezbollah s’y applique.
Hassan Nasrallah : Pas seulement la loi du Hezbollah. Conformément à la loi internationale et indépendamment de l’opinion de l’ONU sur les fermes de Chebaa, j’ai dit à la table des négociations —et avant cela, à la veille du retrait israélien du Liban— que c’est la responsabilité, le devoir et le droit de la Résistance de combattre et libérer toute terre que l’État ou le gouvernement libanais considère comme une terre libanaise occupée. Par conséquent, je leur ai dit à la table de dialogue : si vous voulez libérer les fermes de Chebaa, voyons comment nous pouvons vraiment coopérer ensemble pour le faire. Si vous voulez vous débarrasser du problème des fermes de Chebaa pour vous débarrasser de nous et de nos armes, vous pouvez suivre une autre voie que de demander aux Nations Unies de reconnaître les fermes comme libanaises, et une autre voie que de continuer à tenir les Syriens pour responsables de ne pas nous donner de documents ou de signatures. Le gouvernement libanais peut se réunir et dire que les fermes de Chebaa ne sont pas libanaises.
Al-Jadeed : Mais jusqu’à ce que…
Hassan Nasrallah : Non, ils ne peuvent pas faire une telle chose. Le gouvernement et la Chambre des députés ont déclaré qu’il s’agissait d’un territoire libanais. Peuvent-ils changer d’avis ? Ce n’est pas quelque chose qui peut être falsifié de cette façon. Parlons du Liban officiel, et non du Hezbollah. Parlons du gouvernement libanais actuel. Si quelqu’un des forces du 14 mars [pro-américaines] ou du 14 février vient dire que les fermes de Chebaa ne sont pas libanaises, il est libre de dire ce qu’il veut [référence à des personnalités pro-gouvernementales clés comme Walid Joumblatt, qui a fait valoir que la question de Shebaa était une « invention » conjointe de la Syrie, de l’Iran et du Hezbollah pour prolonger et justifier leur influence au Liban]. Le gouvernement libanais actuel, la Chambre des députés et la présidence libanaise considèrent les fermes de Chebaa comme libanaises. C’est donc un territoire libanais sous occupation. S’il reste occupé, le droit de résistance continuera d’exister. Mais comment la Résistance peut-elle exercer ce droit ? C’est à la Résistance (d’en juger). Nous ne devons pas présenter d’assurances à cet égard, ni dire que nous nous dirigeons vers un gros problème. Je veux être réaliste à cet égard. Même pendant la période passée, si vous vous en souvenez, nous ne faisions pas d’opérations toutes les semaines, toutes les deux semaines ou tous les mois. Nous en faisions une une fois tous les quelques mois. Nous les avons appelées opérations de rappel. Maintenant, nous attendrons un certain temps, tout en nous réservant notre droit naturel d’exercer une résistance si certains développements ont lieu. Mais nous pouvons attendre et dire aux autres : faites ce que vous pouvez, surtout puisque le Secrétaire général de l’ONU est également concerné. Il y a une clause dans la résolution 1701 qui ouvre une porte à la discussion, bien qu’elle ne résolve pas le problème. De plus, le gouvernement libanais entretient de grandes amitiés internationales ; voyons ce qu’il peut faire. Mais cela ne signifie pas que la Résistance s’engage à cesser les opérations ou à renoncer à son droit de résistance tant qu’un pouce de territoire libanais sera occupé.
Al-Jadeed : Certains au Liban peuvent demander si le Hezbollah n’a pas appris de cette récente expérience. Permettez-nous de poser à Votre Eminence une question qui remonte au 12 juillet. Auriez-vous fait ce que vous avez fait [capturer les deux soldats israéliens] si vous aviez su à l’avance quelle serait la réaction d’Israël ? Il y a 1 million de Libanais déplacés, d’énormes destructions, des pertes économiques, plus de 1 000 martyrs et de nombreux blessés. Ce fut un grand désastre pour le Liban. Maintenant, vous dites que vous ne pouvez pas vous rendre et que les opérations ne s’arrêteront pas complètement. Ne remontez-vous pas à cette date pour vous souvenir de la scène, et savez-vous que toute opération, notamment dans les fermes de Chebaa, peut coûter au Liban ce que lui a coûté la dernière agression ?
Hassan Nasrallah : Il y a deux points dans ce que vous dites. La première est que, quelle que soit sa décision, aucune personne dont la terre est occupée ne peut donner des garanties de sécurité aux Israéliens. Il ne peut pas leur dire : rassurez-vous, et continuez à occuper nos terres, car nous n’allons rien faire. Ce serait une faute (grave). Le moins que je puisse dire à ce sujet, c’est que c’est une faute au niveau national. Par conséquent, le Hezbollah ne sera ni maintenant ni à l’avenir prêt à s’engager envers qui que ce soit. Cette discussion a également eu lieu dans les négociations pendant la guerre. On a parlé de respect pour la Ligne bleue. Nous la respectons, mais en tant que Résistance, je ne peux pas m’engager envers les Israéliens et les Américains et dire que cette question est terminée. Je ne prendrai pas de tels engagements tant qu’il y aura des terres sous occupation. Quant à la façon dont nous agirons, c’est une autre question. Par conséquent, les fermes de Chebaa sont une terre occupée, et ce de 2000 à 2006. Comment avons-nous agi à cet égard ? C’est un point clair. La deuxième partie de la question…
Al-Jadeed : Mais comment Israël a-t-il agi ? Vous avez déjà kidnappé des soldats…
Hassan Nasrallah : Cela conduit à la deuxième partie de la question. Bien que la deuxième partie de la question soit en soi un sujet à part entière, elle n’a peut-être pas grand-chose à voir avec l’étape suivante, mais elle peut toujours être discutée. Celui qui dit que la guerre a été causée par la capture des deux prisonniers se trompe. Les choses n’étaient peut-être pas claires pendant les premier et deuxième jours de la guerre, mais comme cela est indiqué dans l’article de Seymour Hersh et les déclarations détaillées de [Muhammed] Haykal, et comme cela a été affirmé par plus d’un journaliste respecté dans le monde, plus d’un journal respecté aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Europe, et par certains dirigeants politiques libanais qui suivent les développements, il est devenu certain que le problème n’était pas lié aux deux prisonniers.
[Le journaliste d’investigation américain Seymour Hersh et le journaliste égyptien et ancien rédacteur en chef du quotidien égyptien progouvernemental Al-Ahram Muhammad Haykal avaient récemment soutenu que la guerre d’été de 2006 entre Israël et le Liban avait été planifiée en avance, Hersh écrivant dans le magazine New Yorker le 21 août 2006 qu’Israël avait partagé ses plans pour une attaque massive contre le Liban et le Hezbollah des mois plus tôt avec Washington. En mars 2007, Olmert a déclaré à une commission d’enquête israélienne qu’une telle planification avait en effet été entreprise comme moyen d’exploiter stratégiquement une future capture probable du Hezbollah le long de la frontière (voir, par exemple « Israël a planifié la guerre du Liban des mois à l’avance, affirme le premier ministre israélien » The Guardian, 9 mars 2007].
Quant à savoir si la capture des deux soldats israéliens était une excuse ou non, j’en parlerai plus tard. Le problème est qu’il y avait un plan de guerre et une grande décision militaire prise par les États-Unis et Israël. S’ils ne l’avaient pas mis en œuvre le 12 juillet, ils l’auraient mis en œuvre en août, septembre ou octobre.
Al-Jadeed : Cela signifie que vous êtes tombé dans le piège.
Hassan Nasrallah : Non, nous ne sommes pas tombés dans le piège. C’est le côté israélien qui est tombé dans le piège, pas nous. Je vais vous expliquer la différence.
Al-Jadeed : Nous ne devrions pas donner au monde une excuse pour se dresser contre nous.
