C’était il y a quatre ans, en août 2018, Emmanuel Macron prenait la parole à la Conférence des ambassadeurs et, comme à son habitude, dessinait des perspectives grandioses à l’horizon à grand renfort de phrases creuses et de formules pompeuses dont il a le secret. La France, « chantre d’un multilatéralisme fort », « puissance médiatrice », allait initier avec ses partenaires le chantier de la refondation de « l’architecture européenne de défense et de sécurité » car l’Europe ne pouvait plus « remettre sa sécurité aux seuls États-Unis ». Il fallait tirer toutes les conséquences de la fin de la guerre froide, revisiter « les équilibres » et les « automatismes » des alliances, ouvrir de nouvelles perspectives grâce à une « souveraineté européenne » affirmée. Le Président ajoutait que cette réflexion devait associer la Russie. Il fallait également « construire une nouvelle relation à l’Asie » qui allait se bâtir « autour de notre dialogue essentiel et fructueux avec la Chine ».
Quatre ans plus tard, l’horizon s’est finalement obscurci et les ambitions macroniennes sont restées lettre morte.
La France et l’Europe payent le prix de leur incapacité à faire entendre une voix singulière. En faisant le choix de l’alignement sur les États-Unis, les Européens se retrouvent aujourd’hui démunis et instrumentalisés au milieu d’une gigantesque partie d’échecs géopolitique qui oppose les Américains à des géants longtemps endormis qui se sont éveillés et rêvent à nouveau de grandeur et de puissance.
Graham Allison, dans son célèbre essai Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide ?, sorti aux États-Unis en 2017, s’inspirait de l’historien grec et de la guerre du Péloponnèse pour décrire les risques de confrontation provoqués par la rivalité entre une puissance ascendante et une puissance déclinante : « C’est la montée d’Athènes et la peur que cela a instillé à Sparte qui ont rendu la guerre inévitable », constatait Thucydide.
Dans un article paru le 5 août dernier dans Le Figaro, le chercheur Hugues Eudeline soulignait les parallèles entre la crise ukrainienne et celle de Taïwan. « La Chine, comme la Russie, manque d’espace stratégique », constatait-il, ajoutant que chacune cherchait « à se doter d’un espace vital territorial et maritime pour éviter tout contact direct ave [ses] adversaires. » Or, l’une comme l’autre se considèrent victimes d’un ordre ancien et injuste, dominé par les États-Unis, qui vise, à travers une stratégie d’encerclement, à contenir leurs ambitions retrouvées.
Plusieurs questions se posent alors : le piège de Thucydide s’est-il déjà refermé, la confrontation militaire avec la Chine n’étant plus qu’une question de temps ? Quel rôle joue la France et, plus largement l’Europe, dans cette « montée aux extrêmes » ? Les Européens ont-ils retenu les leçons du conflit ukrainien et de leur incapacité à redéfinir avec la Russie une nouvelle architecture de sécurité ?
En juin 2021, Emmanuel Macron affirmait, là encore au nom de la « souveraineté européenne », son refus d’un alignement automatique sur les positions américaines. Ce qui impliquait l’« indépendance quand il s’agit de notre stratégie à l’égard de la Chine ». Des déclarations démenties un an plus tard, lors du dernier sommet de l’OTAN à Madrid en juin dernier, qui consacrait une nouvelle doctrine stratégique évoquant pour la première fois la Chine et la présentant comme une menace directe à la sécurité de l’Alliance. La présence à un sommet de l’OTAN de l’Australie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande et de la République de Corée témoignait parallèlement de la volonté américaine de souder ses partenariats transatlantiques et transpacifiques dans la perspective d’une prochaine confrontation avec la Chine.
La récente audition devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale du chef d’état-major de la Marine nationale ne fait malheureusement que confirmer l’alignement de la France sur les objectifs américains. « Nous devons préparer la capacité à combattre ensemble. Contre la marine chinoise, nous gagnerons si nous nous battons ensemble, en coalition », déclarait-il le 27 juillet. Le « dialogue fructueux avec la Chine », évoqué par Macron en 2018, est donc passé aux oubliettes. Sonnez tambours et trompettes car « les temps qui sont devant nous vont être durs » et « il est donc temps de se battre comme des diables », affirmait l’amiral.
Faut-il cependant consentir à ce que le piège de Thucydide se referme inéluctablement sur la France et sur l’Europe ?
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec