L’auteur enseigne l’histoire au cégep de l’Outaouais.
Le 22 juin dernier, le 81e anniversaire de l’invasion de l’Union soviétique par Hitler rappelait le rôle joué par ce pays dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Les Soviétiques firent le gros du travail pour l’empêcher en offrant à Chamberlain (Royaume-Uni) et à Daladier (France) en avril 1939 une alliance militaire défensive, au moment où grimpaient les tensions germano-polonaises. L’idée était simple : le signataire attaqué par Hitler verrait les deux autres le défendre, et un pays européen attaqué par Hitler verrait les trois signataires le défendre.
Bref : traité militaire signé avec Staline, pas de Seconde Guerre mondiale. Un truisme à l’époque ! Ainsi, l’ambassadeur français Coulondre, à Berlin, écrit à son ministre Bonnet le 1er juin, 90 jours avant l’invasion de la Pologne, que des généraux ont expliqué à Hitler que « dans le cas où l’Allemagne devrait lutter contre la Russie », « elle aurait peu de chances de gagner la guerre ». On admet dans les officines du pouvoir que Hitler « risquera la guerre s’il n’a pas à combattre la Russie, mais qu’au contraire, s’il sait devoir se heurter également à cette puissance, il reculera plutôt que d’exposer à leur perte son pays, son parti et lui-même ».
De là « l’urgence que présente la prompte conclusion de ces pourparlers » d’alliance avec Staline pour préserver la paix, opinion personnelle partagée par « mon collègue britannique » venant d’écrire « à Londres en insistant pour que la conclusion de l’accord anglo-franco-russe soit hâtée le plus possible ».
Jusqu’à la mi-août, Coulondre fera de même avec Paris, sans succès lui non plus. Le refus anglo-français et même polonais donne le feu vert à un Hitler n’ayant pas à craindre la présence des baïonnettes soviétiques. Seul dans son coin, Staline acceptera donc le 23 août le pacte de non-agression Molotov-Ribbentrop avec Hitler pour au moins isoler son peuple de la guerre germano-polonaise, désormais inévitable.
Les troupes nazies franchissent la frontière polonaise le 1er septembre, date fixée dès le 3 avril. Chamberlain et Daladier envoient comme promis leurs troupes secourir la Pologne, mais leur interdisent d’entrer en Allemagne pour ouvrir un second front prenant le nazi à revers. Un général allemand expliquera à Nuremberg : « Si nous ne nous sommes pas effondrés en 1939, ce fut seulement grâce au fait que, pendant la campagne polonaise, les 110 divisions françaises et anglaises à l’ouest étaient tenues dans une inactivité complète face aux 23 divisions allemandes. »
Par cette trahison, Chamberlain et Daladier firent de leurs démocraties représentatives les partenaires de l’État policier hitlérien dans le déclenchement réussi de la Seconde Guerre mondiale. Au détriment de la représentativité de la volonté démocratique des électorats, qui réclamaient la signature avec Staline. En Angleterre, 87 % de la population sondée disait oui en mai 1939, 84 % en juin ! So what ?
Un consensus débordant les frontières, comme en témoigna en mai un Bonnet paniqué, proposant une machination à ses acolytes refusant de signer : « Il y a aujourd’hui un mouvement d’opinion publique si fort en France et en Angleterre pour un accord avec l’URSS et une telle conviction dans le monde et en France, chez tant de gens, même parmi les plus modérés, que le sort de la paix en dépend, qu’il faut à tout prix qu’on sache, au cas où l’accord ne pourrait s’établir, que la faute en incombe à l’URSS et non à nous. » C’est ici le voleur qui crie « Au voleur ! ».
Lors de la guerre froide, le Staline/communiste porteur du projet faisant reculer Hitler et suscitant la conviction dans le monde que le sort de la paix en dépendait sera maquillé en un Staline/dictateur à l’armée décapitée et dépeçant ses pays voisins avec son jumeau nazi au moyen d’un protocole secret. Boriana Panayotova écrira donc dans ces pages (Libre opinion, le 28 mai) que ce sont les Soviétiques et « les nazis qui ont déclenché la Deuxième Guerre mondiale en envahissant simultanément la Pologne conformément au pacte Molotov-Ribbentrop, lequel prévoyait le partage du pays (les Soviétiques ont simplement traversé la frontière polonaise deux semaines en retard) ».
Envahir « simultanément » tout en arrivant « deux semaines en retard » ne fait pas le poids devant le rigoureux devoir de mémoire affirmant que Hitler fit tout le travail de conquête avant l’arrivée de Staline ! Comme l’écrira de Berlin le journaliste William Lawrence Shirer le 15 septembre : « En quatorze jours, la machine militaire allemande mécanisée a repoussé l’armée polonaise de plus de deux cents milles, capturé cent mille prisonniers et pratiquement anéanti la Pologne. […] La guerre en Pologne est finie. On transporte déjà rapidement des divisions allemandes vers » l’Allemagne.
Il déduisait « que la Russie envahira maintenant la Pologne à son tour et en occupera les régions habitées par des Russes ». Les Soviétiques n’arrivent que le 17, deux jours après la victoire allemande, dans ces « régions habitées par » les leurs pour réunifier ces territoires cédés par traité en 1921, avec le couteau sur la gorge, à un État polonais désormais remplacé par un État allemand.
Étrange « partage du pays » que de reprendre son bien dans la maison du voleur en fuite en Roumanie et sans toucher à rien d’autre ! Fallait-il plutôt abandonner au nouveau propriétaire les 12 millions d’Ukrainiens et de Biélorusses, à l’image du duo perfide anglo-français lui ayant déjà donné la totalité des 32 millions de personnes habitant ce pays trahi ?
Que la réunification des millions de familles séparées depuis 18 ans ait été prévue ou non au pacte Molotov-Ribbentrop en cas de victoire militaire allemande n’altère en rien le bien-fondé de la mesure : l’État polonais envolé, ramener alors les gens à la maison plutôt que de les laisser au cannibale allemand ayant conquis seul ce pays.
Qui ne l’aurait pas fait ?
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