Hassan Nasrallah : Tous les faits qui ont été recueillis par la suite ont confirmé que l’opération militaire, la guerre à grande échelle, était programmée pour se dérouler fin septembre ou début octobre. Il y a plusieurs raisons à cela. Certaines de ces raisons sont liées au tourisme en Palestine (occupée). Ils se moquent bien du tourisme au Liban. Ils n’ont pas pensé à octobre pour nous permettre de profiter de la saison touristique au Liban. La saison touristique en Israël est bien plus importante que la saison touristique au Liban. Mais ils savent que s’ils déclenchent une telle guerre sur la base d’informations générales plutôt que précises sur les capacités de missiles du Hezbollah, leur saison touristique sera à peine touchée. Ils voulaient donc profiter de la saison touristique.
Deuxièmement, ils devaient terminer leurs arrangements et leurs préparatifs. Ils se préparaient à la guerre fin septembre ou début octobre. Les Israéliens prévoyaient de commencer la guerre à ce moment-là, avec ou sans prétexte. Ils avaient l’approbation des États-Unis à cet égard, et certains États européens suivraient le mouvement, s’ils n’étaient pas déjà partie prenante. Israël pourrait également obtenir une couverture arabe à ce moment-là, ou à l’avance. Je vais m’arrêter ici, et je n’en dirai pas plus. Ce jour-là, quand Israël aurait lancé la guerre, il aurait eu les bénédictions du monde, car cette guerre ferait (prétendument) partie de la guerre contre le terrorisme. Personne n’aurait demandé aux Israéliens pourquoi ils ont attaqué le Liban ; ils n’auraient pas eu besoin d’excuse. Même s’ils voulaient une excuse ce jour-là, ils pourraient simplement commettre des assassinats précis comme ceux perpétrés par le réseau Rafeh.
[Le réseau Rafeh a été nommé d’après Mahmoud Rafeh, né en 1947, policier à la retraite de la ville libanaise de Hasbaya, qui a avoué en juin 2006 avoir dirigé un réseau d’espionnage et d’assassinat soutenu par Israël depuis au moins 1999].
Ils peuvent apporter six ou sept Katyushas et les placer la nuit dans une vallée au sud, puis les tirer sur les colonies du nord.
Al-Jadeed : Mais ils peuvent faire la distinction entre les Katiouchas du Hezbollah et…
Hassan Nasrallah : Puisque ce sont eux qui font ça, ils peuvent utiliser ça comme prétexte. Vous voyez bien que nous ne sommes pas tombés dans le piège. Lorsque nous avons agi pour effectuer l’opération de capture des deux soldats israéliens —et je parlerai bientôt de notre évaluation, car je n’hésite pas à dire les choses franchement, la façon dont les choses se sont passées—, il s’est passé quelque chose que nous n’avions pas prévu. Nous nous préparions pour une opération de capture propre. L’opération n’a pas été décidée sur un coup de tête. Nous nous y sommes préparés pendant cinq ou six mois, et nous attendions un groupe [de soldats israéliens]. Nous avions dressé notre embuscade et attendions. Des véhicules civils passaient devant notre embuscade, mais nous les avons laissés indemnes parce que nous ne voulions pas de civils, même si les civils pouvaient être des militaires habillés en civils. Nous attendions un véhicule militaire. Deux de ces véhicules sont arrivés et un affrontement a éclaté. Nous voulions mener une opération propre, mais le terrain en a décidé autrement, car nombre de soldats ennemis ont été tués ou blessés. Nous avons fait deux prisonniers. Les Israéliens de cette zone ont mené une opération rapide sur le terrain. Ils ont envoyé un char pour traquer nos hommes. Le char a traversé un champ et a heurté une grosse mine. Ce n’était pas réellement une mine —ils appellent ça une nasfiyah, dans laquelle il y avait des centaines de kilogrammes d’explosifs. Elle était placée là, mais ça n’avait rien à voir avec la guerre ou l’opération en cours. Le char a été détruit et quatre soldats ont été tués. La situation devenait difficile et intolérable pour eux, car ils avaient huit tués, trois ou quatre blessés et deux prisonniers. Nous ne pouvons pas contrôler la façon dont les choses finissent par se développer.
Al-Jadeed : Vous élargissez le sujet militairement pour nous montrer que vous n’êtes pas tombé dans le piège, et que leurs pertes ont été importantes. Mais Votre Éminence a dit —et vous le répétez maintenant— que la guerre allait advenir dans tous les cas.
Hassan Nasrallah : Mais je vais continuer à raconter exactement ce qui s’est passé.
Al-Jadeed : Mais elle aurait pu advenir sans leur donner d’excuse. Notre position aurait pu être plus sûre devant la communauté internationale, Kofi Annan, Rice et les jeunes qui travaillaient.
Hassan Nasrallah : Parlons de la différence entre les deux scénarios. Le premier jour, les Israéliens étaient confus quant à leur réaction. La nuit, ils ont contacté les Américains, puis ils se sont rencontrés et ont pris une décision. La guerre a commencé le deuxième jour. Cela signifie qu’ils ont décidé le 12 juillet de faire ce qu’ils voulaient faire en octobre. Mais il y a une grande différence entre le faire maintenant et [plus tard]. Premièrement, le plan d’octobre dépendait de l’élément de surprise. Si le plan d’octobre avait été mis en œuvre, on ne peut pas savoir si le Hezbollah aurait continué d’exister pour être blâmé, ou blâmer les autres. Le plan d’octobre devait être mis en œuvre alors que le pays était dans un état de calme, que la situation était normale dans le sud, dans les banlieues, dans la Bekaa, et dans toutes les zones où le Hezbollah est présent. Les gens vivraient leur vie normale. Selon le plan, les Israéliens devaient attaquer tout d’un coup fortement la zone frontalière et effectuer des opérations de débarquement dans la région du fleuve Litani. Ils auraient pris le contrôle de la zone au sud du fleuve Litani et frappé la Résistance et toute sa capacité de missiles. Tout en montant une offensive terrestre, les avions israéliens auraient pilonné la banlieue sud, tout le sud, toute la région de Baalbek-Hermel et les centres du Hezbollah, les maisons des dirigeants, des responsables et des membres du Hezbollah. Ils détruiraient ainsi, d’après leurs plans, les réseaux de commandement, de communication, d’administration et de contrôle. Leur évaluation était que le Hezbollah serait complètement liquidé dans les 48 heures et que quiconque resterait en vie serait emmené dans un nouveau Guantanamo. C’était l’idée, et c’était ce qui était prévu, et cela a été révélé par plus d’un journaliste étranger.
Al-Jadeed : Les (journalistes) étrangers étaient-ils les seuls à être au courant ?
Hassan Nasrallah : Non, ce sont eux qui l’ont exposé. Je ne sais pas qui en avait connaissance.
Al-Jadeed : Y avait-il des éléments libanais informés de tout cela ?
Hassan Nasrallah : Concentrons-nous sur les (journalistes) étrangers. L’idée était : c’est ce que nous allons faire et dans les 48 heures après avoir occupé la zone au sud du fleuve, nous aurons ainsi porté un coup à la Résistance en détruisant les centres et les maisons des dirigeants et cadres, et même les maisons des jeunes membres. Nous aurions ainsi démantelé le parti, et ceux qui resteraient en vie, des membres du Hezbollah isolés avec quelques jeunes combattants et du matériel, se verront limités à une action individuelle qui ne peut changer le cours de la guerre. C’était le plan. Ce qui s’est passé le 12 juillet a coûté aux Israéliens l’élément de surprise après la capture, et après qu’il y a eu des morts et des blessés. Nous avions pris les précautions nécessaires ; nous avons évacué la zone, et nous étions en attente et prêts. Nous étions prêts pour la guerre quand elle a commencé. L’élément de surprise, primordial, était donc perdu (pour l’ennemi).
Deuxièmement, le moment choisi par les Israéliens pour la guerre n’était plus valable, et la guerre a commencé à un moment qu’ils ne voulaient pas. Le timing de l’opération a déjoué le plan principal qu’ils avaient préparé. Nous avons fait une guerre aujourd’hui, et nous aurions fait une guerre en octobre, mais la guerre d’octobre aurait eu des conditions qui auraient été beaucoup plus dures et plus difficiles (pour nous), car ce sont les Israéliens qui auraient fixé l’heure, auraient fini tous leurs préparatifs pour la guerre, et utilisé l’élément de surprise ; alors qu’en juillet, la situation du terrain et nos performances ont tout changé. Nous avons donc mené l’affrontement, nous sommes restés fermes, nous avons combattu et nous avons mis fin à la guerre comme elle s’est terminée [victoire du Hezbollah].
Il reste une partie de votre question que je veux clarifier, à savoir que nous sommes un groupe, pas un individu. Ce n’est pas moi qui prends la décision d’effectuer l’opération de capture. Le Hezbollah a une direction politique et un commandement militaire. Pas moins de 15 personnes sont impliquées dans une telle décision. Ces 15 individus, qu’ils soient des éléments politiques ou militaires, ont une longue expérience politique et djihadiste, et ont été les cadres de la Résistance de 1982 à 2006. Nous avons une connaissance approfondie des Israéliens, et de la façon dont ils envisagent et traitent les problèmes. Sur la base de toute l’expérience passée, nous avons mené des opérations beaucoup plus importantes que l’opération de capture du 12 juillet, et ces opérations ont entraîné des pertes beaucoup plus importantes du côté israélien, mais n’ont pas conduit à une guerre de cette ampleur. Très clairement —et je tiens à vous le dire ainsi qu’aux téléspectateurs, car cela a suscité la polémique— nous n’avions pas 1% de probabilité que l’opération de capture conduise à une guerre de cette ampleur. Si quelqu’un demande : Pourquoi avez-vous estimé la probabilité à moins de 1 % ? Nous répondons que la logique de l’état des choses depuis 1982 et à en juger par les actions des Israéliens, sur la base de l’expérience de la Résistance au cours des dernières décennies, et notre analyse des Israéliens, tout cela nous a conduit à croire que ce n’était pas du tout possible, surtout en ce moment, parce qu’ils ont une saison touristique comme nous, et ont leurs propres conditions, tout comme nous. Il n’aurait pas été possible qu’une réaction à une opération de capture soit de cette ampleur. Je ne parle pas seulement des Israéliens, mais de l’expérience (de tous les conflits) à travers l’histoire.
Al-Jadeed : Si cette guerre avait été une réaction (à la capture de deux soldats israéliens), la résolution 1701 de l’ONU aurait inclus un paragraphe obligeant le Hezbollah à libérer les deux soldats immédiatement, et cela ne s’est pas produit.
Hassan Nasrallah : J’affirme qu’au cours de l’histoire (mondiale) des guerres, aucun État n’a jamais fait la guerre à un autre État parce que deux soldats ont été capturés, ou que trois ou quatre soldats ont été tués. Une guerre n’a jamais été menée pour cette raison. Vous me demandez maintenant : s’il n’y avait ne serait-ce que 1% de chance que l’opération de capture du 11 juillet ait conduit à une guerre comme celle qui s’est produite, auriez-vous capturé ces deux soldats ? Je dirais non, absolument pas, pour des raisons humanitaires, morales, sociales, sécuritaires, militaires et politiques. Je ne l’accepterais pas, et le Hezbollah non plus, ni les prisonniers détenus dans les geôles israéliennes, ni les familles des prisonniers. C’est une évidence absolue. Ce qui s’est passé n’est pas une question de réaction à une opération de capture.
En ce qui concerne ma culture —et ma culture peut différer de celle des autres—, je crois en Dieu et en sa volonté, je crois que même cette possibilité de 1% n’est venue à aucun des 15 individus politiques et militaires, malgré notre profonde expérience. Je crois qu’il y a ici une volonté divine, car s’il y avait véritablement eu 1% de chance (qu’Israël attaque à cause de cette opération de capture de soldats), nous n’aurions pas effectué l’opération de capture ; mais si nous n’avions pas effectué la capture, la guerre n’aurait (certes) pas eu lieu en juillet, mais aurait (tout simplement) eu lieu en octobre.
Al-Jadeed : C’est pourquoi je vous ai demandé si vous garderiez à l’esprit dans toute opération future la destruction, la mort et le déplacement qu’Israël a provoqués. C’est comme si Israël vous donnait une leçon et vous disait de prendre garde que ce sera le prix de tout ce que vous ferez d’autre.
Hassan Nasrallah : Ne voyez pas les choses sous un seul angle. Aujourd’hui, même quand on parle de retour à un second tour (d’hostilités) ou quelque chose de ce genre, quand le Liban —l’Etat, le peuple, et la Résistance— veut prendre une décision, il prendra en considération tout ce qui s’est passé. Nous ne pouvons pas l’ignorer et dire que nous allons nous comporter et prendre des décisions comme si de rien n’était. Je ne serais pas un être humain si je me comportais de cette manière. Nous sommes définitivement comme ça, et les Israéliens aussi. (Malheureusement), nous (Libanais) regardons toujours ce qui s’est passé de notre côté, mais nous ne voyons pas ce qui s’est passé du côté israélien. Les Israéliens d’aujourd’hui —pas seulement Olmert et Peres, mais tous ceux qui viendront dans un futur gouvernement israélien— réfléchiront à deux et trois fois avant de mener une guerre avec le Liban, car ce qui s’est passé du côté israélien est également historique, stratégique et majeur.
Al-Jadeed : Mais il n’y a pas d’équilibre entre le niveau de terreur et les armes qu’ils ont utilisées.
Hassan Nasrallah : Il faut considérer les choses en termes relatifs. En fin de compte, il existe un mouvement de Résistance populaire au Liban qui combat l’armée la plus puissante du Moyen-Orient et la quatrième ou cinquième armée la plus puissante du monde, d’après ce qu’on raconte, même si je ne suis pas sûr de cette information. Il y a un débat en cours dans notre pays [dans lequel] on parle de victoire, de défaite, d’équilibre et de l’impact de la guerre sur eux et sur nous. Je dis : vous n’avez pas à écouter ce que je dis ou ce que disent ceux qui aiment et soutiennent la Résistance ; je suis prêt à accepter ce que les Israéliens ont à dire. Voyons ce que disent les généraux israéliens, les politiciens, les journalistes, les experts, les analystes et le public israéliens, en plus de ce que disent leurs soldats et officiers de réserve. Ils évaluent cela, et nous accepterons la conclusion proposée par les Israéliens [le rapport Winograd a conclu qu’Israël avait subi un échec majeur, probablement la plus grande défaite de son histoire].
Al-Jadeed : Les Israéliens sont préoccupés par d’autres scandales. R
[Référence à la spirale de scandales politiques israéliens qui ont alors été révélés, y compris la corruption présumée du Premier ministre Ehoud Olmert pendant son mandat de ministre des Finances dans le gouvernement précédent ; la démission de l’ancien ministre de la Justice Haim Ramon le 18 août 2006 et son procès pour harcèlement sexuel sur une femme soldat de 18 ans ; l’inculpation du Président israélien Moshe Katsay pour harcèlement sexuel et agression ; et l’acte d’accusation du président de la commission de la sécurité étrangère de la Knesset, Tzachi Hanegbi, pour corruption]
Nous avons été surpris de voir les affaires relatives à d’autres scandales prendre le pas sur la guerre. J’ai deux questions…
Hassan Nasrallah : Permettez-moi d’abord de conclure ce point. Vous et les Libanais devez être sûrs que ce qui s’est passé était déjà prévu. Le fait que cela se soit produit en juillet a permis d’éviter une situation qui aurait été bien pire si la guerre avait été déclenchée en octobre […]
Al-Jadeed : D’un point de vue militaire, la Résistance aurait-elle pu résister plus longtemps à l’attaque, surtout après que ses sources d’approvisionnement aient été coupées ? Le siège qui vous a été imposé vous aurait-il permis de continuer si les Arabes, les Européens et les parties internationales n’étaient pas parvenus à une nouvelle résolution internationale au Conseil de sécurité ?
