Le gouvernement afghan a annoncé que les services de sécurité n’ont pas réussi à trouver le corps de Aymen Al-Zawahri, l’ex-numéro deux de l’organisation Al-Qaïda, après l’annonce par Washington de son élimination lors d’une frappe de drone effectuée le 31 juillet 2022 au centre de Kaboul.
Les Talibans afghans sont perplexes. Les huit victimes du raid US ont été identifiés- tous Afghans, ainsi que les blessés, plus d’une dizaine, mais aucune trace d’Al-Zawahri ni d’aucune autre personne non afghane. Il semble que la frappe ait visé des membres du réseau Haqqani. Cet événement n’a eu aucun écho, ni dans le pays, ni dans son entourage immédiat et encore moins dans le monde musulman ou ailleurs.
S’agit-il d’une frappe similaire à celle ayant marqué le dernier jour du retrait militaire US d’Afghanistan qui a ciblé au hasard des civils et qui a causé la mort de plusieurs enfants d’une même famille? Pour notre correspondant vivant à Kaboul, il s’agissait d’une opération PR visant à redorer le blason de l’administration Biden. “Une sorte d’émulation de l’administration Obama avec l’opération d’élimination de Benladen au Pakistan…apparemment, cette opération n’a pas eu l’effet escompté en raison du déclin d’Al-Qaïda, le retrait total des affaires d’Al-Zawahri dont la santé était très affectée mais c’est surtout la guerre en Ukraine qui a éclipsé un sujet dépassé et même oublié…”. En un sens, l’influence d’Obama et du clan Clinton sur l’administration Biden est telle pour que cette explication soit en partie fondée.
Les services de sécurité afghans ne savaient pas qu’Al-Zawihri pouvait élire domicile en plein centre de Kaboul, dans un district à dominante Tadjik, dont le sentiment à l’égard d’Al-Qaïda est particulièrement hostile. “Al-Zawahri aurait été plus en sécurité à Washington ou à New York qu’à Kaboul …et plus particulièrement dans le quartier ciblé par les drones américains le 31 juillet [2022]” ironise un professeur de sciences politiques de l’Université de Kaboul. Au sein de la population, le ton est au scepticisme. Pour la plupart des riverains ” on n’a plus jamais entendu parler des combattants arabes depuis les années 90″.
Pour certains analystes locaux, il y a une corrélation directe entre le changement de régime soft au Pakistan ayant abouti à la démission forcée de l’ex-Premier ministre Imran Khan et la recrudescence de l’activité des drones au-dessus de l’Afghanistan. Le nouveau gouvernement pakistanais “importé” a renoué avec une vieille tradition. La recrudescence des activités clandestines menées par la CIA en Afghanistan dans le cadre d’actions telecommandées à distance visent avant tout la mise sur pied d’une guérilla, dans un premier temps nordiste, se basant sur les partisans de Massoud, puis à créer des foyers d’insurrection à l’aide d’éléments de l’organisation connue sous le label d’État islamique (EI ou Daech), un outil de géostratégie appliquée visant à renverser le pouvoir des Talibans.
Depuis quelques semaines, de nouveaux médias (sites, radios) basés a l’étranger et financés par les services spéciaux US annoncent des opérations de guérilla menée par un front de résistance aux Talibans. Les bilans annoncés y sont souvent lourds. Le front de la résistance basé à la Vallée du Panchir se veut comme l’héritier de l’Armée Nationale Afghane mais il a surtout intégré des officiers des services du renseignement de l’ancien régime pro-américain suivant une affiliation ethnique et tribale précise excluant l’ethnie Pachtou, majoritaire au sein du mouvement des Talibans.
L’accentuation de la crise humanitaire dans le pays est une conséquence directe du vol des avoirs afghans par les États-Unis et l’imposition de sanctions multiformes contre le nouveau pouvoir. La CIA table sur une montée du mécontentement populaire pour favoriser l’instabilité et préparer le terrain à un soulèvement armé. Cependant, depuis la prise du pouvoir par les Talibans, la sécurité règne : la délinquance a baissé de moitié et les coupeurs de routes, qui étaient légion sous l’occupation US, ont pratiquement disparu depuis. Les vols sont rares en dépit de l’extrême pauvreté affectant désormais près de 90% de la population. Pour un officiel Taliban, “ils (la CIA) ont déjà essayé d’implanter des terroristes en les amenant avec des hélicoptères là où nos forces ne pouvaient s’y rendre. Ce fut un échec”.
Kaboul est l’une des capitales les plus élèves au monde. Son emplacement stratégique à mi-chemin entre Istanbul et Hanoï en Asie du Sud-est illustre son importance sur l’itinéraire de l’ancienne route de la Soie. Dépourvu d’une défense aérienne, le gouvernement afghan sait que l’un des objectifs de la stratégie de Washington est de provoquer un changement de régime par des moyens hybrides à l’aide de drones d’attaque et de création de guérilla. D’où l’importance de combattre la corruption et de réduire les inégalités en plaidant sur le plan international la restitution du fonds souverain afghan volé et la levée des sanctions.
À bien des égards, les anglo-américains seraient tenté de poursuivre leur guerre hybride à haute intensité contre la Russie à partir de l’Asie centrale et c’est là que le rôle de l’Afghanistan est déterminant. Il l’est aussi pour la sécurité de la Chine occidentale et la stabilité du Xinjiang où l’Occident finance un séparatisme au nom de l’islamisme avec un brin de panturkisme. Au 19e siècle, les Anglais avaient bloqué l’accès de la Russie tsariste aux eaux chaudes de l’océan indien et préservé leurs possessions impériales dans le sous-continent indien de toute influence russe dans ce qui fut connu comme le Grand Jeu. Aujourd’hui, les choses se présentent un peu autrement mais la stratégie demeure invariable. Le rapprochement de la Russie avec le Pakistan eu temps d’Imran Khan a provoqué un changement de régime à Islamabad (via une ingénierie procédurière au parlement avec le concours décisif du commandant de l’armée pakistanaise profondément pro-occidental) tandis que la poursuite du commerce de l’Inde avec la Russie soumet New Delhi à d’énormes pressions. Le Grand jeu 2.0 se joue en Afghanistan et la Chine a bien compris l’importance d’investir massivement dans la reconstruction d’un pays qui est appelé à être l’un des théâtres de la guerre globale.
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