Hassan Nasrallah : Nous avons supposé depuis l’an 2000 qu’un jour comme celui-ci viendrait, mais nous ne savions pas quand. J’exagèrerais si je vous disais (que nous savions) quand ce jour viendrait. Nous ne savions pas quand ce jour arriverait, mais nous savions qu’il viendrait, car Israël ne peut pas rester silencieux sur la défaite de 2000. La victoire du Liban et de la Résistance a eu une répercussion stratégique sur l’ensemble de l’entité sioniste, et c’est la cause directe de l’Intifada en Palestine, et de l’arrêt du processus de colonisation. Notre évaluation et notre compréhension nous ont amenés à croire qu’un jour viendrait où Israël lancerait une attaque à grande échelle pour annihiler la Résistance qui avait remporté une victoire historique contre eux en 2000. Ce qui s’est passé en 2000 était une grande victoire, un…
Dans toutes les théories qui ont été posées lorsque nous avons discuté de la stratégie défensive et même pendant les premiers jours de la guerre, certaines personnes au Liban théorisaient et disaient : Oui, la résistance peut libérer les territoires (libanais) occupés comme elle l’a fait en 2000, mais elle ne peut empêcher une invasion. Je n’ai jamais pris l’engagement que nous pourrions empêcher une invasion, mais nous avons réussi à le faire. La Résistance a résisté à l’attaque, et elle a riposté. Elle n’a pas non plus mené une guerre de guérilla. Je veux clarifier ce point : ce n’était pas une armée régulière, mais [ce] n’était pas non plus une [armée] de guérilla au sens traditionnel du terme. C’était quelque chose entre les deux. La Résistance a combattu les forces spéciales et d’élite israéliennes. La Résistance a tenu bon face à elles. Nous avions prédit qu’une guerre de cette ampleur se produirait depuis 2000, mais nous ne savions pas quand exactement, c’est pourquoi nous avons commencé à nous préparer [dès 2000]. Nous nous sommes préparés et avons supposé que si une guerre nous était imposée ainsi qu’au Liban, elle durerait des mois et serait une guerre très dure et destructrice. Nous nous attendions à ce que la guerre qui a eu lieu se produise un jour, mais pas spécifiquement le 12 juillet (2006).
Sur cette base, nous avons logiquement et naturellement supposé que, lorsque les Israéliens mèneraient une guerre aussi destructrice, ils couperaient toutes les lignes d’approvisionnement et isoleraient des zones et des villes, et c’est pourquoi nous avons passé les années 2000 à 2006 à nous préparer à une telle éventualité. Nous nous sommes assurés que les capacités dont nous avions besoin pour une longue guerre étaient à notre disposition, et elles le sont toujours. Quiconque veut nous désarmer devrait le savoir. Nous avons divisé nos capacités d’une manière qui rendrait inutile la coupure des lignes d’approvisionnement. Tous nos emplacements de combat sont autosuffisants. Pendant 33 jours, l’armée de l’air israélienne a bombardé chaque pont et chaque route. Se déplacer d’une ville à l’autre était impossible. Malgré tout cela, nos roquettes n’ont cessé d’être tirées depuis les vallées et depuis les zones et les frontières de la ligne de front. Elles ont été lancées de n’importe quel point que nous souhaitions. Les jeunes hommes pouvaient se battre n’importe où. Notre niveau de préparation était très élevé et reposait sur l’hypothèse d’une bataille de longue haleine.
Ce que (le journal israélien) Yediot Ahronot a publié il y a deux jours, affirmant que le cessez-le-feu a sauvé l’armée israélienne d’une plus grande défaite et d’un désastre, est vrai, car tous les combats étaient toujours menés par les mêmes jeunes hommes qui combattaient au front depuis le premier jour. Lorsque les Israéliens ont déplacé leur attaque et effectué des largages aériens sur la deuxième ligne de front, ils ont constaté que nos capacités là-bas étaient solides, que nos jeunes hommes étaient présents et en sécurité, et que notre commandement était également présent et solide. Ils ont constaté que la bataille devait commencer pour les jeunes hommes aux deuxième et troisième lignes de défense.
Al-Jadeed : Au cours des 33 ou 34 jours d’agression, dans quelle mesure Israël a-t-il réussi à ébranler la structure militaire du Hezbollah ? Des articles de presse ont émis l’hypothèse que si la guerre avait continué, elle aurait désarmé le Hezbollah en première ligne.
Hassan Nasrallah : Les armes d’Ayta al-Shab ont duré 33 jours.
[La « bataille d’Ayta al-Shab », du nom d’un village frontalier du sud du Liban à seulement 1 km au nord de la frontière provisoire israélo-libanaise, semblait incarner l’incapacité de Tsahal à pénétrer et à tenir avec succès même les zones les plus proches de son territoire. Israël a perdu jusqu’à 13 soldats dans les combats dans et immédiatement autour du village.].
Al-Jadeed : Pouvez-vous nous donner une idée de vos pertes ? La première ligne de défense est sortie saine et sauve. Nous avons vu les jeunes hommes sur les écrans de télévision malgré les rumeurs de blessures et de martyre de cadres du Hezbollah. Les première et deuxième lignes de défense sont saines et sauves. Pouvez-vous nous donner un compte des pertes réelles ? Israël a dit qu’il a tué 400 combattants et a déclaré chaque jour qu’il tuait ce nombre de personnes et détruisait autant. Quelle est la vraie image ?
Hassan Nasrallah : Les dirigeants du Hezbollah qui sont connus du public sont tous sains et saufs, Dieu merci. Si la guerre avait été menée en octobre, les choses n’auraient pas été ainsi. [Les Israéliens] prévoyaient de tuer des gens alors qu’ils dormaient dans leurs maisons avec leurs femmes et leurs enfants, tout comme ils l’ont fait avec certains de nos jeunes hommes dans le sud le premier jour. Le premier ou le deuxième jour suivant la capture, Israël a ciblé des maisons dont le seul crime des propriétaires —certains n’étaient pas du tout impliqués— était d’appartenir au Hezbollah ou de le soutenir. Ils ont détruit des maisons alors que leurs propriétaires, leurs femmes et leurs enfants étaient encore à l’intérieur. C’était leur modus operandi pendant les premiers jours dans le sud, en particulier au sud du fleuve Litani. Nos structures politiques, exécutives, organisationnelles et médiatiques sont toutes en bon état, bien que la télévision Al-Manar et la radio Al-Nour [les deux principaux médias du Hezbollah ; malgré une frappe aérienne israélienne sur le quartier général d’Al-Manar dans la banlieue sud de Beyrouth au début de la guerre, la station a continué à diffuser pendant 34 jours, pratiquement sans interruption] aient été exposées à plus d’un raid. Nos commandants de sécurité et militaires sont en sécurité. Nos cadres djihadistes et nos chefs militaires et sécuritaires sont tous sains et saufs. Je peux vous dire —par souci de transparence et pour répondre à ceux qui disent que toute cette guerre n’aurait pas pu laisser tous les cadres du Hezbollah indemnes— que nous avons eu des martyrs dans nos rangs. Je n’ai pas compté les martyrs, car leurs funérailles ont lieu tous les quelques jours dans les différents villages. Ceux qui souhaitent les compter peuvent le faire eux-mêmes. Il n’y a pas de problème. Nous ne cachons personne : les martyrs ont des familles et des proches, et la plupart d’entre eux sont mariés avec des enfants. Je ne pourrais pas cacher les martyrs (même si je le voulais). La plupart des martyrs étaient des combattants qui tenaient les lance-roquettes, ou combattaient au front contre des chars, etc. Quant à nos cadres militaires, un frère qui est officier des opérations dans l’axe de la région de Bint Jbeil, a trouvé le martyre, en plus d’un autre frère.
Al-Jadeed : Sa mort a-t-elle été annoncée ?
Hassan Nasrallah : Bien sûr, et il a eu des funérailles il y a quelques jours.
Al-Jadeed : Qu’en est-il des martyrs non divulgués ?
Hassan Nasrallah : Il n’y a rien de tel. Il y a trois responsables du Hezbollah qui ont trouvé le martyre. Il pourrait être difficile d’expliquer cela au public. Nous avons plusieurs niveaux d’organisation —les premier, deuxième, troisième et quatrième niveaux. Nous n’avons que quatre niveaux organisationnels, et le dernier niveau est représenté par les moudjahidines (combattants). Personne au premier ou au deuxième niveau n’a trouvé le martyre. Trois du troisième niveau ont trouvé le martyre, dont un officier des opérations dans l’axe Bint Jbeil, ainsi qu’un autre frère qui est impliqué dans la logistique, et un troisième frère qui travaille au même niveau organisationnel, et a été impliqué dans le combat des forces sur le champ de bataille. Trois ou quatre jeunes hommes étaient commandants de ville ; nous avons un commandant de ville qui combat avec les hommes du village, et son martyre est une source de fierté, pas de faiblesse, car cela signifie que nous avons des commandants de ville qui ne s’enfuient pas. Le commandant de ville et ses jeunes hommes ont tenu bon et se sont battus, et il a trouvé le martyre. Quatre ou cinq responsables de villages ont trouvé le martyre. Ceux-ci peuvent être appelés fonctionnaires servant au sein des formations djihadistes du Hezbollah.
Al-Jadeed : Le nombre de roquettes lancées sur Israël a-t-il été rendu public ? En d’autres termes, environ 3 000 roquettes ont-elles été lancées ?
Hassan Nasrallah : Les Israéliens ont dit que 4 000 roquettes avaient été tirées. Le nombre réel de roquettes est plus grand. Le plus grand nombre de roquettes n’est pas tombé sur les colonies, mais sur les casernes militaires, les bases, les postes, les lieux de rassemblement des soldats et les emplacements d’artillerie.
Al-Jadeed : 50 % de votre capacité militaire a-t-elle été épuisée ?
Hassan Nasrallah : Non, beaucoup moins. J’ai prononcé un discours [le 25 mai 2005] dans lequel j’ai dit que nous avions plus de 12 000 roquettes. Je suis exact et je ne peux pas mentir, même d’un point de vue religieux. Certains disent qu’il s’agit d’une tactique de guerre psychologique. Nous ne mentons pas même dans la guerre psychologique ; je fais de la guerre psychologique, mais je ne mens pas. Quand je dis qu’il y en a plus de 12.000, cela ne veut pas dire 13 000 roquettes, même si 13 000 c’est plus que 12 000 ; 20 000 est plus que 12 000 et 50 000 aussi, et vous pouvez augmenter le nombre aussi haut que vous le souhaitez. Si je dis, par exemple, que je suis né après la Seconde Guerre mondiale, je dirai la vérité, pourtant je suis ne suis pas né immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, mais bien des années plus tard. Il ne serait pas judicieux pour nous de déclarer le nombre exact de roquettes et nos capacités militaires. Personne ne fait ça. Par conséquent, les calculs basés sur le chiffre de 12 000, et qu’un chiffre supérieur à 12 000 signifie 13 000, sont des erreurs de calcul.
Al-Jadeed : Ces chiffres ont-ils largement inexacts ou sont-ils proches ?
Hassan Nasrallah : Ils s’inquiètent maintenant de l’embargo qu’ils imposent en mer et sur les ports et les frontières. Tout cela est futile. Lorsque nous nous sommes préparés, nous l’avons fait en partant du principe que nous allions faire face à une guerre destructrice, dure et longue. Ce que nous avons utilisé pendant la guerre n’était donc qu’une petite partie de ce que nous avions préparé. C’est tout ce que je peux dire. Je ne peux pas entrer plus dans les détails.
Al-Jadeed : Comptez-vous sur la fabrication locale, sans aucune aide de…
Hassan Nasrallah : C’est une question de sécurité, pas une question politique. Nous ne répondons pas aux questions liées à la sécurité.
Al-Jadeed : Pourriez-vous répondre à une question relative à la reconstruction, à la politique et à certaines craintes exprimées, telles que celles exprimées lors d’une récente réunion des forces (pro-occidentales) du 14 mars [ce qui restait de l’alliance du 14 mars avait récemment exigé que le gouvernement mène une enquête sur les causes de la guerre, un appel à un examen de la situation du Hezbollah] ? La porte-parole de ces forces, Dori Chamoun, a exprimé ses craintes et vous a fortement interpellé, vous demandant si vous allez établir un État chiite au Liban. Dans le passé, un tel discours se référait à un État islamique, et la réponse qu’il a reçue à l’époque était qu’aucun État islamique ne serait formé. Mais de nos jours, un tel État a été qualifié d’État chiite. Pourquoi pensez-vous que cela s’est produit ?
Hassan Nasrallah : J’ai entendu ces déclarations. Dans le premier cas, certaines personnes peuvent dire que ces déclarations ne sont pas nouvelles, mais de vieilles déclarations répétées ; à savoir, des questions demandant si nous voulons établir un État islamique au Liban. Nous avions l’habitude de répondre en détail et en public, en secret et implicitement à tout cela. J’ai remarqué quelque chose de nouveau dans la question. Dans le passé, comme vous l’avez dit, ils disaient « État islamique », mais aujourd’hui, on parle d’ « État islamique chiite ». Cela signifie que cette question, qui était jadis destinée à intimider les chrétiens, il semble maintenant que leurs performances politiques se développent et qu’ils cherchent à intimider non seulement les chrétiens mais aussi le reste des musulmans non chiites.
Ma réponse à ceux qui ont posé cette question est la même que par le passé. Nous ne changeons pas de point de vue tous les deux jours. Nous avons été clairs dès le premier jour où cette question a été mise sur la table. Nous disons que nous n’imposons nos options ou nos idées à personne. C’est un principe pour nous. En outre, le Liban est un pays qui a ses particularités, il est diversifié et multiethnique. Je ne prête pas beaucoup d’attention à cette terminologie, mais certaines personnes préfèrent « divers » à « multiethnique ». Quelle que soit la terminologie, ce pays ne peut prendre la forme d’un État islamique, d’un État chrétien, d’un État islamique chiite, d’un État islamique sunnite, d’un État chrétien maronite ou d’un État chrétien orthodoxe. Pour que ce pays soit uni et solide, et pour que nous puissions y construire un État capable de protéger le pays, sa société et les droits de son peuple, et capable de le servir en préservant sa dignité, il doit y avoir un consensus.
Quand la crise gouvernementale est arrivée et que nous avons appelé au consensus, ceux qui appelaient au consensus à l’époque ont arrêté de le faire. En tout cas, quand nous disons que nous voulons un État de consensus au Liban, nous voulons dire un État qui fait que toutes les sectes au Liban se sentent représentées, protégées et servies par l’État, qui préserve leur dignité. C’est notre discours et notre mentalité. Lorsque nous nous sommes présentés aux élections municipales et parlementaires, et que nous avons participé au gouvernement libanais, c’était sur la base de cette vision. Ces craintes (de l’imposition d’un Etat islamique chiite au Liban) sont sans fondement. Je vais vous dire quelle est l’histoire. Toute l’histoire est que c’est la ligne de discours qu’ils adoptent avec nous, parce qu’ils adoptent un discours différent avec nos amis et alliés en fonction de leur position. Cependant, lorsqu’ils veulent traiter avec nous, et nous attaquer depuis cette équipe politique, que disent-ils ? Vous avez pillé l’État ? Ils ne peuvent pas [dire] cela. Ils ne peuvent pas nous accuser de pillage, de corruption ou d’être des partenaires de la corruption. Ils ne peuvent rien dire (de tel, tant notre histoire est transparente). Ils ne peuvent pas nous accuser de pratiquer l’injustice, de tuer, de déclencher une guerre civile, de commettre des massacres internes, de collaborer avec les Israéliens, de changer de camp, d’avoir mué, changé notre fusil d’épaule ou fait volte-face. Ils ne peuvent pas dire ça (car ces accusations se seraient crédibles pour personne).
La seule rengaine qu’ils nous servent depuis quelques années, c’est que nous voulons établir un État islamique — et ils ont récemment commencé à y faire référence comme un État islamique chiite, avec les histoires de croissant chiite visant à provoquer le reste des musulmans contre les chiites et à mobiliser les chrétiens contre les musulmans. C’est une manipulation purement américaine, et ils reçoivent leurs directives directement depuis l’ambassade américaine et Condoleeza Rice. Tout ce qu’ils ont à dire, c’est que nous voulons établir un État islamique ou que nous sommes un Axe, un bras ou un outil irano-syrien. Que peuvent-ils dire d’autre contre nous ? […]
Al-Jadeed : [Israël] vous a tordu le bras avec les civils [en ciblant délibérément les infrastructures civiles et les zones résidentielles].
Hassan Nasrallah : Non, ils ne nous ont pas tordu le bras, mais ils nous ont fait du mal, car nous ne sommes pas une mafia ou une bande armée. Les civils qui ont été tués sont notre peuple, ce ne sont pas des civils du Mozambique, même si nous avons des sentiments humanitaires envers eux. Les civils qui ont été tués sont nos femmes, nos enfants, nos fils, nos frères et les membres de notre famille. Parce que les Israéliens savent que nous avons des sentiments, que nous sommes humains et que notre amour pour notre peuple est sincère, ils nous mettent la pression sur ce point. Ce qui s’est passé doit être un élément de réassurance.
Les positions prises par le général Aoun à cet égard sont saines.
[Contre toute attente, Aoun a poursuivi une approche de soutien, parfois prudente, à l’égard du Hezbollah après l’opération du 12 juillet, rédigeant même un article dans le Wall Street Journal dans lequel il critique vivement les parties libanaises et internationales qui, selon lui, ont refusé catégoriquement de discuter avec le Hezbollah.]
Quand je dis qu’il y a un parti (le Hezbollah) qui a de telles capacités (militaires), et si j’ai des intentions (de prendre le pouvoir par la force) et qu’ils veulent me tenir responsable de ces intentions, alors ils devraient se rappeler le jour où les forces syriennes ont quitté le Liban. Le Hezbollah, avec ses énormes capacités militaires, et le reste de ses alliés, qui étaient et sont toujours visés, auraient pu organiser un coup d’État militaire et prendre le contrôle du pays. Ne le pouvions-nous pas ? Nous en étions capables et nous le sommes toujours. Vous pourriez dire que je fais peur aux gens par mes propos. Le problème n’est pas là. Le problème est que notre parti, dès le premier jour, a clairement déclaré que ses armes étaient dirigées contre cet ennemi [Israël]. Mes armes sont pour défendre le pays, et tous les Libanais. Mes armes, mon sang, ma personne, mes enfants et tous mes bien-aimés sont au service de tous les Libanais, arabes, musulmans et personnes honorables, afin qu’ils gardent la tête haute.
Nous n’avons pas pris de telles mesures, que ce soit avant ou après le retrait syrien, avant ou après le 12 juillet, ou même maintenant. Avons-nous jamais menacé les Libanais ? Avons-nous jamais utilisé nos armes pour mener une bataille à l’intérieur du Liban ? Avons-nous jamais utilisé nos armes comme source de force lors d’élections municipales ou parlementaires, ou pour imposer certaines actions ou conditions ? Jamais…
Al-Jadeed : Vous leur dites, n’ayez pas peur du Hezbollah, mais vous portez vos armes. Comment peut-on ne pas avoir peur ?
Hassan Nasrallah : Je porte mes armes pour défendre le pays…
Al-Jadeed : .. alors qu’ils ne sont pas armés, je ne sais pas …
Hassan Nasrallah : D’accord, je porte des armes pour défendre le pays qu’Israël veut engloutir, et dont Israël veut piller les eaux, et Israël veut résoudre son problème, le problème du droit au retour des réfugiés [palestiniens] aux dépens de notre pays, en les installant définitivement dans le pays qu’Israël a l’ambition de diriger dans le cadre du nouveau Moyen-Orient. Aujourd’hui, le Hezbollah, avec ses amis et alliés, est le premier défenseur de la véritable souveraineté, de la véritable indépendance et de la véritable liberté et j’y ajoute la dignité, l’honneur et la fierté nationales. Telle est la fonction de nos armes. Bien sûr, même lorsque nous avons discuté de cette question, je n’ai jamais dit que nous garderions les armes pour toujours. Nous avons toujours dit qu’il y avait un certain nombre de problèmes et que nous devions les résoudre. C’est ce que nous disions à la table du dialogue. Laissez-nous les résoudre. Une solution peut être trouvée pour ces armes. Par conséquent, que personne ne fasse en sorte que les gens aient peur de nos armes, et la preuve en est notre performance et l’expérience. Moi, en tant que parti, j’ai une expérience avec les Libanais qui a 10 ans, 20 ans ou 25 ans : n’est-il pas temps ? N’est-il pas temps (d’admettre que nos armes ne sont pas tournées contre le Liban) ? Que faut-il faire pour rassurer ? Il y a des gens, ma chère sœur, qui ne seront pas rassurés tant que nous ne livrerons pas nos armes, que nous ne renoncerons pas à notre ligne politique et à notre pensée politique, que nous ne nous rendrons pas avec eux dans une capitale européenne [référence vraisemblable à Oslo, en Norvège, le lieu des négociations qui ont abouti aux accords d’Oslo de 1993, vivement dénoncés par le Hezbollah] et que nous ne nous assiérons pas, publiquement ou secrètement —et si nous le faisons publiquement, c’est encore mieux— avec les Israéliens, et leur déclarions : « Nous avons oublié tout ce qui s’appelle dignité nationale, souveraineté, lieux saints, personnes déplacées, installation permanente des réfugiés palestiniens, droits nationaux, droits arabes…
Al-Jadeed : Au fait, il y a des avis de divers dignitaires chiites, comme Sayed Ali Al-Amin et Sayed Hani Faks. Ils vous adressent des messages directs [critiques de l’opération de capture de soldats israéliens menée par le Hezbollah], votre Éminence. Je ne sais pas si vous les voyez et les lisez…
Hassan Nasrallah : Bien sûr que oui.
Al-Jadeed : Ils ont un point de vue qu’ils vous adressent personnellement. Ils ont un point de vue qui est quelque peu différent du vôtre.
Hassan Nasrallah : En ce qui concerne cette question, en fait, nous ne pouvons même pas dire qu’il y a un consensus chiite à ce sujet. La division sur la question de la Résistance n’est pas une division sur une base sectaire ; ce n’est pas que les chiites sont avec l’option de la Résistance, et les non-chiites contre l’option de la Résistance. Non. Il y a des chiites qui sont pour la Résistance, et d’autres qui sont pour d’autres options. Il en va de même pour les sunnites, les chrétiens et les druzes. La division sur cette question est une division politique et nationale, et non une division sectaire ou religieuse. C’est pourquoi, si un chiite présente un point de vue différent — tout comme quelqu’un parmi les sunnites peut avoir un point de vue différent — maintenant, puis-je classer les sunnites (en général) comme étant contre l’option de la Résistance ? Non, pas du tout. […]
Al-Jadeed : On dit que le Premier ministre a déclaré que vous étiez satisfaits de la situation de la location (des logements) et que vous demandiez l’aide de l’Etat libanais. Ces propos sont-ils vrais ?
Hassan Nasrallah : En tout cas, ce dossier a créé une certaine inquiétude dans le pays. Permettez-moi de dire ici ce que j’ai sur le cœur. Que notre terre soit occupée alors que le monde entier nous regarde (avec indifférence), ça passe. Quand nous prenons les armes parce que l’État n’a pas libéré notre terre pour nous — pas la terre du Hezbollah ou la terre des chiites ou la terre de tel ou tel village : non, la terre libanaise —, quand nous prenons l’initiative, quand nous nous battons et donnons notre sang pour libérer notre terre, nous sommes condamnés, et nous sommes accusés de monopoliser [les décisions régaliennes], et je ne sais quoi. Si personne ne pose de questions sur les détenus libanais dans les prisons [israéliennes] — pas même l’État dont ils sont ressortissants, personne — peu importe, qu’ils croupissent en prison. Mais si nous posons des questions à leur sujet, nous sommes accusés d’être des aventuriers.
Nous en arrivons à la reconstruction [le Hezbollah est accusé d’y avoir devancé l’Etat]. Avant la reconstruction, avant la guerre, il y avait des quartiers défavorisés. Où sont les quartiers défavorisés aujourd’hui ? Dans le passé, c’étaient les zones chiites qui étaient défavorisées. Aujourd’hui, il n’y a pas que les zones chiites. Hélas, le développement équilibré a fait que la plupart des régions libanaises sont défavorisées : Akkar, le nord, les montagnes de Kisrawan, les régions d’al-Metn [zones mixtes musulmanes-chrétiennes et zones majoritairement sunnites], et d’autres régions. Si nous arrivons dans une région où il n’y a pas d’hôpital, l’État y est indifférent, et nous y construisons un hôpital. Dans une région où il n’y a pas d’école, nous construisons une école. Dans une région où la route n’est pas pavée, nous la pavons. Ils disent : Oh, vous avez un État dans l’État. Eh bien, faites-moi comprendre. Vous êtes l’État : vous ne voulez pas libérer la terre ; vous ne voulez pas libérer les prisonniers ; vous ne voulez pas nous protéger d’être tués ou assassinés, ou nous protéger des invasions ; vous ne voulez pas nous soigner ; vous ne voulez pas nous nourrir ; et vous ne voulez pas nous éduquer. Vous ne voulez que mes impôts. Quel genre d’Etat est-ce là ? Le fait que le peuple reste coi devant un tel Etat est en soi un miracle. Les gens ne devraient pas rester silencieux face à un tel Etat.
Al-Jadeed : Mais le Hezbollah ne peut-il pas prendre le rôle de l’Etat ?
Hassan Nasrallah : Je ne me substitue pas à l’Etat dans quoi que ce soit. Laissez-moi vous dire quelque chose…
Al-Jadeed : Ce que vous faites est le travail d’un Etat…
Hassan Nasrallah : Ecoutez, nous sommes confrontés à deux options : soit nous devons mourir en étant tués, ou mourir de faim, ou mourir de maladie — soit rester ignares et analphabètes et occuper des emplois de cireurs de chaussures, au mieux ; bien qu’en fin de compte ce ne soit pas un travail obscène, puisque tous les emplois sont respectables, ainsi que ceux qui travaillent et transpirent pour gagner honnêtement leur vie. Cependant, c’est le niveau que nous sommes autorisés à atteindre. Ou bien nous sommes ainsi, ou bien nous sommes accusés d’être hors de l’État, et (d’être ) un État dans l’État. Une telle logique est rejetée. Cette logique n’a plus aucune valeur.
Aujourd’hui, je parle clairement de la reconstruction et d’autres questions, et l’État écoute. Là où nous avons construit un hôpital, si l’État construit un hôpital, nous fermerons notre hôpital ; là où nous avons construit une école, si l’État construit une école, nous fermerons notre école. Quand j’ai parlé de la question de la Résistance — qui est plus grave que l’hôpital et l’école —, quand je leur ai dit à la table du dialogue, et l’autre jour je leur ai dit dans un message télévisé : construisez l’État fort, capable et juste qui protège les Libanais, et alors vous aurez le droit de dire qu’il n’y a pas besoin de la Résistance et de ses armes. Nous ne sommes pas une alternative à l’État, mais là où l’État est absent, nous devons être présents — nous devons le faire selon des critères humanitaires, moraux et patriotiques, et non selon des critères sectaires et partisans. Humanitaires, moraux et patriotiques […].
Al-Jadeed : Votre Eminence, tout le monde demande d’où vient votre argent ? Si vous me dites que ce sont des contributions, je ne sais pas comment la réponse sera prise et je ne dis pas sérieusement, car toutes vos paroles sont sérieuses et vraies, et votre promesse est sincère, mais les contributions ne construisent pas des maisons à une telle échelle. Vous avez parlé de 15 000 unités de logement (construites par le Hezbollah) ?
Hassan Nasrallah : Oui.
Al-Jadeed : Alors, d’où proviennent ces fonds ?
Hassan Nasrallah : Ce qui est important pour les gens, c’est que l’argent soit honnête, propre, pur, et (nous soit octroyé) sans conditions politiques et je répète : sans conditions politiques…
Al-Jadeed : C’est cela qui suscite des craintes.
Hassan Nasrallah : Il n’y a pas de conditions politiques, comme le démontre…
Al-Jadeed : Si nous recevons de l’aide de l’Iran, par exemple, comment puis-je savoir si demain l’Iran nous imposera des conditions ? Les conditions ne seront pas seulement imposées au Hezbollah, elles seront imposées au Liban.
Hassan Nasrallah : L’Iran est maintenant accusé de financer et d’armer le Hezbollah.
Al-Jadeed : Il en est accusé ; n’est-ce pas vrai ?
Hassan Nasrallah : C’est une accusation. Que cette accusation soit fondée ou non, on prétend qu’on lui doit une faveur et qu’il peut donc maintenant imposer des conditions plus importantes que s’il avait reconstruit des maisons dans la banlieue sud, au Sud-Liban, dans la Bekaa ou au Nord. À ce sujet, je voudrais être très rassurant. Je le dis : l’argent qui est dépensé, la Résistance existante et tous les aspects de la force qui sont maintenant disponibles, ne seront soumis à aucune condition qui ne soit pas liée à l’intérêt national. C’est catégorique et définitif. Moi et mes frères ne prenons pas d’argent, d’armes ou de soutien sous les conditions de qui que ce soit.
Al-Jadeed : Nous n’avons pas senti que Votre Eminence…
Hassan Nasrallah : Bien sûr, en tout cas, l’Iran, en ce qui concerne ce que vous avez demandé au sujet des ponts, l’ambassadeur iranien a annoncé hier —maintenant, en ce qui concerne les ponts, la plupart des bénévoles sont de simples individus, en plus des associations— que les Iraniens se sont engagés à reconstruire les routes, toutes les routes qui ont été détruites, à reconstruire les écoles, à reconstruire les lieux de culte —mosquées et églises— et à reconstruire les hôpitaux. Ils considèrent que c’est le niveau minimum d’assistance qu’ils sont prêts à assumer. Il est possible qu’une équipe iranienne vienne ici et se coordonne avec l’État, les municipalités et les différents quartiers, et commence à reconstruire à ce niveau. Ils ont promis de le faire. En outre, l’ambassadeur a également annoncé que le vice-président de la République islamique d’Iran viendra la semaine prochaine pour rencontrer les responsables libanais et voir comment l’Iran peut apporter son soutien dans d’autres domaines.
Al-Jadeed : Tout cela a été annoncé. Pouvez-vous nous parler de ce qui n’a pas été annoncé ? Quand le Hezbollah sort des mallettes d’argent et commence à payer en dollars [des milliers de dollars étaient distribués aux familles sinistrées pour qu’elles puissent se reloger pendant un an, ou qu’elles puisset réparer leur maison & acquérir du mobilier], pourquoi en dollars ?
Hassan Nasrallah : Que les autres fassent de même. Regardez, il y en a d’autres qui —enfin, je me moque de ce que font les autres. Laissez tomber. Que les autres fassent de même, et ils sont les bienvenus…
Al-Jadeed : [Certains Libanais] veulent des garanties, au moins ?
Hassan Nasrallah : Quelles garanties ? Dites-le moi. Nous allons résoudre ce problème ce soir. Ecoutez, le fait est qu’au Liban, tout le monde veut des garanties. Tout le monde veut être rassuré. Aujourd’hui au Liban, tout parti politique, tout mouvement, toute secte, tout quartier, tout groupe qui se dit visé, je lui dirai : nous sommes plus visés que vous. Vous dites que vous êtes visés par le Hezbollah, mais ce n’est pas vrai, et que vous êtes visés par la Syrie, d’accord, et par l’Iran — mais où est l’Iran ? L’Iran est loin. Nous sommes visés par les États-Unis, Israël et tous leurs alliés dans le monde. Ce qui s’est passé en juillet n’était pas une guerre israélienne contre le Liban. C’était une guerre mondiale contre le Liban, une guerre mondiale contre la Résistance. Eh bien, vous êtes inquiets, nous sommes inquiets. Ai-je honte de dire que je suis inquiet ? Vous voulez des garanties, et nous voulons des garanties. La solution n’est pas que j’aille avec vous comme vous le voulez, ni que vous alliez avec moi comme je le veux. C’est pourquoi, lorsque nous avons participé au dialogue national, nous avons formulé une phrase : « Un État fort, capable et juste. » Ghassan Tuéni [ancien rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Nahar, il était également le père du leader du mouvement pro-occidental 14 mars , Gibran Tueni (1957-2005), qui a été assassiné par une voiture piégée] a ajouté le mot « résistant ». Ce n’est pas moi qui l’ai ajouté. « Un Etat résistant et rassurant. » C’est bien ? Alors j’ai parlé à la table du dialogue, et maintenant je vais le répéter. Je leur ai dit : si nous voulons construire un État capable, fort, juste, résistant et rassurant, la voie à suivre est celle d’un gouvernement d’unité nationale. Je réponds à tous ceux qui m’envoient des messages et des questions dans les médias ces jours-ci. Vous voulez appliquer les accords de Taëf ? Qui met en œuvre l’accord de Taëf ? L’une des conditions les plus importantes pour l’application de l’accord de Taëf est un gouvernement d’unité nationale. Où se trouve le gouvernement d’union nationale ? Si tous les gouvernements qui ont été formés depuis l’accord de Taëf jusqu’à aujourd’hui ne sont pas des gouvernements d’unité nationale, alors venez et formez un gouvernement d’unité nationale, afin d’appliquer l’accord de Taëf.
Après une guerre aussi dure et destructrice, pourquoi ne formons-nous pas un gouvernement d’unité nationale au Liban ? Si nous voulons reconstruire le Liban, n’avons-nous pas besoin d’un gouvernement d’union nationale ? Eh bien, formons un gouvernement d’union nationale. La réponse est : Non, non. Pourquoi pas ? Il a été dit à la table du dialogue : « Nous avons la plus haute estime pour le Courant patriotique libre (CPL) ». Vous proposez un gouvernement d’unité nationale afin d’intégrer les alliés de la Syrie dans le gouvernement. Eh bien, tout d’abord, nous sommes dans le gouvernement. Au niveau minimum, Amal et le Hezbollah sommes des alliés de la Syrie. En avons-nous honte ? Nous n’en avons pas honte. Les alliés de la Syrie sont déjà présents dans le gouvernement. Pourtant, je leur ai dit de ne pas se préoccuper des alliés de la Syrie. Nous allons leur parler, et ils vont nous écouter, et nous allons leur dire : restez en dehors du gouvernement maintenant. Laissez le CPL entrer au gouvernement. Je suis aujourd’hui surpris que des voix se soient élevées pour dire que les chrétiens ont été exclus, qu’ils sont neutralisés et qu’ils ne participent pas aux décisions. Qui est responsable de cela ?
On dit que des délégations viennent du monde entier et rencontrent le président du Parlement, Nabih Berri, et le Premier ministre, Fouad Siniora, avec les musulmans sunnites et les musulmans chiites ; ce sont eux qui dirigent le pays, qui prennent les décisions, et ce sont eux qui sont le visage du pays. Cette question n’a-t-elle pas été soulevée au sein de la communauté chrétienne ? Très bien. C’est une grande faille, mais qui en est responsable ? Ceux qui en sont responsables sont ceux qui ont fait obstruction à la présidence, ceux qui empêchent les délégations de se rendre auprès du président Lahoud lorsqu’elles visitent le Liban. Certaines personnes sont empêchées de rendre visite au président Lahoud.
[Le gouvernement Siniora avait exhorté les États étrangers à ne pas rencontrer le Président Lahoud, mais deux États — la France et les États-Unis — ont été les principales forces derrière l’isolement relatif de Lahoud.
Les responsables sont ceux qui ont mis de côté ceux qui représentent 75 % des chrétiens et qui n’ont pas accepté qu’ils fassent partie du gouvernement, sauf dans des conditions qui les neutralisent. Aujourd’hui, formons un gouvernement d’union nationale.
Al-Jadeed : Allez-vous revenir au dialogue avec tout ce que vous dites ? Peut-être que maintenant le dialogue a une autre importance…
Hassan Nasrallah : C’est pour cela que je suis surpris aujourd’hui — je vais répondre à votre question : cela fait 15 ans que l’on parle de la frustration des chrétiens : qu’est-ce qui a changé maintenant ? Les chrétiens qui ont participé aux gouvernements précédents ne représentaient-ils pas au moins 25 % des chrétiens ? Étaient-ils vraiment sans représentation ? Non, ils étaient représentés. Certains d’entre eux ont été élus et ont obtenu un pourcentage élevé de voix dans leurs circonscriptions électorales. Ils disent que la majorité des chrétiens ont été exclus et neutralisés dans l’équation politique. Maintenant, quelle est la situation ? Le résultat des élections est qu’il y a des quartiers qui représentent 75 % des chrétiens. On dira que leur popularité a augmenté ou diminué. Pourquoi votre popularité a-t-elle augmenté ?
Eh bien, prenons les résultats des élections. [Le Courant patriotique libre] représente 75 % des chrétiens, et aujourd’hui, il est en dehors du gouvernement. Pourquoi n’entendons-nous pas parler de la frustration des chrétiens ? Pour répondre à la frustration des chrétiens ou pour activer leur représentation, la solution ne réside pas dans le fait de faire entrer au gouvernement ou à la présidence un chrétien qui ne représente pas les 75 % d’exclus. Nous devons être justes. Aujourd’hui, mon message aux Libanais — notre discussion d’aujourd’hui concerne tous les Libanais — est que celui qui veut appliquer l’accord de Taëf, celui qui veut résoudre les problèmes internes, celui qui veut que tout le monde dans le pays soit rassuré, celui qui veut sérieusement construire un Etat et un projet d’Etat — qui ne veut pas d’une dictature, qui veut construire le projet d’un véritable Etat, qu’il forme un gouvernement d’unité nationale…
Al-Jadeed : Je vous remercie, votre Eminence, et je vous remercie d’avoir accordé cette interview exclusive à Al-Jadeed Je m’excuse auprès de tous les collègues qui ont voulu s’asseoir avec vous…
Hassan Nasrallah : Ils voulaient être à votre place ?
Al-Jadeed : Oui, mais par hasard, j’étais dans le bâtiment de la télévision, et je suis arrivée ici. Pendant tout ce temps, comme je l’ai dit dans l’introduction, je rêvais de m’asseoir avec vous, de vous voir et d’être rassuré à votre sujet. Je réitère mes excuses à tous mes collègues qui n’ont pas pu vous voir et, si Dieu le veut, nous pourrons vous revoir dans une réunion élargie. Je vous remercie pour votre temps.
Hassan Nasrallah : Je vous en prie.
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